L’autonomie financière des établissements publics universitaires en Afrique noi

L’autonomie financière des établissements publics universitaires en Afrique noire francophone 89 L’AUTONOMIE FINANCIÈRE DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS UNIVERSITAIRES EN AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE Par AKONO ONGBA SEDENA, Maitre-Assistant de Droit public Université de Yaoundé II Cameroun Résumé : L’autonomie est un attribut originel des institutions universitaires. Initialement ecclésiales, la laïcisation progressive des Universités occidentales en général, et françaises en particulier, n’a guère dépouillé ces personnes publiques des libertés et franchises qui leur sont inséparables. Ces dernières comportent une connotation financière : l’autonomie financière en vertu de laquelle, l’Université est habilitée à réaliser ses activités budgétaires et comptables en marge de l’État, ou sous contrôles étatiques allégés, le cas échéant. Pourtant, en Afrique Noire francophone, leur organisation sous la forme juridique d’établissement public, inspirée du modèle français, est de nature à dénuer les Universités d’État de leur autonomie financière. Celle-ci est comme fragilisée par une centralisation financière outrancière, elle-même aggravée par une décentralisation financière artificielle. Bien plus, les contrôles multiples dans lesquels sont enserrées leurs activités budgétaires et comptables, achèvent de révéler qu’en Afrique Noire francophone, l’autonomie financière des Universités reste à conquérir. Mots-clés : Régime financier, autonomie, établissement public, Université. Abstract: Autonomy is an original attribute of university institutions. Initially ecclesiastical, the progressive laicization of western universities in general, and French in particular, has scarcely deprived these public figures from liberties and franchises which are inseparable to them. These latter comprise a financial connotation: the financial autonomy according to which, the University is endowed to carry out its budgetary and accounting activities besides the State or under the State control, where appropriate. However, in sub-Saharan French-speaking African countries, their organization under the legal form of public establishment, inspired by the French model, is by nature to deny to State universities their financial autonomy. This one is weakened by unacceptable financial centralization, itself aggravated by an artificial financial decentralization. In addition, multiple controls within which their budgetary and accounting activities are included, reveal that in sub-Saharan French-speaking African countries, the financial autonomy of universities is still to be conquered. Key words: Financial autonomy, public establishment, University L’autonomie financière des établissements publics universitaires en Afrique noire francophone 90 INTRODUCTION Originalité, complexité et liberté ! Tels sont les principaux attributs susceptibles de caractériser les institutions1universitaires autant dans leur ipséité, que dans leurs rapports séculaires au pouvoir, invariablement ecclésial ou laïc. En effet, les Universités apparaissent dans la culture occidentale ou précisément européenne, avant l’avènement de l’État moderne2. De manière progressive, le modèle universitaire européen et singulièrement français s’étend Outre-mer3, subissant à chaque fois, des contraintes et adaptations socio-politiques conjoncturelles. L’Afrique n’échappe guère à cette vague « universalisante ». Ici, les puissances impérialistes envisageaient l’éducation des Africains par la création des Universités, comme un instrument de perpétuation du modèle social constitué d’une élite occidentalisée. Pour sa part, l’élite africaine nouvellement indépendante 1L’institution sera envisagée ici dans le sens où la définit Maurice Hauriou. Il s’agit d’ « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social, pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes ; d’autre part, entre les membres du groupe social intéressé à la réalisation de l’idée, il se produit des manifestations de commun dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures », HAURIOU (Maurice), Théorie de l’institution et de la fondation (Essai de vitalisme social), Cahiers de la nouvelle journée, 1925, n°4, p.7. En d’autres termes, les institutions universitaires pourraient être considérées, toujours selon la théorie de Maurice Hauriou, comme « des éléments de l’organisation sociale, à l’exclusion des moyens de la technique du droit ». SFEZ (Lucien), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, Quadrige, 2003, pp. 835-837. 2 DELAUNAY (Benoît), « De l’Europe des Universités aux universités européennes », AJDA, n°34/2017,16 octobre 2017, p.1913. 3CHARLE (Charles), VERGER (Jaques), Histoire des universités, XIIème-XXIème siècles, Paris, PUF, coll. Quadrige, Manuels, 1994, pp.7-20. considère les Universités, depuis la première conférence internationale sur l’enseignement supérieur tenue à Tananarive en 1962, comme « des instruments du progrès national devant assurer la formation des cadres africains pour remplacer le personnel colonial et contribuer à la formation politique des nouvelles nations ainsi qu’à leur développement en leur produisant des savoirs utiles »4. Plus d’un demi-siècle après les indépendances, le discours cognitif autour de la contribution de l’Université à la décolonisation commence à être suranné. En revanche, demeure aussi actuelle que difficilement discutable, l’existence d’une controverse doctrinale autour des missions ultimes ou des fonctions téléologiques des institutions d’enseignement supérieur et de recherche en général, et des établissements publics universitaires en particulier5. Ancienne et ontologiquement Voir aussi : GAUDEMET (Paul-Marie), « L’autonomie des universités françaises », RDP 1961, pp21-39, Spéc., p 24. FORTIER (Charles), « La décentralisation universitaire », AJDA 2009, p.2089. L’auteur fait valoir qu’il existe de fortes similitudes entre la décentralisation territoriale et la décentralisation universitaire. 