POÉSIE Du grec poeien (fabriquer, produire), le mot « poésie » a désigné l'art

POÉSIE Du grec poeien (fabriquer, produire), le mot « poésie » a désigné l'art du langage « fabriqué », c'est à-dire différent, et de ce fait, rythmé. En ce sens, la poésie s'oppose à la prose. On a pu la lier, à travers les siècles, tantôt au rôle quasi démiurgique du créateur, tantôt au travail artisanal du poète. La poésie est ainsi considérée comme l'expression de l'irrationnel (« enthousiasme >> chez Platon, prophétie » chez les romantiques « voyance » chez Rimbaud), ou comme remise en cause, voire « meurtre» (R. Barthes) du langage. Elle a pu aussi être scientifique ou didactique (au XVI s. notamment). Par ailleurs, la « poésie » et surtout le « poétique » évoquent souvent le senti ment que procure une perception inhabituelle et touchante du monde. On parle ainsi de « vision poétique » ou de « paysage poétique » pour exprimer la charge émotionnelle qu'ils véhiculent. Dans la mythologie grecque, la poésie se rattache à deux figures, les Muses et Orphée. Les Muses représentent chacune l'excellence d'un domaine du savoir ou de l'art - qui n'est pas nécessairement « poétique » -[…]; ainsi la poésie est liée au savoir, donc au signifié. Orphée, lui, incarne les pouvoirs du rythme et de la musicalité: il est le joueur de flûte qui enchante par sa musique; ainsi, la poésie est liée à la musicalité, à l'art des sonorités, donc au signifiant. Les Muses et Orphée confèrent à la poésie les deux sortes d’attributs qui peu ou prou ont été reconnus dans la tradition occidentale, de l’Antiquité à nos jours . Orphique, la poésie est musique et inspiration divine elle dit et suscite des sentiments passionnels, aussi Platon, dans la République, manifeste t-il une extrême méfiance à l'égard du poète. Aristote de son côté, réhabilite la poésie dans sa Poétique du moins la poésie mimétique de l'épopée et du théâtre (par opposition à la poésie lyrique de Sapho ou de Pindare), et il institue la valeur et le statut hautement légitimés, voire sacrés, du genre dont ne se départira pas la tradition occidentale. Selon lui, le poème mimétique se distingue des autres productions de la pensée, fussent-elles en vers, en ce qu'il est embellissement et imitation par le moyen du rythme et de la musique, consubstantiels à l'homme. Face au langage du vrai (la logique et la dialectique) et au sein des discours du vraisemblable (la rhétorique), la poésie mimétique apporte une capacité d'atteindre au général par sa faculté de faire des fictions crédibles, qui suscitent l'émotion. Il s'institue de la sorte une distinction entre la poésie mimétique (et de fiction) et la lyrique (de confidence vraie). La poésie latine, en gardant cette distinction, a cependant accordé une place accrue à la poésie lyrique (Ovide) et à la poésie didactique (voir les registres. Au Moyen Age, la littérature épique se distingue nettement de la poésie lyrique. La première se présente sous forme de chansons de geste qui narrent, selon des rythmes strophiques et mélodiques, des hauts faits d'arme; la poésie lyrique, elle, a pour matière, chez le troubadour provençal ou le trouvère du Nord de la France, le sentiment amoureux. Dans l'épopée lyrique médiévale, la poésie est avant tout structure mélodique au service d'un message, même si elle peut, avec Rutebeuf et Villon notamment, accorder la plus grande attention au signifiant. La Renaissance, puis l'émergence des grands rhétoriqueurs, entre 1450 et 1535, font du langage un lieu d'investissement poétique essentiel. Molinet et Marot surenchérissent dans la voltige verbale, formelle et rhétorique, au plus grand plaisir des seigneurs qui paient leur talent, tandis que Du Bellay et les poètes de la Pléiade renouent avec les origines orphiques du poème antique. Au XVII s., Malherbe, puis Boileau opèrent un retour à Horace et à la poésie latine, fondée sur la raison. L'Art poétique (1674) fait valoir, au nom de l'imitation, la sobriété, la mesure, l'harmonie; dans les sujets évoqués comme dans les formes utilisées. « Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu », ainsi prône-t-il l'adéquation du mot et de l'idée ou de la chose, selon un précepte qui aura lui aussi fait recette : « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement » (Boileau). Dans cette perspective, le poète est moins transporté d'enthousiasme qu'artisan du vers, qui sait brider sa fantaisie personnelle au profit d’un travail patient : « vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » le précepte aura permis à des générations d'élèves de s'exercer à la poésie. Selon cette doctrine, la poésie a un rôle civilisateur: parole fondatrice qui apprivoise les passions et la sauvagerie