SBORNÎK PRACl FILOZOFICKÉ FAKDLTY BRNËNSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS

SBORNÎK PRACl FILOZOFICKÉ FAKDLTY BRNËNSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS PHILOSOPHICAE UNTVERSITATIS BRUNBNSIS L 8, 1986 (ÉTUDES ROMANES DE BRNO XVII) J A R O S L A V F R Y Ô E R L E ROMAN MODERNE ET L'AUTOBIOGRAPHIE L'autobiographie comme une certaine façon de concevoir et de réaliser l'écriture littéraire, existe depuis un temps presque immémorial: on la fait remonter jusqu'à l'époque de Saint-Augustin si ce n'est tout simplement à celle de Platon. Mais le mot n'a pas une histoire aussi ancienne: James Olney cite W. P. Scargill qui, en 1834, l'aurait le premier employé dans le titre d'un de ses livres (The Autobiography of a Dissenting Minister) 1 mais le troisième volume du Trésor de la Langue Française rappelle que le mot français a été forgé sur le modèle de l'anglais autobiography, attesté depuis 1809. Jacques Voisine a essayé, voilà un quart de siècle, de rédiger un court curriculum vitae du terme et il a montré à combien de difficultés se heurte celui qui veut dater précisément sa naissance. 2 Quoi qu'il en soit, le mot n'est entré dans les diction- naires que vers le milieu du siècle dernier bien que la chose qu'il désigne ait existé depuis longtemps (laissons pour l'instant de côté la question de savoir si l'on peut faire remonter les origines de l'autobiographie à l'antiquité gréco- latine ou si elle «exprime en fait une forme de la sensibilité littéraire occidentale qui apparaît à la fin du dix-huitième siècle»). 3 L'intérêt de la critique littéraire pour le nouveau genre est encore pluB récent que le mot qui le désigne. Les premiers essais sérieux n'apparaissent qu'au début de notre siècle: l'ouvrage fondamental de Georg Misch Oeschichte der Autobiographie a commencé à paraître en 1909 et à partir de cette année jusqu'aux années 1950, les études sur l'autobiographie ont été plutôt rares. 4 L'année 1970 paraît être en France un tournant dans l'évolution de l'intérêt porté à l'autobiographie. En avril, le Centre de Philologie et de Littérature romanes de Strasbourg a organisé un colloque sur le roman contemporain où deux participants, Pierre de Boisdeffre et Jacques Borel, ont essayé de 1 «Autobiography and the Cultural Moment». In Autobiography: Essaya Theoretical and Critical. Princeton University Press 1980. 2 «Naissance et évolution du terme littéraire .autobiographie'». In La littérature comparée en Europe Orientale. Budapest, Akadémiai Kiadô 1963, pp. 278—286. 3 Jacques Voisine, op. cit., p. 278. 4 Dans la critique. française, le chapitre «L'autobiographie» publié dans Aspects de la Biographie d'André Maurois, avait encore en 1928 le caractère presque initiateur. 10 mettre en relation le roman contemporain et le genre existant depuis des siècles, 5 et l'année suivante a été publié le livre de Philippe Lejeune qui reste jusqu'à nos jours l'étude classique du genre. 6 A partir de ce moment, le flux des ouvrages sur l'autobiographie ne diminue pas. Philippe Lejeune publie deux autres livres et Georges May y ajoute une contribution importante. 7 Un numéro de la Bévue d'Histoire Littéraire de la France a été consacré à notre genre (N° 6, novembre—décembre 1975) et Germaine Brée a introduit la problématique de l'autobiographie dans sa contribution aux Zaharoff Lectures pour l'année 1977-1978. 8 L'intérêt pour l'autobiographie vient de culminer ces dernières années par toute une série de colloques. La M. L. A. en a organisé un en 1978, avec comme principales interventions celles de Philippe Lejeune (sur l'autobiographie «ethnographique»), de Serge Doubrovsky («Autobiographie/Vérité/Psych- analyse») et toute une série d'analyses précises des auteurs et des œuvres (Valéry, Vian, Des Forêts). 9 Du 11 au 13 mai 1979 a eu lieu le colloque sur l'autobiographie dans le monde hispanique à Baune-lès-Aix. 1 0 La même année a vu encore deux rencontres internationales. La décade de Cerisy-la-Salle (10—20 juillet) traitait de l'autobiographie et de l'individualisme en Occident et embrassait différentes approches critiques, juridiques, psychologiques, sociologiques, etc. sur la base des textes allant de la Grèce antique à Cha- teaubriand et Barthes. Finalement The Center for Twentieth Century Studies de l'Université de Wisconsin à Milwaukee a organisé du 14 au 16 novembre un colloque ayant pour sujet «The Autobiographical Mode». L'attention portée sur le genre autobiographique est devenue, ces dernières années, systématique. On a dressé les inventaires des ouvrages autobiographi- ques, essayé de classifier différentes modifications du genre, analysé des œuvres et des auteurs particuliers, les principes et caractéristiques du genre. On a en revanche assez peu parlé jusqu'ici du rapport entre l'autobiographie et le roman contemporain en général. Et pourtant, le mode autobiographique de l'écriture a