Abū ʿAlī al-Jubbāʾī et son livre al-Maqālāt* Hassan Ansari Abū ʿAlī Muḥammad b.
Abū ʿAlī al-Jubbāʾī et son livre al-Maqālāt* Hassan Ansari Abū ʿAlī Muḥammad b. ʿAbd al-Wahhāb b. Salām al-Jubbāʾī (né 235/849-50; mort à Bassora 303/915-16) figure parmi les plus importants théologiens muʿtazi- lites.1 Adhérant à la branche basrienne de la Muʿtazila, ses thèses attirèrent ce- pendant jusqu’à l’attention des mutakallimūn sunnites ; le fait qu’Abu l-Ḥasan al- Ashʿarī (m. 324/936) ait été son élève a également contribué à sa renommée. Pourtant, dans la théologie muʿtazilite tardive, les thèses d’Abū ʿAlī furent éclip- sées par celles de son fils Abū Hāshim (m. 321/933), qui se démarqua de son père sur d’importantes questions théologiques.2 Les thèses théologiques d’Abū Hāshim, dont l’école est connue sous le nom de Bahshamiyya, furent admises par Abū ʿAbd Allāh al-Baṣrī (m. 369/980) et par le célèbre Qāḍī al-Quḍāt ʿAbd al- Jabbār al-Hamadhānī (m. 415/1024), ainsi que par la majorité de leurs disciples contemporains et postérieurs, parmi lesquels on compte certains mutakallimūn zaydites tels que les frères Hārūnī, Abu l-Ḥusayn Aḥmad (m. 411/1024) et Abū * Je tiens à remercier Dr. Hossein Masoumi Hamedani et Gregor Schwarb pour leur aide lors de la préparation de cet article. 1 Pour sa vie et ses œuvres, voir Abu l-Qāsim al-Balkhī, “Maqālāt al-islāmiyyīn,” dans Faḍl al-iʿtizāl wa-ṭabaqāt al-Muʿtazila, éd. F. Sayyid, Tunis [1974], p. 74; Ibn al-Nadīm, al-Fihrist, éd. Riḍā Tajaddud, Téhéran 1350/1971, pp. 217-18 et 218 n. 2; ʿAbd al-Jabbār, “Faḍl al- iʿtizāl wa-ṭabaqāt al-Muʿtazila wa-mubāyanatuhum li-sāʾir al-mukhālifīn,” dans Faḍl al- iʿtizāl, pp. 281-96; al-Dhahabī, Siyar aʿlām al-nubalāʾ 1-23, éd. Shuʿayb Arnaʿūt, Beyrouth 1993, vol. 14, pp. 183-84; Ibn Ḥajar al-ʿAsqalānī, Lisān al-mīzān 1-7, Beyrouth 1971, vol. 5, p. 271. Voir également ʿU. R. Kaḥḥāla, Muʿjam al-muʾallifīn. Tarājim muṣannifī al-kutub al- ʿarabiyya 1-15, Beyrouth s.d., vol. 10, p. 269; Sabine Schmidtke, “Jubbāʾī, Abū ʿAlī,” dans Dānishnāma-yi Jahān-ī Islām, vol. 9, pp. 540-44. Les doctrines théologiques d’al-Jubbāʾī sont discutées dans ʿAlī F. Khushaym, Al-Jubbāʾiyyān. Abū ʿAlī wa-Abū Hāshim, Tripoli 1968. 2 L’un des points sur lesquels Abū Hāshim se démarque des positions de son père porte sur le célèbre concept des “états” (aḥwāl) décrivant le statut ontologique des attributs de Dieu et des êtres crées. Voir Richard M. Frank, Beings and Their Attributes. The Teachings of the Ba- srian School of the Muʿtazila in the Classical Period, Albany 1978, idem, “Al-maʿdūm wal- mawjūd. The non-existent, the existent, and the possible in the teaching of Abu Hashim and his followers,” Mélanges de l’Institut Dominicain d’Etudes Orientales du Caire 14 (1980), pp. 185-210 [réimpr. dans idem, Early Islamic Theology. The Muʿtazilites and al-Ashʿarī. Texts and Studies on the Development and History of Kalām, ed. Dimitri Gutas, Aldershot 2007, no. IV]; idem, “Abu Hashim’s theory of «states». Its structure and function,” dans Actas do quarto congresso de estudos árabes e islâmicos, Coimbra-Lisboa, 1 a 8 setembro 1968, Leiden 1971, pp. 85-100 [réimpr. dans loc.cit., no. V; Frank a récemment admis que le terme “état” se ré- vèlait “dans la plupart des cas” une traduction inadéquate de ḥāl; cf. son “Yā kalām,” dans idem, Philosophy, Theology and Mysticism in Medieval