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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : info@erudit.org Article « Les manifestes à l’Oulipo : la disparition d’une forme ? » Camille Bloomfield Études littéraires, vol. 44, n° 3, 2013, p. 35-46. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/1025479ar DOI: 10.7202/1025479ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 23 November 2016 12:48 £££££££££££ Les manifestes à l’Oulipo : la disparition d’une forme ? Camille Bloomfield L e travail présenté ici est le développement d’une recherche menée dans ma thèse de doctorat « L’Oulipo : histoire et sociologie d’un groupe-monde1 ». Les manifestes de l’Oulipo y étaient étudiés sous l’angle de la fabrique des ouvrages collectifs, puisque c’est dans de tels ouvrages que les deux premiers manifestes ont été publiés, signés du nom « Oulipo ». Sur le plan sociologique, ces manifestes éclairent la position du groupe dans son champ littéraire. Revendiquant l’appellation de « groupe », par opposition à celles d’« avant-garde », de « mouvement » ou d’« école », qu’il rejette, l’Oulipo a en effet inventé sa façon « d’être ensemble en littérature », son fonctionnement structurel propre, à l’aide d’un certain nombre de dispositifs stratégiques, dont : des statuts précisément pensés et régulant autant les cooptations que les réunions ; un fonds d’archives, alimenté depuis les années 1970, assurant une mémoire du groupe ; un vocabulaire propre à assurer une culture commune, etc. Dans ce cadre, il est apparu que le fait d’écrire des manifestes relevait d’un habitus avant-gardiste que les membres de l’Oulipo avaient incorporé presque malgré eux, puisque certains des fondateurs appartenaient à une génération qui avait connu, voire participé aux avant-gardes — notamment le surréalisme et le situationnisme. Le manifeste oulipien peut donc être perçu comme l’une des marques par lesquelles, malgré bien d’autres différences, le groupe peut être et est encore souvent assimilé à une avant-garde. Il s’agit donc ici d’articuler ces premiers résultats, dont ne sont rappelées que quelques pistes, dans une perspective historique qui observerait l’évolution du genre manifestaire au XXe siècle. La particularité de l’Oulipo, par rapport aux avant-gardes et aux autres mouvements de ce siècle, est sa longévité. Fondé en 1960 par Raymond Queneau et François Le Lionnais, le groupe est toujours actif aujourd’hui, et même bien vivant, puisqu’il vient encore de coopter un membre, en avril 2012 : le dessinateur et membre de l’OuBaPo Étienne Lécroart. Fort de trente-huit membres depuis lors (les morts étant « excusés pour cause de décès », selon l’expression oralement employée par les oulipiens, ils sont toujours compris dans le décompte total), l’Oulipo est maintenant âgé de cinquante-deux ans : un record absolu dans les 1 Camille Bloomfield, « L’Oulipo, histoire et sociologie d’un groupe-monde », thèse de doctorat en littérature générale et comparée, Paris, Université Paris 8, 2011. 36 • Études littéraires – Volume 44 No 3 – Automne 2013 champs littéraires moderne et contemporain. Son cas est donc particulièrement intéressant pour observer une possible évolution, puisqu’au total le groupe a publié trois manifestes, à trois périodes très différentes de l’histoire du champ littéraire. Je commencerai par présenter brièvement ces textes (le premier, surtout), et par les replacer chronologiquement, pour ensuite les mettre en rapport avec une chronologie plus large du genre manifestaire au XXe siècle. Les deux premiers manifestes, ou la déclaration collective d’existence Il règne un léger flou autour de la date de parution des manifestes oulipiens, qu’il semble important d’éclaircir d’emblée : Mary Ann Caws, par exemple, dans son anthologie Manifesto: A Century of Isms2, ne mentionne que le premier d’entre ceux-ci, et le date de 19623 ; Maria Chiara Gnocchi, dans son article « Lire les manifestes littéraires à l’orée du XXIe siècle », paru dans le numéro spécial que la revue Francofonia consacre aux manifestes, ne précise pas leur nombre (elle parle « des manifestes de l’Oulipo »), et ne spécifie que les dates de 1972-19734 ; enfin Line Mc Murray, dans son article sur « L’Oulipo : ses anti-manifestes et leur mise en jeu », paru dans le numéro spécial d’Études françaises portant sur le même sujet5, est celle qui s’approche le plus de la vérité historique puisqu’elle date la parution des deux premiers manifestes de 1973. Quelle est donc la réelle date de parution des manifestes oulipiens et combien y en a-t-il en fait ? Ces hésitations sont