Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1976

Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1976 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 21 jan. 2022 02:58 Études littéraires Littérature et philosophie Guy Bouchard Littérature et philosophie Volume 9, numéro 3, décembre 1976 URI : https://id.erudit.org/iderudit/500415ar DOI : https://doi.org/10.7202/500415ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des littératures de l'Université Laval ISSN 0014-214X (imprimé) 1708-9069 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bouchard, G. (1976). Littérature et philosophie. Études littéraires, 9(3), 435–468. https://doi.org/10.7202/500415ar LITTÉRATURE ET PHILOSOPHIE guy bouchard Pourquoi est-ce que les ouvrages des Anciens ont un si grand caractère ? C'est qu'ils avaient tous fréquenté les écoles des philosophes. (Diderot) L'intérêt des philosophes pour la littérature est presque aussi ancien que la philosophie occidentale elle-même. « Puisque tous, dès le début, ont appris d'Homère », recon- naissait le Présocratique Xénophane1. Heraclite, pour sa part, admettait qu'Homère était « le plus sage des Hellènes ».2 Pla- ton, imprégné des poèmes homériques au point qu'ils affleu- rent en nombre de ses dialogues, est tellement fasciné par la littérature qu'il la pratique au moment même où il la con- damne, par exemple dans la République et dans les Lois, en exposant ses idées par l'entremise de personnages et dans une forme, le dialogue, qui n'est certes pas la forme habituelle du discours philosophique3. Quant à Aristote, après avoir déclaré que l'étonnement est à la source de la philosophie, il ajoute que « même l'amour des mythes est, en quelque ma- 1 Fragment 10, Les penseurs grecs avant Socrate (Jean Voilquin éd.), Paris, Garnier-Flammarion, 1964, p. 64. 2 Fragment 56, Les penseurs grecs avant Socrate, p. 77. 3 Selon Irwin Edman (The Works of Plato, New York, The Modem Library, 1928, p. XI), les écrits de Platon sont uniques dans l'histoire de la littérature et dans celle de la philosophie, en ce que la pensée, au lieu d'y être exposée dogmatiquement, s'y exprime en des drames. Schleiermacher (Introduc- tions to the Dialogues of Plato, New York, Arno Press, 1973, p. 5), parlant de la difficulté que l'on éprouve à comprendre intégralement un philosophe si on ne lui est pas sympathique, ajoute : « a peculiar and additional cause exist as regards Plato, in his utter déviation from the ordinary forms of philosophical communication ». Selon Léon Robin (Platon, Paris, Félix Alcan, 1935, p. 20) : « il ne semble pas qu'avant Platon le dialogue ait jamais été employé par un philosophe pour exprimer sa pensée». Et Alexandre Koyré (Introduction à la lecture de Platon, New York, Brentano's, 1945, p. 28) signale que le mode d'exposition tellement par- ticulier qu'utilise Platon ne rend pas facilement accessible la doctrine socratique exposée dans les premiers dialogues. ETUDES LITTERAIRES — DECEMBRE 1976 436 nière, amour de la sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux ».4 Or cet intérêt de la philosophie pour la littérature, que l'on pourrait tout aussi bien retrouver dans les déclarations de dizaines de philosophes contemporains, il nous semble préférable d'en déceler et illustrer5 les principales formes, ce qui nous permettra de mieux situer les textes rassemblés dans le présent numéro & Études littéraires. Ces formes se regroupent en deux grandes catégories, selon que la littérature est considérée comme objet ou comme élément du discours philosophique. Avant d'aborder ces catégories, il importe toutefois de préciser en quel sens nous employons le mot « littérature ». 1. La notion de littérature L'adjectif « littéraire » provient du latin littera, « lettre » : étymologiquement, il désigne donc non le langage en général, mais le langage écrit. Quant au terme « littérature », il n'a commencé à acquérir son acception moderne qu'au milieu du XVIIIeme siècle. Robert Escarpit6 en a recensé six acceptions principales : 1) la culture; 2) la condition de l'écrivain; 3) les belles-lettres; 4) les oeuvres littéraires; 5) l'histoire littéraire; 6) la science littéraire. Négligeons les deux premières accep- tions, périmées aujourd'hui, ou d'emploi peu fréquent; les sens 5 et 6 dépendent manifestement des sens 3 et 4, car l'objet de l'histoire et de la science littéraires variera selon qu'on 4 Métaphysique 1.1 (trad. Tricot), Paris, Vrin, 1964, A. 2, 982 b 16-18. Thomas d'Aquin (In XII libros metaphysicorum expositio, Turin, Marietti, 1964,1, 3, n. 55) précise comme suit la pensée du Stagirite: de ce que l'admiration fut la cause induisant à la philosophie, il appert que le philosophe est en quelque manière un « philomythes », autrement dit un amateur de fables, ce qui est le propre des poètes : c'est pourquoi les premiers qui ont traité des principes des choses selon le mode de l'affabulation sont appelés poètes théologiens; or si le philosophe se compare au poète: c'est que l'un et l'autre se préoccupent de choses étonnantes. 