1. La notion de temps 1. Le temps, forme a priori 2. Le temps phénoménologique
1. La notion de temps 1. Le temps, forme a priori 2. Le temps phénoménologique 3. Le temps anthropologique 4. Le temps objectif 5. Le temps linguistique 2. Les temps verbaux et leurs usages narratifs 1. Valeurs et usages narratifs de l'opposition imparfait/passé simple 1. L'opposition aspectuelle entre imparfait et passé simple 2. La mise en relief 3. L'imparfait de rupture 4. L'imparfait itératif 2. Valeurs et usages narratifs du passé composé 1. Valeur d'accompli, valeur d'antériorité 2. Un temps peu narratif 3. L'exemple de L'Étranger 3. Valeurs et usages narratifs du présent 1. Présent d'énonciation 2. Présent gnomique 3. Présent historique 4. Présent de narration 5. Les indicateurs temporels 3. Le temps narratif 1. Le temps des récits 2. Le temps des fictions 3. T emps du récit, temps de l'histoire 1. Ordre 1. Analepses 2. Prolepses 2. Durée 1. Scène; sommaire 2. Pause; ellipse 3. Fréquence 4. T emps de l'histoire, temps de la narration 1. La double référence temporelle des récits 2. Fiction principale et fiction secondaire 3. Interférences temporelles Conclusion Bibliographie I. La notion de temps Par exemple: je saisis au vol le mot Temps. Ce mot était absolument limpide, précis, honnête et fidèle dans son service, tant qu'il jouait sa partie dans un propos, et qu'il était prononcé par quelqu'un qui voulait dire quelque chose. Mais le voici tout seul, pris par les ailes. Il se venge. Il nous fait croire qu'il a plus de sens qu'il n'a de fonctions. Il n'était qu'un moyen, et le voici devenu fin. Devenu l'objet d'un affreux désir philosophique. Il se change en énigme, en abîme, en tourment de la pensée... Paul Valéry, Variété Ce propos est significatif de l'embarras où nous nous trouvons chaque fois que se présente à notre esprit l'une ou l'autre des grandes notions qui caractérisent le propre de l'homme: par exemple l'amour, le désir, la mort. Le Temps fait assurément partie de ces repères qui, parce qu'ils sont cardinaux, sont difficiles à définir. À titre d'introduction, nous allons présenter quelques approches marquantes qui ont été proposées pour cerner cette notion. I.1. Le temps, forme a priori Kant, dans la Critique de la raison pure, nous invite à nous déprendre de l'idée que le temps aurait une existence objective: certes, il y a des changements réels dans le monde, et des changements ne sont possibles que dans le temps (1944, 65); mais cette réalité du changement, ajoute Kant, est toujours pour nous, les humains, qui la percevons. Hors de cette condition particulière de notre sensibilité, le concept de temps s'évanouit; il n'est pas inhérent aux objets eux-mêmes, mais simplement au sujet qui les intuitionne (ibid.). Nous ne connaîtrons jamais le monde en soi; notre monde humain est un monde phénoménal, un monde déterminé par ces deux formes premières (transcendantales, dit Kant) de l'intuition que sont l'espace et le temps. L'espace-temps détermine l'enceinte dans laquelle l'ensemble de l'expérience humaine possible est enclose nécessairement. I.2. Le temps phénoménologique Le romancier Claude Simon, dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, évoque le trouble magma d'émotions, de souvenirs, d'images qui se trouvent (1986, 25) en lui lorsqu'il est devant sa page blanche. Ce magma constitue, avec la langue, le seul bagage de l'écrivain: c'est que l'on écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s'est passé avant le travail d'écrire, mais bien ce qui se produit [...] au cours de ce travail, au présent de celui-ci (ibid.). Pour Claude Simon, l'écriture n'a qu'un seul temps, le présent. Mais n'est-ce pas là le cas de toutes les activités humaines? Le temps, disait Kant, ne nous attend pas hors de nous, déjà tout organisé; c'est notre conscience au contraire qui le déploie, à partir de sa présence au monde, en présent du futur, présent du présent et présent du passé. Telle est la conscience intime du temps, pour un phénoménologue comme Husserl: nous percevons quelque chose, voilà le présent; mais ce présent est parfois orienté vers l'attente, l'anticipation, et le futur apparaît. Ou c'est le passé qui se constitue, lorsque nous maintenons, aux marges de la conscience, ce qui vient d'avoir lieu: le passé immédiat qui sert de socle au souvenir et à la remémoration. I.3. Le temps anthropologique Quelques considérations d'André Leroi-Gourhan vont nous permettre de prolonger ces propos. Pour cet anthropologue, la conscience du temps puise son origine dans l'épaisseur de la vie sensitive (1965, 95). Ainsi, l'alternance du sommeil et de la veille, de l'appétit et de la digestion fournissent au temps son substrat rythmique viscéral; quant à la succession du jour et de la nuit, des saisons chaudes et des saisons froides, elle offre la rythmicité complexe et