Qu'est-ce qu'un auteur ? : Cours d'Antoine Compagnon Université de Paris IV-Sor

Qu'est-ce qu'un auteur ? : Cours d'Antoine Compagnon Université de Paris IV-Sorbonne UFR de Littérature française et comparée Cours de licence LLM 316 F2 Antoine.Compagnon@paris4.sorbonne.fr 7 février 1. Introduction : mort et résurrection de l'auteur 14 février 2. La fonction auteur 21 février 3. Quelques textes phares 7 mars 4. Généalogie de l'autorité 14 mars 5. L'auctor médiéval 21 mars 6. Les jeux de la Renaissance 28 mars 7. La naissance de l'écrivain classique 4 avril 8. L'Ancien Régime du livre 11 avril 9. La propriété intellectuelle 2 mai 10. La disparition élocutoire du poète 16 mai 11. L'illusion de l'intention 23 mai 12. Conclusion : l'auteur et le droit au respect ? Bibliographie Aristote, Poétique, trad. M. Magnien, Le Livre de Poche, 1990. Barthes, Roland, Critique et Vérité, Seuil, 1966 -, « La mort de l'auteur » (1968), Le Bruissement de la langue (1984), Seuil, « Points ». Bénichou Pierre, Le Sacre de l'écrivain, 1750-1830, Corti, 1985. Bonnet, Jean-Claude, Naissance du panthéon. Essais sur le culte des grands hommes, Fayard, 1998. Borges, J. L., Fictions, Gallimard, « Folio ». Bourdieu Pierre, Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992. Brunn, Alain, L'Auteur, Flammarion, « GF », 2001. Chamarat, Gabrielle, et Goulet, Alain (sous la dir. de), L'Auteur, Presses universitaires de Caen, 1996. Compagnon, Antoine, Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Seuil, 1998 ; « Points », 2001. -, « Un monde sans auteurs ? », Où va le livre ?, sous la dir. de J.-Y. Mollier, Paris, La Dispute, 2000. Couturier, Maurice, La Figure de l'auteur, Seuil, 1995. Dock, M.-C., Contribution historique à l'étude des droits d'auteur, LGDJ, 1962. Foucault, Michel, « Qu'est-ce qu'un auteur ? » (1969), Dits et Écrits, Gallimard, 1994, t. I. Jakobson, Roman, et Lévi-Strauss, Claude, « Les Chats de Charles Baudelaire » (1962), dans Jakobson, R., Questions de poétique, Seuil, 1973. James, Henry, La Leçon du maître et autres nouvelles, Seuil, « Points ». Lavialle, Nathalie, et Puech, Jean-Benoît (sous la dir. de), L'Auteur comme oeuvre. L'auteur, ses masques, son personnage, sa légende, Presses universitaires d'Orléans, 2000. Leclerc, Gérard, Histoire de l'autorité, PUF, 1996. -, Le Sceau de l'oeuvre, Seuil, 1998. Mallarmé, Stéphane, Divagations, Gallimard, « Poésie ». Nodier, Charles, Questions de littérature légale. Du plagiat, de la supposition d'auteurs, des supercheries qui ont rapport aux livres, 1812. Poétique, no 63, 1985 (« Le biographique »). Proust, Contre Sainte-Beuve, Gallimard, « Folio essais ». Sainte-Beuve, Pour la critique, Gallimard, « Folio ». Sartre, Jean-Paul, Les Mots, Gallimard, « Folio ». Viala Alain, Naissance de l'écrivain : sociologie de la littérature à l'âge classique, Minuit, 1985. Wimsatt, W.K., et Beardsley, Monroe, « The Intentional Fallacy » (1946), dans Beardsley, M., The Verbal Icon. 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Ces deux textes, qui ont figuré parmi les pages les plus photocopiées par les étudiants de lettres avant de devenir disponibles, bien plus tard seulement, dans des recueils posthumes (Barthes, Le Bruissement de la langue, 1984 ; Foucault, Dits et écrits, 1994), énonçaient le credo de la théorie littéraire des années 1970, diffusée sous le nom de post- structuralisme, ou encore de déconstruction. Au départ, ces deux critiques étaient animés par un mouvement d'hostilité à l'égard de l'histoire littéraire lansonienne (de Gustave Lanson, le promoteur, à la fin du XIXe siècle, de l'histoire littéraire à la française), dont ils contestaient la domination dans les études littéraires à l'université. Ils s'opposaient à la littérature considérée en relation avec son auteur, ou comme expression de son auteur, suivant une doctrine résumée dans le titre courant des thèses de lettres : X, l'homme et l'œuvre. Avant Lanson, cette vulgate était identifiée depuis longtemps à Sainte-Beuve, le premier des critiques au XIXe siècle : Proust s'élevait contre sa méthode biographique dans le titre bien connu de la première ébauche de la Recherche : Contre Sainte-Beuve. « Qu'importe qui parle », s'écriait assez brutalement Foucault pour commencer, « quelqu'un a dit qu'importe qui parle ». Ce faisant, il citait Beckett, non sans ironie puisque, au moment de proclamer l'anonymat de la parole dans la littérature contemporaine, il en empruntait la formulation à un auteur canonique. Ainsi la prise de position critique de Barthes et de Foucault, si elle les dressait contre la descendance