Francophonie plurielle: l’expression d’une nouvelle identité culturelle1 Josefi
Francophonie plurielle: l’expression d’une nouvelle identité culturelle1 Josefina Bueno Alonso Universidad de Alicante Bien que francophonie rassemble, a priori, par rapport à un seul critère –celui de la langue française-, ce terme matérialise plus que jamais la diversité2 linguistique et culturelle des peuples; retenons, comme exemple, la phrase d’ouverture du roman de Calixte Beyala (1996): «Le Français est francophone mais la francophonie n’est pas française». Dans cette communication j’aborderai la notion de «francophonie» en analysant sa définition d’un point de vue diachronique et à partir de celle-ci, je situerai la littérature francophone par rapport à la littérature française et par rapport à d’autres littératures qui partagent des caractéristiques similaires. Ensuite, considérant la littérature francophone comme un espace privilégié où s’expriment des identités culturelles différentes, j’aborderai quelques spécificités des textes francophones et le rapport de ceux-ci avec la littérature française. Qu’est-ce que la Francophonie? Francophonie est actuellement un terme qui connaît un essor considérable aussi bien dans un contexte culturel qu’administratif. Pour ce qui est de son 685 1. “Identité culturelle: une identité questionnante, où la relation à l’autre détermine l’être sans le figer d’un poids tyrannique. C’est ce qu’on voit partout au monde: chacun veut se nommer soi- même.” (Glissant, 1981: 283). 2. Je renvoie aux notions de Même et de Divers rendues par E. Glissant: Même représente l’u- nivers transcendantal imposé de manière féconde par l’Occident, face à l’ensemble diffracté du Divers, conquis de manière non moins féconde par les peuples qui ont arraché aujourd’hui leur droit à la présence au monde. (Glissant, 1981: 190) parcours, on attribue à Onésime Reclus l’invention vers 1880 du mot francophonie, pour désigner la zone d’influence française en Afrique, suite au partage colonial opéré par le traité de Berlin en 1878. Après une éclipse de plus d’un siècle, le mot est réapparu à l’occasion de la publication d’un numéro spécial de la revue Esprit en 1962. Née de la reúnion d’anciennes colonies de l’Empire français –d’Afrique occidentale et des antilles, du Maghreb, d’Indochine- dans un espace culturel et économique délimité par la langue française, la francophonie apparaît d’abord comme éminemment politique. Avant de désigner un champ linguistique, et par là une littérature, la francophonie circonscrit un espace géopolitique, une zone d’influence comparable à celle du Commonwealth britannique (Combe, 1995: 13, 14). À partir de ce concept, le terme de francophonie ne serait pas neutre à la différence de celui d’anglophonie ou celui d’hispanophonie. Les connotations politiques ont parfois forcé à la dénomination «d’expression française» ou «de langue française» cependant une fois les tutelles coloniales effacées et constatant que les autres dénominations ne sont pas exemptes de connotations, le terme de francophonie souligne sa double appartenance: si bien la francophonie rassemble autour d’un élément linguistique commun, elle rend tout aussi bien la diversité sur laquelle elle s’origine. À ce propos, je renvoie à la définition de Francophonie donnée par Jean-Louis Joubert dans l’Encyclopaedia Universalis: La langue française n’est donc plus la propriété exclusive du peuple français: les Français sont même minoritaires parmi les utilisateurs du français. Cependant, la dispersion francophone vient conforter l’ambition de ceux qui veulent maintenir la langue française à son rang de langue internationale: on insiste alors sur l’unité du français. À l’inverse, le désir d’autonomie et d’affirmation culturelle de chaque groupe francophone tend à faire émerger les particularismes: on découvre alors la diversité des français. Actuellement l’adjectif francophone l’emporte et la francophonie se définit de façon minimale comme le fait de parler français et la littérature francophone comme le fait de choisir la langue française pour écrire. Si d’un point de vue géographique et administratif l’ampleur du territoire de la francophonie est considérable, d’un point de vue culturel, nous assistons à un grand nombre d’écrivains de provenance «hors hexagone» qui parsème le panorama littéraire français. Retenons comme simple exemple les prix littéraires remportés par des écrivains francophones (Ben Jelloun, Chamoiseau, Maalouf, Kourouma, etc.). En analysant le parcours des littératures francophones, nous nous apercevons qu’elles sont entre autres la manifestation artistique d’une réalité sociale et historique et qu’elles remettent en question un nouveau concept d’identité, voire même, un nouveau concept de littérature nationale. 