élastique d'un temps à l'état sauvage. Mais les rythmes naturels sont partagés par toute la matière vivante. Pour qu'ils se transforment en temps, il faut d'abord que l'homme les capture dans un dispositif symbolique. Ainsi, pour Leroi-Gourhan, le fait humain par excellence est peut-être moins la création de l'outil que la domestication du temps et de l'espace (1965, 139). Cette domestication apparaît de façon organisée avec les sociétés agricoles, lorsque le rythme des labours et des récoltes trouve son pendant dans un symbolisme temporel qui divinise le mouvement du soleil et des astres. Parallèlement, des spécialistes du temps (1965, 145) apparaissent: prêtres, dès lors que la marche normale de l'univers repose sur la ponctualité des sacrifices; ou soldats, qui ont besoin de s'appuyer sur un réseau rythmique rigoureux, matérialisé par les sonneries de trompes. (1965, 146) Dans les sociétés développées contemporaines, chacun est requis d'être un tel spécialiste: nul n'échappe au temps objectivé des horloges, qui ne compose avec personne, ni avec rien, pas même avec l'espace, puisque l'espace n'existe plus qu'en fonction du temps nécessaire pour le parcourir (1965, 147). Cet espace-temps surhumanisé signe le triomphe de l'espèce humaine. Triomphe ambigu, cependant, car ne sommes-nous pas en train de retrouver ainsi l'organisation des sociétés animales les plus parfaites, celles où l'individu n'existe que comme cellule (1965, 186)? I.4. Le temps objectif Le temps des horloges, dont Leroi-Gourhan craint qu'il ne finisse par nous avaler tout entiers, est une acquisition tardive de l'humanité. Fondé sur l'observation immémoriale du jeu des forces cosmiques – alternance du jour et de la nuit, trajet visible du soleil, phases de la lune, saisons du climat et de la végétation, etc. (Benveniste, 1974, 71), le temps objectif inscrit l'ordre cosmique dans un comput qui le rend disponible pour l'organisation de la vie en société. Ce temps socialisé se concrétise, poursuit le linguiste, sous la forme d'un calendrier. Le temps calendaire systématise la récurrence observable des phénomènes astronomiques en créant un répertoire d'unités de mesure correspondant à des intervalles constants (jour, mois, année); il organise ces segments temporels dans une chaîne chronique où les événements se disposent selon un ordre de succession avant/après. Enfin, tous les calendriers procèdent d'un moment axial qui fournit le point zéro du comput: un événement si important qu'il est censé donner aux choses un cours nouveau (naissance du Christ ou du Bouddha; avènement de tel souverain, etc.). (1974, 71) La société des hommes n'est pas pensable hors des contraintes qui président à l'invention du temps calendaire: sans les repérages fixes et immuables du calendrier, note encore Benveniste, tout notre univers mental s'en irait à la dérive [et] l'histoire entière parlerait le discours de la folie. (1974, 72) 1.5. Le temps linguistique Le calendrier fixe le temps chronique; toutefois, ce temps objectivé reste étranger au temps vécu tel que le décrit par exemple la philosophie phénoménologique. Or, affirme Benveniste, c'est par la langue que se manifeste l'expérience humaine du temps. Le temps linguistique n'est en aucune façon le décalque d'un temps défini hors de la langue, mais correspond à l'institution d'une expérience en propre: Ce que le temps linguistique a de singulier est qu'il est organiquement lié à l'exercice de la parole, qu'il se définit et s'ordonne comme fonction du discours (1974, 73). À ce titre, il est tout entier centré autour du présent, défini comme le moment où le locuteur parle. Par exemple, l'adverbe maintenant ne désigne rien d'autre que le moment où le locuteur dit maintenant. Comme l'explique Benveniste, le présent se renouvelle ou se réinvente chaque fois qu'un individu fait acte d'énonciation et s'approprie les formes de la langue en vue de communiquer. Le présent linguistique est ainsi le fondement de toutes les oppositions temporelles. En effet, la langue ne situe pas les temps non-présents selon une position qui leur serait propre, mais ne les envisage que par rapport au présent. Le présent, défini par sa coïncidence avec le moment de l'énonciation, trace une ligne de partage entre, d'une part, un moment qui ne lui est plus contemporain et, d'autre part, un moment qui ne lui est pas encore contemporain. En ce sens, le passé constitue l'antériorité du moment de l'énonciation, et le futur sa postériorité. C'est ce qui fait dire à Benveniste que la langue ordonn[e] le temps à partir d'un axe, et celui-ci est toujours et seulement l'instance de discours (1974, uploads/Litterature/ analyse-du-texte.pdf
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- Publié le Dec 06, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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