Arabic Sciences and Philosophy, vol. 18 (2008) pp. 1–18 doi:10.1017/S0957423908
Arabic Sciences and Philosophy, vol. 18 (2008) pp. 1–18 doi:10.1017/S0957423908000453 2008 Cambridge University Press MESURER LE CONTINU, DANS LA TRADITION ARABE DES LIVRES V ET X DES ÉLÉMENTS MAROUANE BEN MILED École nationale d’Inge ´nieurs de Tunis, Lamsin, P.O. BOX 37 – 1002 Tunis-Belvedere, Tunisie Email: marouane.benmiled@fss.rnu.tn Abstract: In order to find positive solutions for third-degree equations, which he did not know how to solve for roots, ‘Umar al-Khayya ¯m proceeds by the intersections of conic sections. The representation of an algebraic equation by a geometrical curve is made possible by the choices of units of measure for lengths, surfaces, and volumes. These units allow a numerical quantity to be associated with a geometrical magnitude. Is there a trace of this unit in the mathematicians to whom al-Khayya ¯m refers directly in his Algebra? How does this unit enable the measurement of quantities and rational and irrational relations? We find answers to these questions in the commentaries to Books V and X of the Elements. Re ´sume ´: Afin de trouver les solutions positives des e ´quations du troisie `me degre ´ qu’il ne sait pas re ´soudre par radicaux, ‘Umar al-Khayya ¯m proce `de par intersections de sections coniques. La repre ´sentation d’une e ´quation alge ´brique par une courbe ge ´ome ´trique est rendue possible par les choix d’unités de mesure pour les longueurs, les surfaces et les volumes. Ces unite ´s permettent d’associer une quantite ´ nume ´rique a ` une grandeur ge ´ome ´trique. Existe-t-il une trace de cette unite ´ chez les mathe ´- maticiens auxquels se re ´fe `re directement al-Khayya ¯m dans son Algèbre? Comment cette unite ´ permet-elle de mesurer les quantite ´s et les rapports rationnels et irrationnels? Nous trouvons des re ´ponses a ` ces questions dans les commentaires aux Livres V et X des Éléments. Dans son Algèbre, ‘Umar al-Khayya ¯m (1048–1131) re ´sout les e ´qua- tions alge ´briques des trois premiers degre ´s. Pour les deux premiers degre ´s, il proce `de par radicaux, comme les alge ´bristes savaient le faire depuis al-Khwa ¯rizmı ¯. Pour le troisie `me degre ´, il donne un classement de toutes les e ´quations et il construit par intersections de coniques les racines positives de celles qu’il ne sait pas re ´soudre par radicaux.1 L’association d’une courbe conique a ` une e ´quation, c’est-a `-dire la repre ´sentation d’une e ´quation alge ´brique par une courbe ge ´o- me ´trique, est rendue possible par les choix d’unités de mesure pour les longueurs, les surfaces et les volumes. Ces unite ´s permettent d’associer une quantite ´ nume ´rique a ` une grandeur ge ´ome ´trique. Ce 1 R. Rashed et B. Vahabzadeh, Al-Khayya ¯m mathématicien (Paris, 1999). faisant, la frontie `re qui existe entre les nombres, objets arithme ´- tiques ou alge ´briques, et les grandeurs continues, objets ge ´o- me ´triques, disparaı ˆt dans le cadre d’une alge `bre ge ´ome ´trique.2 Bien que l’œuvre d’al-Khayya ¯m soit aujourd’hui bien connue,3 il arrive encore qu’on attribue aux mathe ´maticiens du XVIIe sie `cle l’utilisation d’unite ´s de mesure permettant l’association d’une courbe ge ´ome ´trique a ` une e ´quation alge ´brique:4 Par le me ´lange des me ´thodes alge ´briques et ge ´ome ´triques, Pierre de Fermat et Rene ´ Descartes cre ´e `rent, au XVIIe sie `cle, la ge ´ome ´trie des coordonne ´es. Ils n’utilisaient pas cependant cette de ´nomination ni l’ide ´e des axes. Le but commun qu’ils poursuivaient e ´tait de lier les e ´quations alge ´briques avec les courbes et les surfaces en se limitant aux valeurs positives. Leurs ‘‘syste `mes de coordonne ´es’’ leur permettaient une repre ´sentation concre `te de la position relative des points de la courbe les uns par rapport aux autres, qui ne variait pas en fonction d’une transformation de coordonne ´es.5 Afin d’en reconstituer la tradition, on peut chercher la trace d’une telle unite ´ de mesure chez les pre ´de ´cesseurs d’al-Khayya ¯m. Roshdi Rashed l’a trouve ´e chez les ge ´ome `tres infinite ´simalistes des IXe–XIe sie `cles. Je de ´crirai ici comment un courant issu des lectures arabes du Livre X des Éléments d’Euclide a e ´galement contribue ´ a ` l’e ´labo- ration de ce concept. Puis, partant de la corre ´lation qui existe entre les notions de rapport et de mesure, je me tournerai a ` nouveau vers des commentaires au Livre X des Éléments, pour montrer de quelle manie `re l’inte ´re ˆt pour les questions de rapport et de proportionna- lite ´, visible notamment dans les commentaires arabes au Livre V des Éléments, a accompagne ´ des travaux qui se situent a ` l’intersection de l’alge `bre et de la ge ´ome ´trie.6 Pour finir, je traiterai de la situation des 2 R. Rashed, ‘‘L’alge `bre’’, dans R. Rashed (e ´d.), Histoire des sciences arabes, 3 vol. (Paris, 1997), vol. II, pp. 31–54, voir pp. 41–5. 