intéressantes parce qu’elles soulèvent d’emblée une question importante à propos des manifestes : comment les reconnaître ? Celui que l’on considère généralement comme le premier manifeste de l’Oulipo paraît d’abord dans la toute première publication collective du groupe, un dossier consacré à la « littérature potentielle » dans les Dossiers du Collège de ’Pataphysique, en décembre 1961, exactement un an après la fondation de l’Ouvroir6. Mais le texte en question s’intitule alors « La Lipo », sans allusion aucune à une quelconque dimension manifestaire. Il n’est donc pas lu comme tel à l’époque. En 1973 — et on notera l’importance de l’écart chronologique, de douze ans — l’Oulipo fait paraître son premier recueil de travaux, le quelque peu disparate La Littérature potentielle, constitué d’un mélange d’articles historiques et théoriques, et d’applications sur des textes courts de contraintes élaborées ou retrouvées dans le cadre des recherches collectives (lipogramme, « S+7 », etc.). Le texte « La Lipo » est alors republié, mais cette fois avec l’ajout d’un sous-titre, placé entre parenthèses : « Le premier manifeste7 ». La question que cette requalification soulève est donc la suivante : faut-il considérer ce 2 Mary Ann Caws (dir.), Manifesto: A Century of Isms, Lincoln/Londres, University of Nebraska Press, 2000. 3 Ibid., p. 630. 4 Maria Chiara Gnocchi, « Lire les manifestes littéraires à l’orée du XXIe siècle », Francofonia, Studi e ricerche sulle letterature di lingua francese, no 59 (automne 2010), p. 6. Je souligne. 5 Line Mc Murray, « L’Oulipo : ses anti-manifestes et leur mise en jeu », Études françaises, vol. XVI, nos 3‑4 (1980), p. 147-168. 6 François Le Lionnais, « La Lipo », Dossiers du Collège de ’Pataphysique, no 17 : « Exercices de littérature potentielle », 22 décembre 1961, p. 7‑10. 7 François Le Lionnais, « La Lipo (Le premier manifeste) », dans Oulipo, La Littérature potentielle, Paris, Gallimard, 1973, p. 17. Les manifestes à l’Oulipo : la disparition d’une forme ? de Camille Bloomfield • 37 texte, lors de sa première édition, comme un manifeste ou n’en devient-il un qu’une fois qu’il a été désigné comme tel par son auteur ? Autrement dit, est-il manifeste par le fait de sa fonction (présenter, annoncer, renverser un ordre établi pour en proposer un autre) — ce qui semble être l’option la plus partagée par la critique actuellement pour définir les manifestes ? Est-il un manifeste par la nature de son propos (un programme esthétique, proposant des innovations, une généalogie littéraire, etc.), ou encore l’est-il par son seul ton (polémique, virulent, voire prophétique) ? On se trouve à nouveau confronté ici à l’insaisissabilité de l’objet manifeste, et à la difficulté qu’implique le fait de le définir. Les conclusions qu’avait tirées Claude Abastado en 1980 sont à ce sujet toujours d’actualité : « Les manifestes, donc, c’est Protée — changeant, multiforme, insaisissable. Faut-il alors renoncer à l’étude ? La recherche d’une définition est décevante ; celle d’une essence, illusoire. Le manifeste n’existe pas dans l’absolu8. » Plutôt que de « renoncer à l’étude », on se rangera ici à l’avis d’Anna Boschetti, qui a montré notamment la difficulté qu’il y avait à figer dans une définition des processus historiques où « la chose est souvent indépendante du mot, et la perception un facteur essentiel dans la genèse des classements des phénomènes intellectuels et sociaux9 ». On se doit donc de prendre du recul par rapport à toutes les tentatives de fixation définitive de la notion de manifeste qui partent des manifestes futuristes et surréalistes, et qui ne peuvent procéder à une généralisation qu’en multipliant les exceptions10. Claude Abastado, comme Anna Boschetti, préconise de « ne pas se borner à prendre en considération les textes présentés explicitement dès leur parution comme manifestes, mais la constellation plus ample des textes qui ont été perçus comme “manifestaires”11 ». Cela signifierait alors que « La Lipo12 » pourrait être considéré comme un manifeste dès 1961, même s’il n’en porte pas le nom. Mais comment savoir si le texte a été perçu comme manifestaire ? L’étude de sa réception, en apportant la réponse à cette question, permettrait aussi d’en éclairer une autre : pourquoi, à quelle fin ce texte a-t-il été renommé, uploads/Litterature/ bloomfield-c-2013-les-manifestes-a-l-x27-oulipo-la-disparition-d-x27-une-forme 1 .pdf
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- Publié le Dec 11, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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