primitives, elle se doit d'unifier l'Etat dans un sentiment identitaire, en entretenant glorieusement la mémoire des hommes, sur le mode légendaire de la poésie homérique. Les poètes baroques, fantaisistes ou libertins de l'époque, entre autres Viau, Saint-Amant, Voiture ou La Fontaine, ne se plient cependant pas tous à cette norme stricte. Mais, après Boileau, la doctrine classique règne durant plus d'un siècle. Sous la plume de Voltaire ou de De llile et jusqu'à Chénier, la poésie est avant tout vecteur d'idées philosophiques, religieuses ou politiques. Avec Hew dar de La Motte, Jean-Baptiste Rousseau et l'abbé de Chaulieu, elle cherche pourtant à se dégager du rationnel, en privilégiant le lyrisme et l'imagination ou une sensibilité du quotidien familier (Chaulieu). Les Lumières et la Révolution française ont préparé de grands bouleversements poétiques. Le romantisme, avec Hugo, Lamartine, Vigny et Musset, met à mal le classicisme en inventant de nouvelles règles métriques (le trimètre, par exemple) et en laissant libre cours aux déborde du Moi. Baudelaire, puis Mallarmé et Rim baud poussent ce mode d'écriture dans ses derniers retranchements: avec la nouvelle modernité qu'instaurent Les fleurs du Mal (1857) et surtout les Petits poèmes en prose (1869), le poème, tout en s'autorisant à parler de sujets jusqu'alors jugés indignes (la ville, la foule, le quotidien sublime de l'expérience), se replie sur lui-même en se dénonçant comme dispositif rhétorique, en se revendiquant comme pure matière langagière. Ainsi, paradoxalement, la poésie a de moins en moins de place dans la société (évincée qu'elle est par le roman, le théâtre et les autres formes de littérature industrielle ou de loisir) mais prétend à une sorte de sacralité absolue. Mélancolique et oppositionnelle (R. Chambers), elle traverse le siècle sur le mode de la résistance aux valeurs bourgeoises, en ravivant sa mythique fonction visionnaire, avec Hugo et Rimbaud, ou en se donnant comme art pur, des parnassiens à Mallarmé, comme exploration du monde dans et par l'exploration du langage. Le surréalisme poursuit cette histoire poético révolutionnaire. Il entend dépasser les limites littéraires du genre : avec Breton et les sur réalistes, la poésie et la vie sont inséparablement intriqués; la poésie devient dès lors une attitude de vie, et par là une option politique, qui fait droit aux fonctions inconscientes et à l'imaginaire. La poésie contemporaine, avec Ponge et Char, ne se départit pas de la révolution mallarméenne, rimbaldienne et surréaliste, même si elle donne à entendre à la fois, chez certains, la recherche de la musique et l’expression d’idées (G. Miron). Elle peut, en ce sens, continuer de servir des en musique engagements, comme ceux de Césaire ou de Dib la colonisation ou d'Aragon contre l'occupation nazie. Mais il serait erroné de ne prendre en compte que la poésie d'avant-garde pour comprendre l'évolution et le statut du genre. A côté des grandes convulsion qui sont restées d'ailleurs confinées aux cercles étroits des poètes écrivant pour leurs pairs, perdure une poésie plus scolaire- celle qui assure la conservation du patrimoine, et qu'incarnent des poètes plus ou moins oubliés de nos jours, mais qui volaient la vedette aux Rimbaud et consorts […] De la même manière, au XX s., à côté des grands noms de la poésie que sont Ponge, Follain, Jaccottet, Roche, Norge, Michaux, existe une pratique développée mais peu diffusée du genre: une poésie souvent publiée à compte d'auteur, ou même écrite et récitée pour le seul plaisir, sans relation avec les modes littéraires nouvelles. Et existe aussi une poésie plus populaire encore, avec Prévert, ou avec les chanteurs poètes» (Brassens, Leclerc, Brel..). De la sorte, à la fin du XX s., la poésie reste d'une part le domaine des formes littéraires qui multiplie le plus les signes de sa sacralité et, d'autre part, la fonction qu'elle incarne s'est dé placée dans des messages sociaux plus vulgarisés comme la chanson. Dans Qu'est-ce que la littérature? (1948), pris dans les contraintes du combat pour la littérature engagée, Sartre est amené à chercher les spécificités du poétique, et il souligne que la poésie est avant tout retour sur le langage, donc forme de connaissance par celui-ci. De fait, d'Aristote et Horace à Breton et Ponge, même s'il lui est arrivé de mettre sa structure formelle au service de la doxa, la poésie offre au langage littéraire une forme de résistance dans ses rapports au social et à l'histoire. Alors que le roman ou le théâtre imposent une transparence variable dans leurs relations à uploads/Litterature/ artcile-poesie-dictionnaire.pdf

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