L’AGENT LITTÉRAIRE EN FRANCE RÉALITÉS ET PERSPECTIVES Étude réalisée par Juliet

L’AGENT LITTÉRAIRE EN FRANCE RÉALITÉS ET PERSPECTIVES Étude réalisée par Juliette JOSTE, éditeur free lance, pour le MOTif Juin 2010 Enquête menée de septembre 2009 à janvier 2010 En application de la réglementation en vigueur, il est interdit de reproduire cette étude intégralement ou partiellement, sur quelque support que ce soit, sans l’autorisation préalable écrite du MOTif ; cette étude ne peut faire l’objet d’aucune diffusion ou commerce sans l’autorisation préalable écrite du MOTif. 2 INTRODUCTION « Usurier », « chacal », « parasite », « amant adultère » : l’agent littéraire se voit souvent affublé de qualificatifs peu amènes. Pourquoi cette hostilité ? C’est ce qu’a voulu chercher à comprendre cette enquête dans le monde mystérieux et redouté des agents. Certains jugent d’ores et déjà que le temps de la guerre ouverte est révolu. Selon Publishing Perspectives, une newsletter consacrée à l’édition internationale, les agents littéraires français ont su faire évoluer l’édition et sont désormais bien acceptés1. Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant : en effet, l’agent littéraire est parfaitement entré dans les mœurs des pays occidentaux. A y regarder de près, on constate cependant que l’implantation des agents reste lente et limitée. La France résisterait-elle à ce qui apparaît aux uns comme une dangereuse invasion, et aux autres comme un processus d’assainissement des mœurs éditoriales ? Le premier à avoir ouvertement tenté d’imposer une activité de représentation d’auteurs à la fin des années 1980, François Samuelson, a dû se réorienter et développer une agence centrée sur l’audiovisuel. Depuis, à chaque épisode marquant une implantation des agents, la presse s’empare du « phénomène », oppose les points de vue et souligne le débat. Il est aujourd’hui légitime de se pencher posément sur la question. L’édition change, se normalise et se concentre en pôles de profit axés sur la rentabilité à court terme. Les transformations en cours du côté du numérique complexifient les enjeux et mettent en question l’alliance traditionnelle entre les auteurs et les éditeurs. Certains auteurs développent un panel d’activités qui ne peut se satisfaire du schéma classique et émettent des revendications diverses, sur un plan individuel et collectif. Il ne s’agit pas ici de prôner ou non un développement des agents littéraires. Celui-ci est engagé, même si le mouvement est progressif et l’explosion difficile à imaginer. Mais il est fondé de décrire le paysage des agents français et d’expliciter la résistance hexagonale en donnant la parole aux différents partenaires concernés. Enfin, la description des fonctions de l’agent permet d’aborder de façon pragmatique celle des relations entre auteur et éditeur. En offrant un panorama des façons de faire et des possibles évolutions, des craintes et des attentes, cette étude vise à donner aux acteurs du secteur des éléments pour comparer et peut-être améliorer leurs pratiques, en tenant mieux compte de la fragilité des auteurs. Par souci de cohérence, nous avons centré notre enquête sur l’édition littéraire, tout en abordant également le domaine de la non- fiction. 1 « French Literary Agents Stage a Quiet Revolution », Olivia Snaije, Publishing Perspectives.com, 15 décembre 2009. 3 Sur le sujet, les ressources disponibles en France sont essentiellement médiatiques. Il n’existe aucune étude de fond, universitaire ou livresque. A l’étranger, l’agent littéraire semble un non-sujet. Il fait l’objet de quelques mentions dans la presse lors d’événements particulièrement significatifs liés à des mouvements d’auteurs importants mais, de manière générale, la question de l’agent n’en est pas une. L’agent est là, il participe à la chaîne éditoriale à peu près comme le correcteur, le fabricant ou l’imprimeur. Cette étude repose essentiellement sur des entretiens avec des professionnels : 91 entretiens en face à face2, 13 réponses par mail et de nombreuses discussions téléphoniques. Les interlocuteurs ont été choisis afin de représenter un large panel mais l’échantillon ne saurait être rigoureusement représentatif. Les témoignages ont été recueillis au cours d’entretiens incluant des questions sur les habitudes de travail, le volume d’activité (entre éditeurs et agents), l’opinion de la personne concernée sur le sujet et son analyse du système éditorial. En outre, un questionnaire sur le thème de « L’agent littéraire, fantasme ou avenir ? » a été adressé par mail à 100 écrivains français correspondant à un éventail aussi large que possible (selon le type de maison d’édition, le registre littéraire, le niveau de vente et de notoriété). Seul critère de sélection : avoir publié un texte littéraire en 2009. Ces auteurs n’étaient pas identifiés a priori comme ayant un agent littéraire : 29 ont rempli le questionnaire, 