2 Nouvelle édition revue et corrigée : © Éditions Albin Michel S.A., 1991 Premi
2 Nouvelle édition revue et corrigée : © Éditions Albin Michel S.A., 1991 Première publication en 1978 aux Éditions Retz ISBN : 978-2-226-29363-3 Centre national du livre 3 DU MÊME AUTEUR AUX ÉDITIONS ALBIN MICHEL Satori, dix ans d’expérience avec un Maître Zen, coll. « Spiritualités vivantes », 1984. La Magie des plantes, coll. « Espaces libres », 1990. CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS L’Ordre des choses, préface de Gaston Bachelard, Plon, 1959. – 2 e édition, Julliard, 1986. L’Éphémère, Plon, 1960. L’Arbre, Delpire, 1962. L’Insecte, Delpire, 1968. L’Homme dans les bois, Stock, 1976. Arbres d’Europe occidentale, Bordas, 1977. Arbustes, arbrisseaux et lianes d’Europe occidentale, Bordas, 1979. Terres promises, Julliard, 1985. Les Arbres de France. Histoire et légendes, Plon, 1987. La Route des Épices (en collaboration), Bordas, 1987. Mythologie des arbres, Plon, 1989. 4 Collection « Espaces libres » dirigée par Marc de Smedt 5 Préface « Il y a deux Mme David-Neel, celle qui écrit et celle qui sait. » René Grousset Depuis qu’elle est morte centenaire en 1969, la gloire d’Alexandra David-Neel n’a cessé de croître et de se répandre. Elle a certainement plus de lecteurs aujourd’hui, en France et dans le monde, qu’elle en eut de son vivant. Et surtout, on lui rend enfin justice. L’audacieuse aventurière, l’intré- pide « reporter », la conférencière affairée ont cédé la place à une œuvre forte, devenue plus nécessaire depuis la destruction du Tibet traditionnel et la dispersion des lamas. Si ces derniers ont trouvé en Europe et en Amérique aide et compréhension, c’est certainement en partie à la dame-lama qu’ils le doivent. Aussi, le quatorzième dalai-lama a-t-il tenu a faire lui-même le pèle- rinage à Samten Dzong, afin de rendre hommage à « la première bouddhiste de France ». À Digne, tout près de la demeure où elle a vécu et où elle est morte, Sa Sainteté a exposé le dharma du Bouddha, auquel Alexandra David- Neel initia l’Occident. Le présent ouvrage fut composé en 1977, alors qu’il n’existait aucune biographie d’elle. Il bénéficiait des précieux papiers inédits, mis généreuse- ment à ma disposition par Marie-Madeleine Peyronnet qui a veillé affectueu- sement sur Alexandra au cours de ses dix dernières années et, après sa mort, s’est consacrée avec un grand dévouement à la diffusion de son œuvre. Depuis lors, ont été publiés quelques nouveaux documents qui m’ont conduit à faire certaines mises à jour, mais n’ont nullement modifié le parti que 6 j’avais adopté : montrer le rôle durable joué par Alexandra David-Neel en recueillant, au cours de son très long séjour au Tibet, un nombre considérable de textes devenus introuvables et les enseignements oraux que les maîtres ne communiquent qu’à leurs proches disciples, et surtout exposer un parcours spirituel, complexe, mais toujours cohérent, en explicitant certains aspects restés allusifs, en reconstituant une démarche toute personnelle sur laquelle elle est demeurée, somme toute, très discrète. Enseignant cette doctrine que le Bouddha lui-même disait : « difficile à percevoir et à comprendre », inaccessible « aux hommes conduits par le désir…, incapables de comprendre la paix du cœur », j’ai de mieux en mieux apprécié l’exposé qu’en a donné pour notre temps Alexandra David-Neel. Si, dans certains de ses ouvrages, en bon « reporter orientaliste », ainsi qu’elle s’intitulait, elle en a privilégié le côté extérieur, le pittoresque, nul ne conteste plus aujourd’hui le sérieux de son information ni, moins encore, sa compré- hension du bouddhisme tibétain. Insistant constamment sur son essence même, Alexandra David-Neel n’a cessé de mettre en garde contre de vaines spéculations intellectuelles qui ne peuvent que déformer ce qui est une philo- sophie de la vie, c’est-à-dire une pratique, et même une pratique quotidienne, dont elle fut la première à donner l’exemple. 2 février 1991. 7 CHAPITRE 1 L’enfant que l’on n’attendait plus Le samedi 23 août 1969, Alexandra David-Neel leva les yeux du texte tibétain encore inconnu en Europe qu’elle était en train de déchiffrer, posa sa loupe, regarda par la fenêtre la pente boisée de la colline et, d’une voix calme et douce, dit à sa compagne, Marie-Madeleine Peyronnet : « Cette fois, Tor- tue, c’est bien la fin… Mon papa avait raison, cela se sent. » Elle n’était nul- lement inquiète, soulagée plutôt. Il y avait vraiment trop longtemps qu’elle attendait. Dix-sept jours plus tard, elle était morte, manquant de peu son cent unième anniversaire. Elle aurait de beaucoup préféré mourir là-haut, en pleine force, dans sa véritable patrie, les Himalayas ; elle supportait