- 1 - L'APPROCHE MULTIREFERENTIELLE (PLURIELLE) DES SITUATIONS EDUCATIVES ET FO
- 1 - L'APPROCHE MULTIREFERENTIELLE (PLURIELLE) DES SITUATIONS EDUCATIVES ET FORMATIVES* Texte communiqué par Jacques ARDOINO Professeur émérite PARIS mai-décembre 1992, février 1993 publié in L'approche multiréférentielle en formation et en sciences de l'éducation, Pratiques de formation (analyse), Université Paris VIII, Formation Permanente, N° 25-26, Paris, 1993. http://jardoino.club.fr Assumant pleinement l'hypothèse de la complexité, voire de l'hyper-complexité, de la réalité à propos de laquelle on s'interroge, l'approche multiréférentielle se propose une lecture plurielle de ses objets (pratiques ou théoriques), sous différents angles, impliquant autant de regards spécifiques et de langages, appropriés aux descriptions requises, en fonction de systèmes de références distincts, supposés, reconnus explicitement non-réductibles les uns aux autres, c'est à dire hétérogènes(1). Cette démarche a pris naissance dans l'embarras même où se retrouvent toujours placés les praticiens, quand ils deviennent soucieux de ré-interroger leurs pratiques, sans doute pour les optimiser, avec, ainsi, une intention plus délibérément praxéologique, mais, aussi, pour tenter de mieux les comprendre, voire de les théoriser, dans une perspective qui se rapproche, alors, d'une curiosité plus scientifique, n'excluant pas, au demeurant, des préoccupations éthiques(2). L'intelligibilité des pratiques sociales intéresse effectivement aujourd'hui aussi bien le chercheur, que le praticien, dans le champ des sciences humaines. Leurs perspectives, leurs "postures" respectives ne sauraient, certes, pour autant, être confondues, mais ils n'en conservent pas moins des points communs. Ils sont en relation avec des "objets-sujets" et ils restent, l'un comme l'autre, ancrés dans les représentations et dans le langage, ces derniers considérés à la fois en tant qu'outils et en tant que matériaux privilégiés. Dans la mesure où les hommes entreprennent et réalisent des projets ensemble, ils inter-agissent. Le lien social devient ainsi un de leurs objets pratiques. La problématique du pouvoir qui s'y associe toujours, tout à la fois, mythiquement et réellement(3), intéresse aussi bien l'expérience vécue des individus, des "sujets", que le fonctionnement du corps social, des organisations et des institutions, ou les relations interpersonnelles de domination, de soumission, d'interdépendance, tramant la quotidienneté de l'agir. Dans tous les cas, la communication (supposant reconnues l'altérité et l'implication de chacun des partenaires, ainsi que les effets spécifiques de leurs interactions - altérations) reste le moyen incontournable par lequel les échanges d'information, requis par la poursuite des objectifs, peuvent éventuellement s'effectuer. En apparence, c'est une langue unique, la langue véhiculaire nationale, qui sert à élaborer, à échanger, à transmettre, à exprimer, à traduire, à mobiliser, des affects, des représentations, des idées, des opinions, des croyances. En fait, ce sont, le plus souvent, des langages très différents les uns des autres, par les modèles qu'ils impliquent, voire http://probo.free.fr/textes_amis/approche_multireferentielle_situations_educatives.pdf - 2 - en raison de leurs visions du monde sous-jacentes, qui co-existent et se juxtaposent à travers tout ce que nous semblons plus banalement accepter comme allant-de-soi. Ainsi, on peut constater que la notion d'un projet très appareillé revient à la mode (les projets d'entreprise, associés aux idées de "culture" et de "citoyenneté d'entreprise" ; les projets d'établissements scolaires, "commandés" à partir d'injonctions institutionnelles, ministérielle et rectorale, etc). Mais, avec le même mot, se retrouvent usuellement mêlés, indifférenciés : le sens purement administratif, celui des circulaires d'application(4), le sens opératoire que des praticiens (intervenants, consultants) peuvent donner à ce terme, parfois en le transformant, à leur tour, en "gadget" par un excès de confiance naïve accordé à la vertu des recettes(5), les sens, commun, étymologique, littéraire, philosophique, éventuellement scientifique, de la notion(6). Dans les faits, le projet se pense tantôt en termes de visées, tantôt en termes de programmes(7). Comment les acteurs intéressés, les différents protagonistes des situations concrètes, vont-ils, dès lors, pouvoir s'y retrouver ? Nous restons habituellement prisonniers d'un langage unidimensionnel, encore entretenu par la fonction indifférenciatrice, syncrétique, des medias. Ne pas travailler avec suffisamment d'exigence ces productions langagières, tout à la fois matériau et outil des démarches entreprises, revient donc à accepter de sécréter de l'aliénation, tout en hypothéquant lourdement, ainsi, les décisions qui doivent constamment être prises au plan de l'action. C'est bien pourquoi il devient préférable de repérer, de trier, de distinguer, de reconnaître, de différencier, les sens très divers que peuvent revêtir les termes employés, en fonction des psychologies et des positions sociales des interlocuteurs, des différents partenaires, comme en regard des conjonctures plus larges, dans lesquelles s'inscrivent les situations. La luxuriance, le foisonnement, la richesse, des pratiques sociales interdisent concrètement leur analyse classique, par voie de décomposition-réduction. C'est, probablement, l'une des raisons de la réhabilitation contemporaine du terme complexité. Alors que cette notion désignait, plus traditionnellement : ce qui reste enchevêtré, encore en attente d'être "débrouillé" par une réduction en éléments de plus en plus simples, et de plus en plus "purs", le sens moderne, enrichi des apports de la cybernétique, élaboré dans le cadre de l'approche systémique, non sans rapports avec la théorie léwinienne du "champ" (emprunté au modèle physique de l'électro-magnétique), suggère plutôt une appréhension "molaire", globale, indécomposable. Mais, dans une seconde lecture, plus fine, molaire pourrait être profitablement remplacé par holistique, caractérisant mieux la complexité des phénomènes humains. En effet, molaire, de mole (molécule-gramme, masse moléculaire d'une substance), en chimie, s'oppose à atomistique (éléments simples décomposés), tandis que holistique, dérivé de holisme (épistémologie générale), désigne, en contestant l'atomisme, une position selon laquelle on ne peut comprendre les parties sans connaître le tout. Dans cette perspective, complexe devrait être soigneusement différencié de compliqué (cette dernière notion pouvant toujours admettre le caractère décomposable et réductible de ses objets)(8). Il faudrait, ensuite, convenir que la représentation systémique de la complexité ne suffit pas tout à fait, non plus, à rendre compte de certains aspects pourtant caractéristiques des pratiques et des situations sociales, notamment la consistance particulière d'une temporalité-durée, plus historique. Le modèle de la régulation ne tend-il pas, enfin, à estomper exagérément la nature polémique de l'action, en privilégiant le jeu quasi-physique des forces et des tensions ? L'énergétique y prendrait, alors, ainsi, délibérément le pas sur l'herméneutique(9). A partir d'un tel flou l'idée de complexité n'en finira plus d'osciller entre paradoxe et contradiction (G. Bateson, Y. Barel(10), etc). En fonction des options privilégiées et des langages qui viendront traduire ces choix, l'implication (d'abord celle des praticiens eux-mêmes, par la suite celle des chercheurs, tout comme celles de leurs différents partenaires), le conflit, l'inconscient, l'imaginaire, etc, retrouveront, ou non, droit de cité dans l'analyse des pratiques. Rappelons, pour illustrer notre propos, que l'école française de la sociologie des organisations a cru devoir établir une heureuse distinction entre agents et acteurs, reprise depuis par les sociologues de terrain, comme par la plupart des psychosociologues praticiens. Cette distinction, suggérant que des traitements très différents des "ressources humaines" pourront en découler, est effectivement déjà satisfaisante parce - 3 - qu'opératoire, mais, en arrière plan, elle contient aussi une interrogation théorique, si ce n'est épistémologique. Dans un de ses récents ouvrages, La Machine à faire de dieux, Serge Moscovici(11) remarquait avec pertinence que toute sociologie contient, plus clandestinement, une théorie implicite de la psychologie correspondante (d'autant plus dangereuse et prêtant aux confusions qu'elle reste implicite). D'ailleurs, la réciproque apparaîtrait probablement aussi vraie, si on s'interrogeait en retour sur les contenus sociologiques subreptices de la plupart des théories psychologiques. Les notions d'agent et d'acteur, mises en relation, aboutissent, ainsi, à la reconnaissance implicite d'une frontière entre deux ordres de représentations : celui du système pour lequel l'agent, partie des agencements, défini par ses fonctions, qui impliquent un modèle plus mécaniste, surtout référé à l'espace, ou à l'étendue, reste essentiellement agi par la finalisation ou par la détermination de l'ensemble(12) ; celui d'une situation sociale, déjà quelque peu historique et temporelle parce que biologique, où l'acteur, pourvu de conscience et d'initiative, capable de stratégies, retrouve un degré d'intentionnalité propre restant néanmoins lié aux effets d'un déterminisme de champ, comme au poids des macro-structures. Du même coup, l'acteur est reconnu comme co-producteur de sens. Les "effets de sens", plus habituels aux courants herméneutiques, s'associent, ainsi, aux "effets de force", plus caractéristiques des modélisations mécanistes. L'idée de projet convient justement à un tel contexte, où l'on voit se profiler la perspective d'un changement social, technique (l'intervention psychosociologique) ou militant (l'analyse institutionnelle et la dialectique de l'instituant contre l'institué). D'une certaine manière, la découverte de l'acteur est la façon dont le sociologue entend réintégrer (et se réapproprier) le "sujet", celui des psychologues, dans son propre univers. L'intérêt, cette fois bien théorique, de la distinction apparaît toujours incontestable. Mais, alors, pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? C'est, en fait, d'un triptyque : agent-acteur-auteur qu'il est besoin, beaucoup plus encore que du seul diptyque : agent- acteur. On peut effectivement se sentir acteur dans une situation donnée, et y assumer plus ou moins explicitement des rôles, sans s'y reconnaître, pour autant, en tant qu'auteur. Tout dépend, à nouveau, des attentes et du projet finalisant la démarche (celle du praticien, ou celle du chercheur, éventuellement les jeux propres des autres protagonistes, selon les cas). Veut-on attribuer aux partenaires, dans l'action, un peu plus d'intelligence et d'autonomie relative, pour les besoins de la stratégie poursuivie ? C'est, alors, affaire d'optimisation des pratiques. L'acteur exécute (en tant que uploads/Litterature/ ardoino-approche-multireferentielle.pdf
Documents similaires










-
31
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Sep 18, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2393MB