TRANSMISSION TRADITIONNELLE D’UN SAVOIR SCIENTIFIQUE : L’ALCHIMIE Les noix ont
TRANSMISSION TRADITIONNELLE D’UN SAVOIR SCIENTIFIQUE : L’ALCHIMIE Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir. Florian Échelle de Jacob Cercle de Réflexion Universitaire du lycée Chateaubriand de Rennes - 1994-1995 64 TRANSMISSION TRADITIONNELLE D’UN SAVOIR SCIENTIFIQUE : L’ALCHIMIE INTRODUCTION En exergue d’une collection de livres de physique destinés aux élèves des classes préparatoires, se trouvait placée la pensée de Newton : « Nous puisons l’eau de l’océan avec une coquille ». Une telle invitation à la modestie, devant l’immensité de la tâche à accomplir lorsque nous entreprenons l’étude des lois de la nature est bien évidemment par- faitement justifiée au début d’un livre de physique. Je ne sais pas de quelle oeuvre de Newton la citation est tirée. Mais il se peut que son sens soit tout autre que celui que nous avons évoqué. Pour cela, nous devons préalablement dire quelques mots sur Isaac Newton. Isaac Newton est né en 1642, il est le fils posthume d’un petit propriétaire ter- rien complètement illettré. Grâce à un oncle, il peut préparer l’entrée au Trinity College de Cambridge où il est reçu en 1661. De 1665 à 1667, il est obligé de retourner dans son village natal, la peste ayant éclaté à Cambridge. Au cours de ces deux années, alors qu’il n’est âgé que de 25 ans, il découvre le calcul infini- tésimal, la décomposition de la lumière et la loi mathématique de la gravitation universelle. Il commence à s’intéresser à l’alchimie et à expérimenter vers 1668. En 1669, il est nommé à la chaire de Mathématiques de l’université de Cambrid- ge, il publie progressivement ses résultats de mathématiques et de physique de 1672 à 1684. En 1672, il est fait membre de la Royal Society ( Sa chaire est aujourd’hui occupée par le cosmologiste S.Hawking ). En 1696, il est nommé ins- pecteur général de la Monnaie, nous savons par des témoignages de l’époque, qu’il effectue lui même, bien que cela ne lui soit pas demandé, toutes les opéra- tions chimiques et physiques alors utilisées. Il ne se livre pratiquement plus qu’à l’étude de l’alchimie, jusqu’à sa mort survenue en 1726, à l’âge de 84 ans. Il prend tout de même le temps de superviser les rééditions de ses traités de mathémati- ques et de physique. Ses notes relatives à l’alchimie n’ont jamais été publiées in- extenso, on estime cependant qu’elles représentent 70% de ses écrits. Nous pouvons donc affirmer que Newton, même s’il n’était pas un alchimiste, connaissait très bien le sujet ! Nous savons qu’il possédait les principaux traités d’alchimie célèbres à son époque et qu’il a effectué de nombreuses expériences. Il était donc nécessairement familiarisé avec leur langage. Il est maintenant temps de dire qu’au cours de l’élaboration du grand oeuvre, l’adepte de l’alchimie doit commencer par effectuer le voyage de Compostelle, à l’issue de ce voyage, le pèlerin alchimiste acquiert la coquille ( ou Mérelle ) et il pourra alors conserver l’eau de la mer hermétique. Ne serait-ce pas ce que Newton cherche ici à nous dire ? Cercle de Réflexion Universitaire du lycée Chateaubriand de Rennes - 1994-1995 TRANSMISSION TRADITIONNELLE D’UN SAVOIR SCIENTIFIQUE : L’ALCHIMIE 65 Depuis les origines, l’alchimie ou science hermétique utilise des discours à double sens pour cacher ses préoccupations. Ce procédé est connu sous le nom de diplomatie ou langage diplomatique. Un texte contient simultanément un discours exotérique, destiné au « grand public » et un discours ésotérique, des- tiné aux « initiés ». Le discours exotérique, dont le sens est déjà figuré a ici un sens essentiellement moral, le discours ésotérique beaucoup plus proche d’une certaine manière du sens propre évoquant le processus opératoire du grand oeuvre. Bien sûr, vous pouvez me reprocher de « forcer l’interprétation », afin de défendre une thèse préconçue. C’est vrai ! Je viens ici de reprendre un procédé très utilisé par les alchimistes et pas seu- lement par eux, grâce auxquels de très anciens enseignements ont pu survivre jusqu’à nos jours. Partant d’une citation intéressante, j’ai cherché une image pré- sente dans la très vaste littérature symbolique de l’alchimie, aussi proche que possible de la lettre de cette citation, à partir de ce moment, un double sens pou- vait aisément être attribué. De même, le vers de Florian que j’ai placé en tête de cette introduction n’a rien d’hermétique par lui même, mais il a été utilisé tel quel avec un sens très différent dont j’aurai l’occasion de parler, dans un traité d’alchimie contemporain. (Héraldique Alchimique Nouvelle de G.Camacho et A.Gruger, édition le Soleil noir, Paris 1978). Je me dois quand même de vous faire