686 JOSEFINA BUENO ALONSO Qu’est-ce qu’un écrivain francophone? Qu’est-ce qui fait qu’un écrivain, une oeuvre littéraire de langue française acceptent ou non un adjectif pour définir leur appartenance: écrivain belge, poète haïtien? Une des affirmations admises par la plupart des critiques est que l’appartenance littéraire d’une oeuvre tient moins à son origine stricto sensu qu’à la «circulation littéraire» dans laquelle elle entre. On dit qu’un texte est algérien ou maghrébin si dans son écriture et par sa lecture il renvoit, il façonne la culture maghrébine. Dans la réalité cette opposition n’est pas aussi rigide et certains textes jouent sur les deux tableaux: français si on les lit d’un point de vue français, francophones si on décentre le point de vue. D’autres glissent avec le temps d’une appartenance littéraire à une autre. Mais parler de l’appartenance littéraire d’un texte implique avant tout une réflexion sur l’identité francophone et son rapport avec le texte littéraire. Être francophone est loin d’être toujours, chez un individu, l’identité dominante autour de laquelle les autres s’organisent. Bien souvent la religion, l’ethnie, l’âge ou la couleur de la peau l’emportent sur l’identité francophone. Comme l’indique J.M. Grassin (1999: 304), «être wallon c’est être aussi francophone, être rwandais, c’est être aussi ou d’abord tutsi ou hutu et, accessoirement francophones». J’insisterai à ce propos sur la notion d’identité définie par A. Maalouf et de l’importance qu’il donne aux différentes appartenances: L’identité de chaque personne est constituée d’une foule d’éléments qui ne se limitent évidemment pas à ceux qui figurent sur les régistres officiels. Il y a, bien sûr, pour la grande majorité des gens, l’appartenance à une tradition religieuse; à une nationalité, parfois deux; à un groupe ethnique ou linguistique; à une famille plus ou moins élargie; à une profession; à une institution; à un certain milieu social… (Maalouf, 1998: 19) L’identité francophone est paradoxale: née dans la plupart des cas dans le contexte de la colonisation, elle émerge à partir de la déconstruction d’une littérature dominante et d’une langue dominante et elle est marquée par l’hétérogène. À travers ses oeuvres, les écrivains francophones contribuent à modifier le système des valeurs, les rapports avec la langue, la définition de la littérature française, la conception de la littérature et sa fonction. Les littératures francophones naissent souvent dans des situations de contacts et de déséquilibres culturels, souvent hérités de la période coloniale. Leur français n’est pas nécessairement la langue maternelle des écrivains (ni de leurs lecteurs): il exhibe les traces de tensions et de déchirements, la présence sous-jacente des autres langues utilisées par les communautés francophones. Voici comment définit le narrateur du roman d’Ahmadou Kourouma –un enfant soldat qui raconte la guerre du Libéria- les différents destinataires de son texte: 687 FRANCOPHONIE PLURIELLE: L’EXPRESSION D’UNE NOUVELLE IDENTITÉ CULTURELLE Pour raconter ma vie de merde, de bordel de vie dans un parler approximatif, un français passable, pour ne pas mélanger les pédales dans les grots mots, je possède quatre dictionnaires. Primo le dictionnaire Larousse et le Petit Robert, secundo l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire et tertio le dictionnaire Harrap’s. (Kourouma, 2000: 11) Tenant compte de la diversité linguistique, géographique et culturelle de ses lecteurs potentiels, le premier lui sert à «vérifier et expliquer les gros mots du français de France aux noirs indigènes d’Afrique», le deuxième «explique les gros mots aux toubabs (signifie blanc) français de France» et le Harrap’s «explique les gros mots pidgin à tout francophone qui ne comprend rien au pidgin». Il s’agit d’un français «colonisé» à la limite même du lisible. Azouz Begag, écrivain français de parents algériens, écrit son roman Le gone du Chaâba dans un français qui est le résultat du parler des natifs de Sétif (Algérie) et le parler des natifs de Lyon. Incorporant à la fin du livre un petit dictionnaire, l’auteur fournit une brève explication de ce qu’il nomme la phraséologie bouzidienne. Du point de vue de la réception, les textes francophones, par leur polyphonie, interdisent toute appropriation univoque. Écrits vers deux ou plusieurs publics, partagés par leur appartenance souvent conflictuelle à plusieurs cultures, ils se gonflent de sens en excès. Le lecteur français saura mal déchiffrer tout l’implicite culturel de la civilisation à laquelle réfère l’écrivain. Un exemple est celui du roman de Tahar Ben Jelloun La nuit sacrée qui narre l’histoire de la septième fille d’une famille que l’autorité patriarcale convertie en garçon. Lors du décès, la vingt-septième nuit du Ramadan, aura lieu l’aveu et le repentir: Ce fut au cours de cette nuit sacrée, la vingt-septième du mois du Ramadan, nuit de la «descente» du Livre de la communauté musulmane, où les destins des êtres sont scellés, que mon père, alors mourant, me convoqua à son chevet et me libéra. (Ben Jelloun, 1987: 22) Il est nécessaire, pour comprendre l’ampleur de la scène, de souligner que dans la religion islamique ce fut cette nuit où eut lieu la révélation du Coran au prophète Mahomet uploads/Litterature/ 3-francophonieplurielle.pdf
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- Publié le Aoû 01, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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