« JE SUIS UNE AFRICAINE... J'AI VINGT ANS » Écrits féminins et modernité en Afr
« JE SUIS UNE AFRICAINE... J'AI VINGT ANS » Écrits féminins et modernité en Afrique occidentale française (c. 1940-c. 1950) Pascale Barthélémy Éditions de l'EHESS | « Annales. Histoire, Sciences Sociales » 2009/4 64e année | pages 825 à 852 ISSN 0395-2649 ISBN 9782713222023 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-annales-2009-4-page-825.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de l'EHESS. © Éditions de l'EHESS. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Mon sang est resté païen dans mes veines civilisées et se révolte et piaffe aux sons des tam-tams noirs 1. » En 1975, année internationale de la femme pour les Nations Unies, deux récits autobiographiques de femmes africaines de génération différente rencontrent un succès public. Aoua Keita, née en 1912 à Bamako et qui obtint son diplôme de sage-femme de l’École de médecine de l’Afrique occidentale française (AOF) 2 en 1931, publie l’histoire de sa vie professionnelle et de son engagement dans la lutte pour l’indépendance du Soudan français 3. Nafissatou Diallo, née en 1941 au 1 - Mariama BÂ, « Ma petite patrie », Notes africaines, Bulletin d’information et de correspon- dance de l’Institut français d’Afrique noire, 35, 1947, reproduit dans Esi SUTHERLAND-ADDY et Aminata DIAW (dir.), Des femmes écrivent l’Afrique. L’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Paris, Karthala, 2007, p. 277. 2 - Cette entité administrative, créée le 16 juin 1895, a été organisée sous sa forme définitive entre 1902 et 1904, mais n’intègre que progressivement les différentes colo- nies. Composée au début du XXe siècle de cinq territoires – le Sénégal, le Haut-Sénégal- Niger, la Côte-d’Ivoire, la Guinée et le Dahomey –, l’AOF se transforme en 1919 en détachant une partie du Haut-Sénégal-Niger, qui devient la Haute-Volta, d’un territoire rebaptisé Soudan français (actuel Mali). La Mauritanie est incorporée à l’ensemble en 1920, le territoire militaire du Niger en 1922. Les seules modifications importantes de cette structure sont la disparition, entre 1932 et 1947, de la Haute-Volta alors partagée entre la Côte-d’Ivoire, le Niger et le Soudan français, et l’adjonction de la partie française de l’ex-Togo allemand, sous mandat de la SDN à partir de 1919, mais qui dépend du gouverneur général de l’AOF à partir de 1936. 3 - Aoua KEITA, Femme d’Afrique : la vie d’Aoua Keita racontée par elle-même, Paris, Présence africaine, 1975. Sur le parcours politique d’A. Keita devenue la première députée du Mali indépendant, voir Jane TURRITTIN, « Aoua Keita and the nascent women’s move- ment in the French Soudan », African Studies Review, 36-1, 1993, p. 58-89 et, à titre de Annales HSS, juillet-août 2009, n°4, p. 825-852. 8 2 5 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.68.111.151 - 08/11/2019 22:26 - © Éditions de l'EHESS Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.68.111.151 - 08/11/2019 22:26 - © Éditions de l'EHESS P A S C A L E B A R T H É L É M Y Sénégal, retrace les premières années d’une enfance passée à Dakar, entre le quar- tier africain de Tilène et le Plateau, réservé aux Européens 4. Tandis qu’en 1958, à la veille des indépendances, un premier texte autobiographique de la Camerou- naise Marie-Claire Matip était demeuré confidentiel 5, le contexte des années 1970 rend audible la voix des Africaines. Le romancier sénégalais Cheikh Hamidou Kane observe alors : « Parmi les enfants de l’Afrique qui se sont livrés à l’entreprise d’écrire, entreprise étrange pour leur culture originale, les filles de l’Afrique ont, jusqu’à présent, figuré en très petit nombre. Le fait s’explique aisément par le retard de la scolarisation des filles, par une plus grande réticence de la femme à s’éloigner des normes de la tradition et à adopter des modes d’expression étran- gers 6. » Les historiens des littératures africaines rejoignent son analyse et datent des années 1970 l’émergence d’une écriture féminine d’expression française au sud du Sahara. De plus en plus nombreux, des romans, nouvelles, essais, contes et poèmes écrits par des Africaines prennent alors pour objet la condition féminine sur le continent, le plus souvent décrite au travers du prisme modernité/tradition 7. En 1978, Awa Thiam donne « la parole aux négresses » et transgresse