profondément marqué le visage du roman d'aujourd'hui. On sait le rôle que joue dans celui-ci le narrateur à la première personne et on sait aussi qu'une certaine partie des récits du «je» narrateur ont le sens et la forme de récits autobiographiques (qu'ils appartiennent au domaine des autobio- graphies fictives ou référentielles, vérifiables). Les études qui ont été faites jusqu'à nos jours permettent de réfléchir sur les rapports mutuels entre le roman et l'autobiographie et sur la façon dont le projet autobiographique enrichit et modifie le roman d'aujourd'hui. L'objet des remarques qui vont suivre ne sera pas par conséquent l'autobiographie comme genre littéraire indépendant, mais son interaction avec le roman. Le présent article veut donc être une contribution à l'étude du roman plutôt qu'à celle de l'autobiographie. 3 Les actes du colloque ont été publiés chez Klincksieck en 1971: Positions et oppositions sur le roman contemporain. 6 L'autobiographie en France. Paris, A. Colin 1971. 7 Le pacte autobiographique. Paris, Seuil 1975; Je est un autre. Paris, Seuil 1980; L'autobiographie. Paris, P. U . F. 1979. B Publiée sous le titre Narcissus Absconditus. Clarendon Press, Oxford 1978. » Les actes ont été publiés dans L'esprit créateur. Vol. X X , No 3, Automne 1980. Louisiana State University, Bâton Rouge. 1 0 Les actes du colloque ont été publiés par l'Université de Provence (Honoré Champion) en 1980. 11 La première définition de l'autobiographie, celle qu'on trouve dans le Diction- naire de l'Académie Française de 1838 — «vie d'un individu écrite par lui- même» — n'est pas la pire parmi celles qu'on a formulées depuis. Il suffit de la confronter avec les définitions les plus récentes, faites par les spécialistes en la matière, pour voir, qu'elle contient l'essentiel du problème: «Biographie d'un auteur faite par lui-même» (Starobinski) ou «le récit rétrospectif en prose que quelqu'un fait de sa propre existence, quand il met l'accent principal sur sa vie individuelle, en particulier sur l'histoire de sa personnalité». 11 Qu'on ne croie pourtant pas que, après tant d'études critiques et après tant d'efforts, le problème de la définition de l'autobiographie soit résolu une fois pour toutes! Des opinions critiques de ces dernières années suffiront pour prouver le contraire. Jean Starobinski, dans l'étude citée, assure que l'autobiographie «n'est pas un portrait» (p. 83), tandis qu'un critique américain soutient juste le contraire: «An autobiography is a self-portrait.» 12 Nous prenons pour point de départ de nos remarques en principe la définition de Philippe Lejeune. A la lumière des recherches récentes, nous la complétons néanmoins par certains traits que les critiques ont relevés comme typiques du genre, constituant avant tout la spécificité de celui-ci par rapport aux genres limitrophes, tels que les mémoires, le journal intime ou les souvenirs. La qualité essentielle semble être en ce sens le caractère narratif de l'autobio- graphie («the writer's use of the narrative form») 13 sur lequel s'entendent tous les critiques (Jean Starobinski insiste sur l'existence de la «durée» et du «mouve- ment» dans l'autobiographie). Ce trait est justement d'une haute importance pour l'étude du roman autobiographique. La critique moderne a mis l'accent sur un autre trait qui caractérise l'auto- biographie et qui se manifeste aussi dans le roman. C'est que l'autobiographie n'est jamais une simple reconstruction du passé, un simple récit de ce qui a été. Il doit y avoir toujours un point de vue, un certain élément unificateur autour duquel les souvenirs s'organisent. Ce foyer, c'est le plus souvent la recherche de l'unité d'une vie entreprise par quelqu'un qui raconte le passé en fonction de sa situation actuelle. 14 Philippe Lejeune dit que le projet autobiographique consiste dans l'effort de «ressaisir et de comprendre sa propre vie.» l s Ce trait est la conséquence de l'organisation intérieure du «je» autobiographique qui est à la fois celui qui a vécu et qui en même temps interprète sa vie: «Das Ich ist zugleich das, was seine Erfahrungen — mit sich selbst, seinen Wùnschen, die mit der Aussenwelt — aus ihm gemacht haben, und das, wie es dièse Er- fahrungen interpretiert.» 16 Tout cela détermine — et là nous nous approchons du roman autobiographique — une sorte d'auto-engendrement du sujet de l'écriture dans l'autobiographie: «...l'image du MOI qui se construit n'est pas celle de la personne que les contemporains de l'auteur ont pu connaître, mais bien une instance symbolique ou imaginaire qui n'a d'existence que 1 1 «Le stylo de l'autobiographie». In L'œil vivant II. Paris, Gallimard 1970, p. 83; L'autobiographie en France, p. 14. 1 2 William L . Howarth: «Some Principles of Autobiography». In Autobiography: uploads/Litterature/ 1-etudesromanesdebrno-17-1986-1-2 1 .pdf

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