mal de se sentir de jour en jour affaiblie, plus dépendante aussi, car elle se voyait d’un œil demeuré inexorablement lucide. Quelque temps auparavant, celle qui veilla sur elle jusqu’à la dernière heure et qu’elle appelait affectueusement « Tortue 1 » lui ayant fait remar- quer : « Madame, permettez-moi de vous dire combien je vous trouve chan- gée depuis quelque temps. Vous devenez de plus en plus aimable, même gen- tille… C’est à peine croyable ! », s’entendit répliquer : « Mais tais-toi donc ! tu ne dis que des imbécillités. Tu es toquée, ma pauvre fille ! – Pas du tout. Je vous assure que je suis sincère. Oh ! bien sûr, lorsque je vous dis que vous êtes “gentille”, j’exagère peut-être un peu… Mais il est incontestable que vous êtes de plus en plus sociable, affable, voire même liante et généreuse. Tous ceux qui vous approchent s’en rendent également compte ; ils vous trouvent même très accueillante. – Est-ce que tu dis vrai ? 8 – Mais oui, parfaitement ! – Alors, il va falloir que je m’observe… C’est que je suis en train de devenir “gâteuse” 2. » Incontestablement cela lui fut épargné. Jusqu’au dernier instant, Alexan- dra David-Neel travailla, comme elle l’avait fait durant toute sa vie, car, pour elle, une journée sans « travail constructif » était une journée inutile. À sa mort elle laissait en chantier quatre ouvrages ; le dernier qu’elle publia, Qua- rante Siècles d’expansion chinoise, elle le termina à plus de quatre-vingt- quinze ans. Elle ne mourait pas oubliée du monde, comme on l’est toujours à cet âge, mais bien en pleine gloire, une gloire qu’elle n’avait nullement recherchée, qui lui était venue très tard et qui l’importunait, car elle n’aimait pas perdre son temps avec ce qui n’était pour elle que frivolité. Elle avait hâte de se remettre à ce travail dont on l’avait éloignée, à cette tâche énorme qu’elle s’était imposée, ou qui lui avait été imposée. À son mari, elle avait écrit un jour qu’il lui faudrait cent ans pour rendre publique l’énorme docu- mentation, en grande partie inédite, qu’elle avait accumulée au cours de ses voyages. Elle ne se doutait pas alors que cette longévité, on la lui accorderait, mais elle ne savait pas non plus que sa tâche, elle ne pourrait l’achever, car elle était réellement interminable. Quelque quatre-vingt-dix-neuf ans plus tôt, le 28 mai 1871, une toute petite fille de deux ans et demi s’accroche à la main de son père et, horrifiée, regarde l’affreux spectacle des cadavres que « hâtivement, on entasse dans les tranchées creusées à cette intention ». Ces cadavres, ce sont ceux des Fédérés de la Commune, qui se sont défendus à la baïonnette dans le cimetière du Père-Lachaise ; tous les survivants de cette lutte désespérée ont été fusillés en masse, la veille, devant ce mur qu’on appellera désormais le mur des Fédérés. Jusqu’à son dernier jour, Alexandra se souviendra de cette vision « vague », mais atroce. À quoi donc pensait ce père qui avait mené là son enfant ? Il voulait, nous dit-elle, qu’elle « gardât un souvenir impressionnant de la féro- cité humaine 3 ». Il n’y parvint que trop bien. En effet, il est hors de doute que 9 cette scène, par laquelle s’ouvre brutalement et bien précocement la vie consciente d’une petite fille, la marquera pour la vie. La misanthropie irrémé- diable d’Alexandra David-Neel est née là. Louis David n’était pourtant ni un père indigne ni un exalté. C’était un personnage mélancolique, refermé sur lui-même, un idéaliste chez qui, avec les années, s’était développé un sentiment de méfiance et d’éloignement à l’égard de l’humanité tout entière. Le portrait de lui que sa fille avait conservé 4 montre un homme accablé d’une profonde et incurable tristesse ; il est vrai qu’il date certainement des dernières années de sa vie. Louis-Pierre David descendait d’une famille qui, depuis des siècles, avait subi les plus dures et les plus continues des persécutions religieuses. Ses ancêtres lointains étaient des Montalbanais « qui, avant d’être huguenots, furent des Albigeois, et bien d’autres choses encore, toujours sur le chemin de ces hérésies ardentes et rudes en l’histoire desquelles ma jeunesse s’est complue 5 », devait écrire sa fille. Il est arrivé à Alexandra de dire : « Mon ancêtre, le roi David », mais ce n’était là qu’une plaisanterie. La famille David n’était nullement juive, mais appartenait de très longue date à la bonne bourgeoisie calviniste ; si nous jugeons utile de le signaler, c’est que, sans en donner aucune preuve, et uploads/Litterature/ alexandra-david-neel-brosse.pdf
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- Publié le Sep 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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