le tabou de l’excision 8 ; un an plus tard, le premier roman de Mariama Bâ, Une si longue lettre, affronte la question de la polygamie 9. Or ce récit épistolaire, appelé à une postérité internationale et couronné par le prix Noma de la foire du livre de Francfort en 1981, n’est pas le premier texte publié de M. Bâ. Trente-deux ans auparavant, en 1947, alors que les liens entre la France et son empire colonial viennent d’être redéfinis dans le cadre de l’Union française, la jeune fille, âgée de 18 ans et élève en dernière année à l’École normale de jeunes filles de l’AOF, voit l’une de ses compositions françaises paraître dans Notes comparaison, le témoignage d’une pionnière de la lutte pour l’indépendance au Congo belge, Andrée BLOUIN, My country, Africa: Autobiography of the black pasionaria, New York, Praeger, 1983. 4 - Nafissatou DIALLO, De Tilène au Plateau : une enfance dakaroise, Dakar/Abidjan, Nou- velles éditions africaines, 1976. 5 - Marie-Claire MATIP, Ngonda, Douala/Yaoundé, Librairie Au messager, 1958. 6 - Préface à Simone KAYA, Les danseuses d’impé-eya. Jeunes filles à Abidjan, Abidjan, INADES, 1976, p. 9. Cheikh Hamidou KANE, L’aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961, fut l’un des premiers écrivains à explorer la confrontation entre les populations africaines et l’école coloniale. 7 - Voir Pierrette HERZBERGER-FOFANA, Littérature féminine francophone d’Afrique noire. Suivi d’un Dictionnaire des romancières, Paris, L’Harmattan, 2000 ; Beverley ORMEROD et Jean-Marie VOLET, Romancières africaines d’expression française, le Sud du Sahara, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Christopher L. MILLER, Theories of Africans: Francophone literature and anthropology in Africa, Chicago, The University of Chicago Press, 1990 et la présenta- tion élargie aux auteures anglophones de Brenda F. BERRIAN, Bibliography of African women writers and journalists: Ancient Egypt-1984, Washington, Three Continents Press, 1985. 8 - Awa THIAM, La parole aux négresses, Paris, Gonthier-Denoël, 1978. 9 - Mariama BÂ, Une si longue lettre, Dakar/Abidjan/Lomé, Nouvelles éditions africaines, 1979. Une biographie romancée a été récemment publiée par une fille de l’écrivaine : Mame Coumba N’DIAYE, Mariama Bâ ou les allées d’un destin, Dakar, Les Nouvelles éditions africaines du Sénégal, 2007. 8 2 6 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.68.111.151 - 08/11/2019 22:26 - © Éditions de l'EHESS Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 201.68.111.151 - 08/11/2019 22:26 - © Éditions de l'EHESS É C R I T U R E S A F R I C A I N E S E T S O C I É T É S C O L O N I A L E S africaines 10. Au fil de deux courtes pages intitulées « Ma petite patrie » et censées illustrer les vers de Chateaubriand « Combien j’ai douce souvenance/Du joli lieu de ma naissance », M. Bâ témoigne de qualités littéraires qui séduisent Emmanuel Mounier et Maurice Genevoix, de passage successivement au Sénégal cette année- là. Le directeur d’Esprit soutient la publication du texte qu’il insère également dans le récit de son périple africain 11. L’écrivain réserve à ce devoir plusieurs pages d’Afrique blanche, Afrique noire et ne dissimule pas son admiration : « En fait de document humain, en voici un s’il en peut être. Les dons personnels y éclatent, mais sa portée, à mon sentiment, dépasse le cas particulier 12. » Malgré son caractère exceptionnel, ce texte n’est pas le premier à être écrit et publié par une jeune fille africaine avant les indépendances. Des articles de presse, signés en 1942 dans l’hebdomadaire Dakar-Jeunes à l’occasion d’une enquête sur « l’évolution culturelle en AOF » 13, des correspondances échangées pendant ou après les études témoignent de l’appropriation de l’écriture en langue française par un petit groupe de femmes. Ces écrits sont jusqu’ici restés dans l’ombre, ignorés ou considérés comme peu dignes d’intérêt pour l’historien. Or, comme le montre une historiographie récente sur les colonies anglaises, la « bibliothèque coloniale » et uploads/Litterature/ 4-barthelemy-pascale-je-suis-une-africaine-j-x27-ai-vingt-ans-ecrits-feminins-et-modernite-en-afrique-occidentale-francaise-28p.pdf
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- Publié le Nov 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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