de Sainte-Beuve et Lanson, signalait-elle d'emblée qu'elle se voulait en phase avec la littérature d'avant-garde, celle d'un Beckett, ou encore d'un Blanchot, qui avaient décrété la disparition de l'auteur, défini l'écriture par l'absence de l'auteur, par le neutre, environ deux décennies plus tôt. Foucault continuait en donnant un tour politique à une idée très blanchotienne : « l'écriture d'aujourd'hui s'est affranchie du thème de l'expression » (Foucault, 1994, p. 792-793). Une théorie littéraire a souvent tendance à ériger en universaux de la littérature ses préférences ou complicités du moment. L'opposition à la tradition critique, l'adhésion à l'avant-garde littéraire : telles étaient donc les deux prémisses de la mort de l'auteur. Si je commence par évoquer ces articles-manifestes de Barthes et Foucault en 1968 et 1969, c'est pour vous rappeler que la question de la place à faire à l'auteur est l'une des plus controversées dans les études littéraires. Parlant cette année de l'auteur, de la nature et de la fonction de la notion d'auteur dans les études littéraires, dans la critique littéraire, l'histoire littéraire, l'enseignement de la littérature, la recherche sur la littérature, nous allons faire de la théorie de la littérature - suivant le titre de ce cours -, au sens où nous allons réfléchir ensemble sur les conditions de ces études, critique, histoire, enseignement, recherche littéraires. Nous allons faire de la « critique de la critique », et aussi de l'histoire des notions critiques, manières d'y voir plus clair dans ce que nous faisons lors que nous nous référons couramment à l'auteur, lorsque nous utilisons ce terme et cette notion sans distance critique, comme s'ils allaient de soi. Le plan du cours allie des considérations plus historiques et des considérations plus théoriques, dans le but de décrire, de définir l'auteur par autant de moyens. Il y a toute une série de termes voisins qu'à la faveur de cette réflexion nous analyserons en chemin, tels que biographie, portrait, du côté de la critique beuvienne, ou intention - qui est probablement la notion la plus importante et la plus difficile, renvoyant au rôle donné à l'auteur dans l'interprétation des textes -, ou inspiration, pour désigner les notions anciennes de la poésie, ou signature, propriété, droit d'auteur, pour renvoyer cette fois au statut moderne de l'auteur depuis les Lumières, ou encore toute la série des transgressions, plagiat, parodie, pastiche, qui, a contrario, permettent de mieux saisir la notion positive d'auteur. Avec Barthes et Foucault, nous partons des débats et enjeux récents relatifs à l'auteur. C'est parce que notre projet est double: d'une part reconstruire l'histoire d'une notion littéraire (analyser les continuités et les changements de signification de cette notion dans l'histoire) ; d'autre part confronter cette notion avec la littérature et les études littéraires d'aujourd'hui (apprécier sa compatibilité avec l'état actuel des questions littéraires et plus généralement culturelles). Je mets donc d'abord l'accent sur l'actualité (ou sur l'histoire récente : les idées de Barthes et Foucault, que l'expérience des décennies ultérieures n'a pas, il me semble, désavouées, qu'elle a au contraire confirmées), avant de remonter dans le temps une fois muni d'une problématique, c'est-à-dire d'un cadre de questions à poser. Comme pour toutes les notions philosophiques, il existe une époque de transition à partir de laquelle elles nous sont accessibles immédiatement, car elles n'ont plus radicalement changé de contenu depuis lors. Ce tournant historique de la modernité philosophique s'étend, suivant les notions, sur la période 1750-1850, des Lumières au romantisme. Quant à l'auteur, cela signifie que depuis les Lumières (l'avènement du droit d'auteur) et le romantisme (l'avènement de la critique beuvienne), la notion juridico-esthétique en question a connu, malgré les variantes, une certaine stabilité, et que le débat sur sa pertinence dans l'étude littéraire a été continu. Nous tenterons de combiner de manière dialectique une réflexion sur les problématiques contemporaines et une reconstruction historique. Il ne s'agira donc pas seulement de retracer l'évolution de la notion d'auteur, ou d'observer les changements historiques de paradigme pouvant mener à son emploi actuel, mais aussi, et au-delà de cette entreprise somme toute classique d'historien, de prendre position dans le débat contemporain, avec l'idée que les deux démarches s'approfondiront mutuellement. 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