3 Nous devons a ` F. Woepcke la premie `re e ´dition et traduction de l’Algèbre (L’Algèbre d’Omar al-Khayya ¯mı ¯ [Paris, 1851]). Plus re ´cemment, l’Algèbre, ainsi que le Traité sur la division du quart de cercle ont e ´te ´ e ´dite ´s dans R. Rashed et A. Djebbar, L’œuvre algébrique d’al-Khayya ¯m (Alep, 1981). Ce travail a e ´te ´ repris a ` la faveur d’un nouveau manuscrit et comple ´te ´ par l’e ´dition du Commentaire d’al-Khayya ¯m sur les E ule ´ments d’Euclide, dans Rashed et Vahabzadeh, Al-Khayya ¯m mathématicien, qui est de ´sormais l’e ´dition de re ´fe ´rence pour les travaux mathe ´matiques de ‘Umar al-Khayya ¯m. 4 Il faut noter que, contrairement a ` Descartes, al-Khayya ¯m est reste ´ fide `le a ` la re `gle d’homoge ´ne ´ite ´. Voir a ` ce sujet R. Rashed, ‘‘La Géométrie de Descartes et la distinction entre courbes ge ´ome ´triques et courbes me ´caniques’’, dans J. Biard et R. Rashed (e ´d.), Descartes et le Moyen Âge, E utudes de philosophie me ´die ´vale LXXV (Paris, 1997), pp. 1–26, aux pp. 15–16. 5 E. Knobloch, ‘‘Alge `bre et ge ´ome ´trie’’ (Traduction de V. Halleux), dans M. Blay et R. Halleux (e ´d.), La science classique, XVIe–XVIIe siècle, dictionnaire critique (Paris, 1998), pp. 673–91, a ` la p. 683. 6 A v partir de l’e ´clairage de commentaires arabes du Livre X des Éléments, je tenterai d’apporter des re ´ponses a ` des questions souleve ´es lors de discussions avec Bijan Vahabzadeh, sur la place de l’alge `bre dans les commentaires arabes du Livre V. J’utiliserai largement son e ´dition et sa traduction des commentaires d’al-Ma ¯ha ¯nı ¯ et d’al-Khayya ¯m au Livre V des Éléments d’Euclide (B. Vahabzadeh, ‘‘Trois commentaires arabes sur les concepts de rapport & de proportionnalite ´’’, The `se, Universite ´ Paris 7-Denis Diderot, 1997– 1998). 2 MAROUANE BEN MILED grandeurs continues vis-a `-vis des nombres chez al-Khayya ¯m, ses pre ´de ´cesseurs ainsi que ses contemporains. I. L’UNITE u DE MESURE CHEZ AL-KHAYYA z M Afin d’e ´tudier les e ´quations du troisie `me degre ´ qu’il ne sait pas re ´soudre par radicaux, al-Khayya ¯m se rame `ne a ` des e ´galite ´s entre des expressions alge ´briques repre ´sentables par des courbes coniques; l’intersection de deux coniques fournit alors la solution de l’e ´qua- tion. Pour ce faire, al-Khayya ¯m est amene ´ a ` e ´laborer des unite ´s de mesure pour les lignes, les surfaces et les volumes. Voici ce qu’en dit Roshdi Rashed: Il s’agit donc d’e ´laborer une the ´orie des e ´quations de degre ´ 3 et d’e ´tendre la the ´orie des e ´quations des deux premiers degre ´s pour y inclure les e ´quations cubiques. Mais ici al-Khayya ¯m rencontre un premier obstacle, qui s’ave `re be ´ne ´fique. Pour les e ´quations des deux premiers degre ´s, al- Khwa ¯rizmı ¯ [. . .] avait donne ´ des solutions par radicaux qu’il avait justifie ´es ge ´ome ´triquement. [. . .] Mais, pour les e ´quations cubiques on ne connaissait pas encore la solution par radicaux. [. . .] E ulaborer une the ´orie des e ´quations de degre ´ 3, c’est d’abord enrichir les termes primitifs de l’alge `bre he ´rite ´s des pre ´de ´cesseurs alge ´bristes, pour e ˆtre en mesure d’e ´nume ´rer toutes les e ´quations et de fonder un calcul ge ´o- me ´trique susceptible de mener a ` leur solution. Al-Khwa ¯rizmı ¯ et ses succes- seurs ont fourni des termes comme l’inconnue, son carre ´, les puissances supe ´rieures, les expressions polynomiales et les ope ´rations arithme ´tiques sur celles-ci, l’e ´quation, . . . Sur ce plan, al-Khayya ¯m n’avait rien a ` ajouter. Mais toute la question demeure, d’attribuer a ` certains de ces termes un sens ge ´ome ´trique, soit dans le plan, soit dans l’espace. Le concept fonda- mental qui rend possible cet acte, et sur lequel insiste uploads/Litterature/ asp-2008-vol-18-issue-1.pdf
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- Publié le Oct 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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