Cécile Barbet Université de Cambridge – Université de Neuchâtel – Université du
Cécile Barbet Université de Cambridge – Université de Neuchâtel – Université du Littoral – Côte d’Opale & Unité de recherche sur l’Histoire, les Langues, les Littératures & l’Interculturel (HLLI – EA 4030) Louis de Saussure Université de Neuchâtel Présentation : Modalité et évidentialité en français Si la modalité en français – et en particulier les verbes modaux – a fait l’objet d’une littérature abondante, l’évidentialité (ou médiation 1) a moins attiré le regard des chercheurs sur le français, et, a fortiori, le croisement des deux notions est un champ d’investigation encore largement ouvert. Ceci malgré l’attention que l’évi- dentialité, et plus particulièrement ses liens avec la modalité, ont suscité dans la littérature récente (cf. Dendale & Tasmowski (eds) 2001 ; Aikhenvald 2004 ; McCready & Ogata 2007 ; Ekberg & Paradis (eds) 2009). Les interactions entre la modalité et l’évidentialité en français, les définitions que ces deux notions peuvent trouver et leurs manifestations en français, les relations qu’elles entre- tiennent, ainsi que la façon dont elles peuvent cohabiter dans certains mar- queurs spécifiques méritent une attention particulière. Parmi ces marqueurs, on trouve les verbes modaux devoir et pouvoir, mais aussi des temps verbaux qui peuvent avoir une valeur épistémique comme le conditionnel ou le futur, ou encore certains emplois de l’imparfait, que l’on peut suspecter de manifester une valeur évidentielle. En comparaison avec les nombreux travaux sur l’évidentia- lité et sur ses connexions avec la modalité dans d’autres langues, notamment germaniques, et surtout dans les langues non indo-européennes qui ont des marqueurs évidentiels grammaticaux, la problématique de l’évidentialité fait un peu figure de parent pauvre en français, et a fortiori ses relations avec la modalité, en particulier épistémique. Or, bien que l’évidentialité ne soit pas clai- rement grammaticalisée en français par des items spécifiques, des recherches diverses ont fait émerger ces dernières décennies de nouvelles hypothèses sur les valeurs évidentielles qui sont, ou qui pourraient être, présentes conjointe- ment aux valeurs modales. Les travaux entrepris sur la part de modalité et d’évidentialité dans les emplois épistémiques de devoir ou pouvoir (notamment 1. Ce terme est préféré par une partie des chercheurs francophones (cf. notamment Guentcheva 1994), celui d’évidentialité calqué sur l’anglais, évoquant évidence qui est d’un sens très différent de l’anglais evidence. Quoiqu’il désigne le même phénomène, le terme médiation met plus l’accent sur la « distance » entre le locuteur et son énoncé que sur la source de l’information proprement dite (cf. Dendale & Tasmowski 2001). Seul Kronning, dans ce volume, utilise médiation. LANGUE FRANÇAISE 1 rticle on line rticle on line 1 “01_Barbet-Saussure_2” (Col. : RevueLangueFrançaise) — 2012/2/19 — 18:43 — page 1 — #1 i i i i i i i i Modalité et évidentialité en français Dendale 1994, 1999 ; Tasmowski & Dendale 1994 ; Dendale & De Mulder 1996 ; Desclés & Guentchéva 2001 ; Kronning 1996, 2003 ; Rossari et al. 2007 ou encore Squartini 2004), et celles sur le conditionnel dit « épistémique » ou « journalis- tique » (Dendale 1993 ; Kronning 2002, 2003, 2005, 2007), forment par exemple des jalons importants d’une recherche qui appelle continuation, soit qu’il s’agisse d’étendre la réflexion sur d’autres marques ou de revenir sur les modaux ou le conditionnel. 1. DES DÉFINITIONS ÉTROITES ET LARGES Modalité et évidentialité connaissent deux définitions : une large et une étroite. Dans une conception large, héritée de la tradition grammaticale greco-latine, et aujourd’hui surtout représentée dans la tradition des actes de langage, la modalité concerne l’ensemble des attitudes du locuteur par rapport au contenu propositionnel de son énoncé (et produit donc un effet au niveau de la force illocutoire), tandis que dans un sens étroit, hérité de la tradition logique, notam- ment aristotélicienne, la modalité se conçoit comme l’expression du possible et du nécessaire (cf. Le Querler 1996 ou Gosselin 2010 pour des typologies et plus de détails). Considérée dans son sens large, la modalité s’insinue partout ; selon la définition restreinte, elle se divise en différentes catégories, notamment modalité radicale ou déontique et modalité épistémique, la première concernant une possibi- lité ou une nécessité de faire et la seconde la possibilité ou la nécessité qu’une proposition soit vraie (cf. Barbet ou Vetters dans ce volume). L’évidentialité, quant à elle, concerne, dans un sens restreint, l’indication par le locuteur de la source de l’information véhiculée par son énoncé (cf. Den- dale & Tasmowski (1994, 2001) qui font également un historique de la notion) et, dans un sens plus large, l’indication de la fiabilité de l’information commu- niquée (cf. Mithun 1986 ; Chafe 1986), englobant