Islam. Texts and Studies on the Develop- ment and History of Kalām, Vol. I, ed. D. Gutas, Aldershot 2005, I p. 5.]; Daniel Gimaret, “La théorie des aḥwâl d’Abû Hâšim al-Ǧubbâʾî d’après des sources ašʿarites,” Journal asiati- que 258 (1970), pp. 47-86; Ahmed Alami, L ’ontologie modale. Etude de la théorie des modes d’ Abū Hāšim al-Ǧubbāʾī, Paris 2001, pp. 205-19. HASSAN ANSARI 22 Ṭālib Yaḥyā b. al-Ḥusayn (m. 424/1033) et, un peu plus tard, le savant iranien al- Ḥākim al-Jishumī (m. 494/1101). Ceci explique l’absence d’intérêt que les muta- kallimūn zaydites du Yémen montrèrent pendant les siècles suivants à l’égard de Abū ʿAlī al-Jubbāʾī, et ce d’autant plus qu’après le 6ème/12ème siècle, l’école bahs- hamite fut supplantée peu à peu par celle d’Abu l-Ḥusayn al-Baṣrī (m. 436/1045). Dès lors, la plupart des auteurs zaydites, dont nous ne mentionnerons qu’al- Imām al-Muʾayyid bi-llāh Yaḥyā b. Ḥamza (m. 749/1348), se référèrent principa- lement aux œuvres d’Abu l-Ḥusayn al-Baṣrī et de Rukn al-Dīn Maḥmūd Ibn al- Malāḥimī (m. 536/1142).3 En ce qui concerne les œuvres d’Abū ʿAlī al-Jubbāʾī, le Fihrist d’Ibn al-Nadīm (m. circa 380/991), source principale de connaissance des écrits muʿtazilites an- ciens, n’est pas de grand secours, les manuscrits contenant les chapitres traitant des auteurs muʿtazilites étant très endommagés.4 En revanche, Ibn Ḥajar al- ʿAsqalānī (m. 852/1449) mentionne l’existence de soixante-dix ouvrages d’al- Jubbāʾī cités dans le Fihrist, ce qui suggère que le texte du Fihrist dont il disposait était plus complet que celui qui nous est parvenu.5 Bien qu’aucune œuvre d’Abū ʿAlī al-Jubbāʾī ne semble avoir survécue, Daniel Gimaret a réussi à compiler dans les deux articles qu’il a consacrés à la bibliographie des Jubbāʾīs, les intitulés de plus de quarante de ses écrits, à partir des références faites à ses œuvres dans d’autres sources.6 On ne trouve cependant ni chez lui, ni dans les autres sources anciennes et modernes jusqu’ici étudiées, trace d’un ouvrage d’al-Jubbāʾī intitulé al-Maqālāt.7 3 Voir Abu l-Ḥusayn al-Baṣrī, Taṣaffuḥ al-adilla. The Extant Parts Introduced and Edited by Wilferd Madelung and Sabine Schmidtke, Wiesbaden 2006; Rukn al-Dīn Maḥmūd al- Malāḥimī al-Khwārazmī, Kitāb al-Muʿtamad fī uṣūl al-dīn. The extant parts edited and in- troduced by W. Madelung and Martin McDermott, London 1991; S. Schmidtke, “The Ka- raites’ Encounter with the Thought of Abū l-Ḥusayn al-Baṣrī (d. 436/ 1044). A Survey of the Relevant Materials in the Firkovitch-Collection, St. Petersburg,” Arabica 53 (2006), pp. 108-42. 4 Voir Josef van Ess, “Die Muʿtazilitenbiographien im Fihrist und die muʿtazilitische biogra- phische Tradition,” dans Ibn al-Nadīm und die mittelalterliche arabische Literatur. Beiträge des Johann Wilhelm Fück-Kolloquium (Halle 1987), Wiesbaden 1996, pp. 1-6. – Pour un état géné- ral de la recherche sur le Fihrist, voir Devin J. Stewart, “Scholarship on the Fihrist of Ibn al- Nadīm. The Work of Valeriy V. Polosin,” Al-ʿUṣur al-Wusṭa 18 i (April 2006), pp. 8-13. 5 Ibn Ḥajar al-ʿAsqalānī, Lisān al-mīzān, vol. 5, p. 271. Voir aussi Johann Fück, “Neue Mate- rialien zum Fihrist,” Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft 90 (1936), p. 317. 