remarquer que, puisque Newton était un grand connaisseur (c’est vraiment le minimum que l’on puisse dire) de l’Alchi- mie, il n’est pas impossible que mon petit jeu comporte une part de vérité. Le nombre de traités d’alchimie connu est considérable. Le catalogue de Borel et Lengley-Dufresnoy, paru au XVIII ème siècle en recensait près de six mille rien que pour la France, le catalogue de la collection Ferguson, qui est contemporain en compte vingt mille ! De plus, ces traités sont pour le moins difficiles à lire, considérons par exemple l’avertissement du très ancien philosophe Artéphius. « Et de vrai, ne sait on pas que notre Art est un Art cabalistique ? Je veux dire qui ne se révèle que de bouche et est rempli de mystères ; et toi pauvre idiot que tu es, serais tu assez simple pour croire que nous enseignassions ouvertement et clai- rement le plus important de tous les secrets et pour prendre nos paroles à la lettre ? Je t’assure de bonne foi (car je ne suis point envieux comme les autres philoso- phes), je t’assure, dis je, que celui qui voudra expliquer ce que les alchimistes ont écrit selon le sens littéral et ordinaire des paroles, se trouvera engagé dans un labyrinthe d’où il ne se débarrassera jamais ; parce qu’il n’aura pas le fil d’Ariad- Cercle de Réflexion Universitaire du lycée Chateaubriand de Rennes - 1994-1995 66 TRANSMISSION TRADITIONNELLE D’UN SAVOIR SCIENTIFIQUE : L’ALCHIMIE ne pour se conduire et pour en sortir ; et quelque dépense qu’il fasse pour tra- vailler, ce sera tout autant d’argent perdu ». Mais alors, comment aborder la lecture des traités d’Alchimie ? René Alleau, dans Aspects de l’Alchimie traditionnelle, (Éditions de minuit 1953) nous suggère une attitude raisonnable : « Afin de donner un exemple clair nous prendrons celui du jeu d’échecs dont on connaît la simplicité relative des règles et des éléments ainsi que l’infinie variété des combinaisons. Si l’on suppose que l’ensemble des traités acroamati- ques(1) de l’alchimie se présente à nous comme autant de parties annotées en un langage conventionnel, il faut admettre, d’abord et honnêtement que nous igno- rons et les règles du jeu et le chiffre utilisé. Sinon, nous affirmons que l’indication cryptographique est composée de signes directement compréhensibles par Le jardin hermétique Cercle de Réflexion Universitaire du lycée Chateaubriand de Rennes - 1994-1995 TRANSMISSION TRADITIONNELLE D’UN SAVOIR SCIENTIFIQUE : L’ALCHIMIE 67 n’importe quel individu, ce qui est précisément l’illusion immédiate que doit pro- voquer un cryptogramme bien composé. Ainsi la prudence nous conseille-t-elle de ne pas nous laisser séduire par la tentation d’un sens clair et d’étudier ces tex- tes comme s’il s’agissait d’une langue inconnue » René Alleau explique ensuite que les messages contenus dans ces traités s’adressent avant tout aux initiés qui sont seuls capables d’en apprécier le con- tenu, mais que sont également visés les « initiables », qui à force d’efforts parvien- dront à se sortir du labyrinthe hermétique en dépit de l’absence du fil d’Ariadne. Lorsque je discute de la phrase de Newton, je ne fait pas que jouer avec les mots. Je cherche avant tout à déstabiliser le lecteur tout en lui donnant des élé- ments lui permettant de se faire une opinion. Le lecteur doit ensuite forger peu à peu ses propres convictions, et c’est là que réside le piège tendu par l’alchi- miste et dont très peu arrivent à se tirer. Il est toujours facile à partir des élé- ments fournis par les auteurs, en croyant reconnaître des notions familières, de se construire un système de pensée. Ce système de pensée fonctionne alors de manière autonome et finit par se satisfaire de lui-même, ce qui empêche alors définitivement l’impétrant d’atteindre une connaissance supérieure. Prenons un exemple simple, deux attitudes extrêmes peuvent être engen- drées par ma discussion de la coquille et de l’océan : •Une attitude scientiste. Newton est un génie en mathématiques et en physi- que qui sont des sciences sérieuses. Ses ratiocinations alchimiques montrent sim- plement qu’un génie aussi a des moments de fatigue, il ne faut pas en tenir compte. Il est par ailleurs proprement scandaleux que quelqu’un se permette d’en rajouter encore en plaquant des interprétations saugrenues sur une pensée dont la philosophie est évidente. •L’attitude de l’ésotériste. Les mathématiques et la physique sont des sciences inhumaines car trop contraignantes. L’alchimie est beaucoup plus poétique et fait partie du domaine du spirituel qui est le uploads/Litterature/ alchimie-transmission-traditionnelle-d-un-savoir.pdf
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- Publié le Jan 01, 2023
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