4CHARTON(Hélène), « L’homo academicus : les limites de la fabrique d’’une élite universitaire en Afrique de l’Est », Outre-Mers, Revue d’histoire, Enseignement supérieur et université des espaces coloniaux, 1ier semestre 2017 , Société française d’Histoire d’Outre-Mer, pp 127-148, Spéc., p 127. 5 La transition notionnelle entre « institutions universitaires » et « établissements publics universitaires » n’est guère fortuite. Sociologiquement appréhendée, l’ « institution » universitaire envisage l’université comme une réalité, un objet social, tel qu’apparu au XIIIe siècle et sans cesse en mutation. Dans ce sens, Caroline BRAUD, écrit : « l’université se définissait toujours par son caractère d’institution officielle, fondée et reconnue par une autorité religieuse ou politique : au pape et l’empereur s’ajoutent de plus en plus rois, princes, villes et communautés religieuses dont les L’autonomie financière des établissements publics universitaires en Afrique noire francophone 91 attachée à la vision originelle de l’Université6, la conception libérale de l’Université est théorisée en Allemagne au début du XVème siècle par Wilhem Von Humboldt, fondateur de l’Université de Berlin. En France, cette conception émerge dès l’avènement de la Troisième République. Cette conception s’analyse comme la dimension scientifique de la démocratie libérale. Celle-ci consiste à respecter les libertés individuelles des enfants et parents ainsi que la liberté intellectuelle des maîtres contre toute tentative visant à imposer des vérités officielles, ou de limiter artificiellement l’accès à l’instruction7. En substance, la conception libérale de l’Université postule la vocation de cette institution à quérir la décisions n’avaient qu’une portée nationale ou locale ».Voir : BRAUD (Caroline), Les établissements publics universitaires, Thèse, Université de Lille, 1994, p.50. En revanche, le concept d’ « établissement public universitaire » est davantage juridiquement connoté. Il est substantiellement chargé de l’idéologie d’une philosophie juridique connue : la théorie du service public. Introduite subrepticement en France par la loi impériale du 10 mai 1806 qui avait fait de l’enseignement à tous les degrés un établissement national avec une personnalité morale distincte de l’État (à ce sujet, lire : LACLAU (Jules), Le régime financier des universités, thèse pour le doctorat, sciences politiques et économiques, Faculté de droit de l’université de Paris, imprimerie Henri Jouve, 1905, p.15. La notion sera affinée par la doctrine à la lumière d’une certaine évolution jurisprudentielle .Elle exclut d’office l’objet, c’est-à-dire la nature de l’enseignement dispensé. Voir : Arrêt DEFRAISSE, CE, 21 avril 1944, R. 129, à propos de l’École de physique industrielle de la ville de Paris. En revanche, deux critères émergent : la nature de l’établissement (rattachement à la faculté de sciences de Paris) et l’octroi de la personnalité juridique. Cf., TOULEMONDE (Bernard), Les libertés et franchises universitaires en France. Thèse, Université de Lille. II, 1971, 2 tomes, p. 68. Note 20. La précision conceptuelle qui précède en appelle une autre. Il s’agit d’un distinguo à opérer entre « université » et « enseignement supérieur ». Dans le système français, l’Université se caractérise au plan science et la vérité sans devoir se préoccuper de l’utilité sociale de celles-ci. Il s’agit de faire de la science pour la science, de rechercher la vérité pour elle-même, dans l’unique but d’accroître le capital culturel de l’humanité et de constater le niveau d’appropriation de cette culture par les apprenants. L’industrialisation de la société occidentale, la prolifération des Universités dans l’Amérique capitaliste et la colonisation suivie de la décolonisation de l’Asie et de l’Afrique, ont favorisé l’émergence d’une conception fonctionnelle de l’Université. Désormais, le postulat nouveau est le suivant : l’Université ne saurait constituer une tour d’ivoire insensible à sa vocation utilitaire8. Dans cette perspective, les institutions organique par un réseau d’établissements publics dont l’accès est libre, moyennant l’obtention du Baccalauréat. À côté de cette première catégorie, existent « les grandes écoles » dont l’admission sur concours, est généralement préparée par les classes dites, préparatoires. Sur cette question lire utilement : BEAUD (Olivier), CAILLE (André) et alii. Refonder l’université : pourquoi l’enseignement supérieur reste à (re)construire, Paris, éd, la découverte, 2010, pp. 16- 17 et p. 102. En Afrique Noire francophone, le schéma n’est pas totalement similaire à celui de la France. Certes, les universités sont dans la plupart des cas établissements publics, mais les critères des conditions d’admission ne suffisent pas à distinguer ceux-ci de l’enseignement uploads/Litterature/ article-du-prof-akono 1 .pdf

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