6 Voir Daniel Gimaret, “Matériaux pour une bibliographie des Ǧubbāʾī,” Journal Asiatique 264 (1976), pp. 277-332; idem, “Matériaux pour une bibliographie des Jubba’i. Note com- plémentaire,” dans Islamic theology and philosophy. Studies in honor of G.F. Hourani, éd. Mi- chael E. Marmura, Albany 1984, pp. 31-38. 7 La seule exception est d’al-Jundārī (m. 1337/1918), qui cite normalement les sources plus anciennes. Dans la notice biographique qu’il a consacrée à al-Jubbāʾī (voir “Tarājim al-rijāl al-madhkūra fī Sharḥ al-azhār,” repris dans l’introduction d’Ibn al-Murtaḍā, Sharh al-azhār 1-4, Ṣanʿāʾ 1400/1980, vol. 1, p. 35), al-Jundārī écrit: wa-lahū Maqālāt mashhūra fī l-awwalīn. Il est peu probable, nous semble-t-il, qu’al-Jundārī entende par cela un ouvrage. Il est sans doute question des doctrines théologiques d’al-Jubbāʾī. ABŪ ʿALĪ AL-JUBBĀʾĪ ET SON LIVRE AL-MAQĀLĀT 23 Cela dit, certaines raisons nous incitent à penser qu’il avait rédigé une œuvre portant ce nom. Ainsi, ʿAbd al-Jabbār, au début de son livre Faḍl al-iʿtizāl, cite-t-il plusieurs passages d’al-Jubbāʾī qui ont trait aux questions d’hérésiographie.8 En outre, sur un point précis, il compare la thèse d’al-Jubbāʾī à celle d’Abu l-Qāsim al-Balkhī (m. 319/932).9 Puisque, dans le cas de ce dernier, il s’agit de son livre sur l’hérésiographie intitulé Kitāb al-Maqālāt, on peut supposer que le livre d’al- Jubbāʾī cité par ʿAbd al-Jabbār ait aussi traité du même thème et se soit égale- ment intitulé al-Maqālāt, à l’instar des autres œuvres de cette époque appartenant à ce genre de littérature. De plus, un passage de Yūsuf b. Muḥammad al-Ḥajūrī (première moitié du 7ème/13ème siècle) dans son ouvrage intitulé Rawḍat al-akhbār wa-kunūz al-asrār, se révèle particulièrement éclairant sur la question. Al-Ḥajūrī écrit en effet: wa-Abū ʿAlī al-Jubbāʾī al-Baṣrī Muḥammad b. ʿAbd al-Wahhāb ṣannafa fī l-Maqālāt, indiquant ainsi qu’Abū ʿAlī al-Jubbāʾī aurait composé un ouvrage intitulé al-Maqālāt.10 Par ailleurs, Sulaymān b. Muḥammad al-Muḥallī (milieu du 6ème/12ème siècle), savant zaydite de la branche muṭarrifite, dans son ouvrage inédit intitulé al-Burhān al- rāʾiq, mentionne un Kitāb al-Maqālāt d’Abū ʿAlī al-Jubbāʾī.11 On trouve égale- ment, chez un autre savant zaydite du Yémen, quelques pages d’un Kitāb al-Maqālāt qu’il attribue explicitement à al-Jubbāʾī. Il s’agit de l’ouvrage intitulé al-ʿIqd al-naḍīd de Fakhr al-Dīn ʿAbd Allāh b. al-Hādī b. Yaḥyā b. Ḥamza (m. ca. 793/1391).12 On peut donc déduire qu’al-Jubbāʾī a composé un livre traitant d’hérésiographie intitulé al-Maqālāt et que, jusqu’à une date assez tardive, ce livre a été à la disposition de certains auteurs zaydites du Yémen. De fait, le copiste d’un vieux manuscrit de Kitāb al-Taḥrīsh conservé à la biblio- thèque de la mosquée à Shahāra (Yémen) – et dont l’auteur nous semble être Ḍirār b. ʿAmr (m. circa 200/815)13 – cite en première page le Kitāb al-Maqālāt d’al-Jubbāʾī (f. 59a) : qāla Abū ʿAlī al-Jubbāʾī fī Kitāb al-Maqālāt mā lafẓuhū wa- kāna waḍaʿa yaʿnī Ḍirār fī tilka l-ayyām Kitāb al-Taḥrīsh wa-kāna Ḍirār kūfiyan nāṣibiyan fī kalām ṭawīl dhakara fihī annahu tāba ʿalā yaday ʿAlī al-Aswārī. De façon intéressante, on trouve dans le même recueil de textes un traité d’hérésiographie (ff. 115a-172b) dont la première feuille, uploads/Litterature/ 2007-abu-ali-al-jubba-i-et-son-livre-al-pdf.pdf
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- Publié le Nov 30, 2022
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