5 Ces formes ne se trouvent pas souvent à l'état pur dans les textes philosophiques. Qu'on nous pardonne donc de n'utiliser certains textes que dans un sens très limité, et parfois des plus secondaire par rapport aux préoccupations de leurs auteurs. 6 Le littéraire et le social, Paris, Flammation, 1970, pp. 260-263. LITTERATURE ET PHILOSOPHIE 437 entendra par « littérature » soit les belles-lettres, soit les oeuvres littéraires. Or, des « belles-lettres » Escarpit rassem- ble cinq définitions : a) art de l'expression intellectuelle; b) art d'écrire des oeuvres possédant une valeur durable; c) art d'écrire, par opposition aux autres arts; d) art d'écrire, par opposition aux usages fonctionnels de l'écriture; e) rhétorique artificielle. L'expression « oeuvres littéraires » englobe, elle : a) l'ensemble de la production littéraire; b) l'ensemble des écrits d'une époque, d'un pays, d'une région, c) une catégorie d'oeuvres spécialisées constituant un genre littéraire; d) une catégorie d'oeuvres linguistiques non écrites (littérature orale, cinématographique, etc.); e) une bibliographie, un re- censement d'oeuvres d'une catégorie donnée. L'opposition entre « bel les-lettres » et « oeuvres littéraires » renvoie mani- festement à l'opposition entre art et oeuvre, entre production et produit. Tout comme « la peinture » peut correspondre soit à l'activité du peintre, soit aux oeuvres issues de cette activité, ainsi « littérature » désignerait soit l'activité de l'écrivain, soit les résultats de cette activité. Mais « la peinture » ne désigne habituellement ni l'histoire de cet art, ni la science qui l'étudié : aussi n'emploierons-nous pas le mot « littérature » pour désigner l'histoire et la science littéraires. Reste à savoir si nous parlerons de la littérature comme activité de produc- tion ou comme ensemble de produits. Or, à propos d'un art quelconque, les questions que l'on se pose portent habituel- lement sur l'artiste et le processus de production, sur le pro- duit lui-même, ou sur la consommation et le consommateur7 de ce produit. À s'en tenir aux deux grandes acceptions du terme « littérature » que nous avons retenues, il est clair que le dernier aspect, celui de la consommation, serait escamoté. Il est donc préférable de reconnaître d'emblée que la littérature, comme les autres formes d'art, définit un champ global, celui de l'activité littéraire, à l'intérieur duquel trois aspects fon- damentaux peuvent être découpés. Mais en présupposant ainsi que certains produits littéraires se comparent aux oeuvres picturales, ou musicales, etc., en ce qu'ils remplissent 7 Pour désigner globalement le lecteur, l'auditeur ou le spectateur d'une oeuvre d'art, et pour distinguer en même temps leur activité de celle des autres types de consommateurs, nous utiliserons désormais le terme « esthète ». ETUDES LITTERAIRES —DÉCEMBRE 1976 438 comme ces oeuvres, une fonction esthétique, nous opérons un choix parmi les cinq emplois du mot « littérature » qui désignent des produits. Nous renonçons en effet au sen e, car lafinalitéd'unebibliographieestcognitive; ainsi qu'auxsensa et b, car l'ensemble de la production « littéraire », qu'il soit panchroniqueet pantopique ou limitéàuneépoqueet/ou àun lieu, englobe aussi bien les produits écrits à finalité non esthétique que les oeuvres littéraires8. Le sens c ne nous con- vient pas davantage : ce qui nous préoccupe, ce n'est pas tel genre littéraire donné (v.g. la « littérature » policière), mais la littérature comme genre. Le sens d ne nous retiendra pas non plus, car de même que l'écriture, dans sa version dite phonétique, conserve une certaine autonomie, de telle sorte qu'on a pu proposer la création d'une science autonome de l'écriture, la grammatologie9, de même les oeuvres écrites se distinguent des oeuvres orales et doivent être considérées en elles-mêmes : c'est donc à la littérature écrite que nous nous en tiendrons. Mais de même que la grammatologie, si pure soit-elle, ne peut faire complètement abstraction du langage oral dans la mesure où certains types d'écriture en dérivent, de même, dans le cas de la poésie par exemple, certaines références à la parole seront-elles uploads/Litterature/ 500415ar-2.pdf

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