ainsi la modalité épistémique (cf. Dendale & Van Bogaert ce volume pour les différentes appellations et défini- tions dans la littérature). En fait, on peut considérer que modalité et évidentialité sont (i) exclusives, (ii) que l’une (souvent l’évidentialité) subsume l’autre (mais Palmer 1986 semble considérer seulement l’existence de la modalité), ou encore (iii) qu’elles ont des propriétés communes (cf. Cornillie 2009 pour une présen- tation récente de ces différentes approches). La troisième position est celle, par exemple, de J. van der Auwera et V. Plungian (1998 : 85-86) qui considèrent que modalité et évidentialité se chevauchent au niveau de l’évidentialité infé- rentielle (cf. infra). Dans ce volume, c’est une définition stricte qui prédomine (cf. Dendale & Van Bogaert et Barbet pour une justification), comprise comme le marquage de la source ou de l’« evidence » 2 à disposition du locuteur. 2. Nous garderons le terme anglais evidence malaisé à traduire en français. 2 “01_Barbet-Saussure_2” (Col. : RevueLangueFrançaise) — 2012/2/19 — 18:43 — page 2 — #2 i i i i i i i i Présentation : Modalité et évidentialité en français L’évidentialité peut être directe, correspondant à ce que le locuteur a perçu lui- même, ou indirecte, soit reprise d’autrui (ouï-dire, information de seconde main, folklore...), soit obtenue par inférence, qui peut être de pur raisonnement ou fon- dée sur des faits concrets (cf. Willett, 1988 : 57). Comme la modalité épistémique indique le jugement du locuteur sur la possibilité ou la nécessité que quelque chose soit le cas, ou son degré de certitude à l’égard d’un fait, elle a toutes les chances de croiser l’évidentialité inférentielle dans certains morphèmes, et plu- sieurs articles de ce volume accordent une attention particulière à cette question (Dendale & Van Bogaert ; Barbet ; Caudal ; Saussure). Le domaine du miratif ou admiratif (DeLancey 2001 ; Lazard 2001) qui marque la surprise du locuteur est également à la croisée des chemins de la modalité et de l’évidentialité (directe). L’article de Patrick Dendale et Julie Van Bogaert rappelle les différents critères proposés dans la littérature pour définir un marqueur évidentiel, et s’arrête sur le fait que puisque le français ne connaît pas d’évidentialité grammaticale, le marquage de cette catégorie est lexical. En l’absence de paradigme évidentiel, certains morphèmes, notamment modaux et temporels, convoquent cependant la notion, comme le remarque une abondante littérature 3. Les auteurs proposent une définition relativiste de l’évidentialité, i.e. adaptée à l’objet d’étude et au paradigme théorique du linguiste, suite à une discussion fouillée des problèmes définitoires et leurs conséquences pour l’analyse de différentes catégories d’ex- pressions (entre autres la conjonction donc, les verbes parenthétiques, des temps verbaux, et ce qu’ils nomment à juste titre les « phrases évidentielles »). 2. L’ÉVIDENTIALITÉ ET LES VERBES MODAUX DU FRANÇAIS Concernant les verbes modaux devoir et pouvoir et leur rapport à l’évidentialité, à peu près toutes les hypothèses ont été défendues : traditionnellement, ces verbes sont conçus comme essentiellement modaux (cf. Sueur 1979, 1983 ; Le Querler 1996, 2001 ; Vetters 2004) ; on les a également décrits comme « mixtes » évidentio-modaux (Kronning 1996, 2003) ; plusieurs auteurs voient dans devoir épistémique, représenté en (1) et, dans une moindre mesure, dans pouvoir épis- témique, un évidentiel (Dendale 1994 ; Tasmowski & Dendale 1994 ; Desclès & Guentchéva 2001 ; Dendale & De Mulder 1996) : (1) Le domestique devait être soit très peu observateur, soit très stylé, il ne manifesta aucune surprise en apercevant le petit masque de satin que portait maintenant le visiteur. (Agatha Christie, Le train bleu) 3. Sur les temps, cf. Dendale (1993) ; Squartini (2001, 2005) et, dans ce volume, Kronning (conditionnel) ; De Mulder (temps du passé) ; Dendale & Van Bogaert (futur et conditionnel) ; Caudal ou Saussure (futur). Sur les modaux, cf. Dendale (1994, 1999) ; Dendale & De Mulder (1996) ; Rossari et al. (2007) ; Tasmowski & Dendale (1994) et, dans ce volume, Barbet ; Vetters ; Saussure. LANGUE FRANÇAISE 1 3 “01_Barbet-Saussure_2” (Col. : RevueLangueFrançaise) — 2012/2/19 — 18:43 — page 3 — #3 i i i i i i i i Modalité et évidentialité en français Récemment C. Rossari et al. (2007) ont, quant à elles, fait de devoir un mar- queur fondamentalement évidentiel dans tous ses emplois (épistémique, alé- thique ou radicaux). C’est à discuter ces différentes hypothèses qu’est consacré l’article de Cécile Barbet, qui propose des arguments en faveur d’une sémantique modale de devoir et pouvoir. Leur caractère évidentiel-inférentiel, pour elle, ne fait pas partie uploads/Litterature/ barbet-et-saussure.pdf
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- Publié le Sep 21, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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