5 ont répondu sous forme rédigée, 66 n’ont pas répondu3. Les points de vue, les descriptions et les commentaires sont bien entendu ceux d’acteurs engagés dans la défense de leur activité professionnelle. Le compte rendu qui en est fait ici vise à confronter les discours et à mettre en regard les pratiques, sans prendre position sur les écarts entre le dire et le faire. D’ailleurs, s’il ne reflète pas toujours la réalité, le discours sur les agents a une fonction performative ; il influe de manière assez significative sur la vie du secteur pour être considéré en tant que tel. Si l’agent littéraire suscite des réactions aussi marquées, c’est sans doute parce qu’il intervient au plus intime du travail éditorial, au moment clé de la rencontre entre auteurs et éditeurs et de la négociation contractuelle. Le rôle de l’agent a à voir avec l’affect et l’argent, sujets sensibles et difficiles à exprimer. C’est pourquoi on trouvera ici moins des données chiffrées que des témoignages, assez nombreux toutefois pour dresser un inventaire précis des procédés, des exigences et des difficultés. Le tableau est contrasté puisque, au-delà des réticences affichées, les pratiques réelles se détendent. Mais le discours globalement défensif envers les agents est, 2 Voir en annexe la liste des entretiens réalisés entre septembre 2009 et janvier 2010, p. 108. 3 Les citations extraites des réponses au questionnaire ont été rendues anonymes, ainsi que les extraits d’entretiens quand cela a été explicitement demandé par la personne interviewée. Dans les cas où les citations sont extraites d’articles de journaux ou d’une autre source publique, les références sont indiquées en bas de page. 4 pour le meilleur ou pour le pire, un des freins à leur éclosion en France. En confrontant ici les opinions, on espère contribuer à dépassionner le débat et l’ouvrir sur la question, souvent abordée mais non traitée, de la valorisation de l’auteur dans la chaîne éditoriale. Car l’agent, quant à lui, justifie son activité par la priorité accordée à l’auteur, créateur de valeur dans la production éditoriale, par la nécessité de lui accorder une place centrale et par la défense de ses intérêts. Réfléchir au rôle de l’agent conduit donc à s’interroger sur le statut de l’auteur, ses droits et ses besoins, sa professionnalisation souhaitable ou non, sa responsabilisation individuelle ou collective. A un moment où les mutations économiques et technologiques secouent sérieusement les équilibres installés, ces questions sont plus que jamais d’actualité. 5 I. DÉFINITION Les multiples facettes de l’intermédiation 1. Définitions générales A. L’agent Selon le Traité pratique d’édition de Philippe Schuwer4, l’agent littéraire est « un indépendant, un solitaire tenant à sa liberté ». Il est l’interface entre auteurs et éditeurs, ou l’intermédiaire entre éditeurs pour la vente et l’achat de droits de traduction ou la négociation de coéditions. Professionnel indépendant ou attaché à une structure légère, l’agent littéraire négocie, au nom de celui qu’il représente (auteur, éditeur, voire autre agent), la cession des droits d’édition, des droits d’adaptation audiovisuelle et des droits dérivés, moyennant un pourcentage sur ces cessions (voir p. 13-14). L’agent d’auteur, représentant direct de l’auteur auprès de ses partenaires, est le cœur de cette étude mais ce n’est pas, en France, l’acception la plus courante du mot « agent », où l’on connaît plutôt les agents artistiques. Comme les agents de sportifs et les agents de mannequins, ceux-si sont en effet bien implantés. On répertorie un total de 692 agents artistiques titulaires d’une licence5. Il s’agit d’une fonction très développée, quoique assez tardivement. Alors même que le cinéma français a été très tôt un des plus dynamiques du monde, les agents n’ont commencé à s’imposer qu’à partir des années 1960, avec des managers, puis autour de Gérard Lebovici et de l’agence Artmedia dans les années 1970. Aujourd’hui, dans le monde de l’audiovisuel, tout transite par des agents. Le métier d’agent artistique relève d’un statut précis auquel est associée la nécessité d’obtenir une licence6. Une proposition de loi (projet de loi enregistré à l’Assemblée nationale le 29 juillet 2009) vise d’ailleurs à supprimer cette licence et à la remplacer par une inscription non obligatoire sur un registre : une évolution juridique nécessaire pour mettre la loi en conformité avec la directive dite Bolkestein qui régit la libre circulation des services en Europe. Les syndicats d’artistes ont proposé d’introduire dans la loi une définition de l’agent artistique : « représentant d’un artiste chargé de la défense de ses activités et de ses intérêts professionnels en sa qualité d’artiste ». François Samuelson précise, en entretien, que les agents artistiques ont demandé à uploads/Litterature/ ance.pdf

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