En couverture : Habib Bourguiba © FOUCHERAND/AFP. Création graphique : Antoine

En couverture : Habib Bourguiba © FOUCHERAND/AFP. Création graphique : Antoine du Payrat Cartographie : Philippe Paraire ISBN : 978-2-21-369982-0 © Librairie Arthème Fayard, 2019. Dඝ ඕඳඕඍ ඉඝගඍඝක 1962, l’année prodigieuse, Denoël, 2012. Flaubert, Perrin, « Autoportraits », 2013. De Gaulle et Mauriac : Le Dialogue oublié, Fayard, « Histoire », 2015. ENTRETIENS Confessions du n 2 de l’OAS. Entretiens avec Jean-Jacques Susini, Les Arènes, 2012. EN COLLABORATION « Guerre d’Algérie, le choc des mémoires », Le Monde, « Le Monde Histoire », 2013. « De Gaulle, du rebelle à l’homme d’État », Le Monde, « Le Monde Histoire », 2014. « Kennedy, l’homme, le président, le mythe », Le Monde, « Le Monde Histoire », 2015. o À Nadia Baccouche qui m’a ouvert les portes de son pays Table Couverture Page de titre Page de Copyright Du même auteur Prologue - Le jour de gloire du Combattant suprême Première partie - La conquête du pouvoir 1903-1956 I - Monastir à l'aube du xxe siècle II - L'éveil à la politique III - Le Néo-Destour, parti du peuple IV - Les écueils de la Seconde Guerre mondiale V - Dans l'impasse VI - L'indépendance, enfin Deuxième partie - L'exercice du pouvoir1956-1969 VII - L'architecte VIII - Les frères algériens IX- Le faux-pas de Bizerte X - Le gouvernement d'un seul XI - En marge du monde arabe XII - Les années Ben Salah Troisième partie - Les épreuves du pouvoir1969-1987 XIII - Président à vie XIV - Pompidou, Giscard d'Estaing, Kadhafi, Arafat XV - Le peuple se révolte XVI - La rue récidive XVII - Les errances d'un vieil homme XVIII - L'heure de Ben Ali Épilogue - Le reclus Notes Chronologie Bibliographie Index Cahier Hors Texte PROLOGUE Le jour de gloire du Combattant suprême Habib Bourguiba l’affirme : le 1 juin 1955 a été « le plus beau jour de ma vie ». Du pont supérieur du Ville-d’Alger qui aborde aux côtes tunisiennes en cette chaude matinée de printemps, il peut apercevoir la marée humaine, massée sur les quais, d’où montent des « Yahia Bourguiba ! », « Vive Bourguiba ! ». La grande nouvelle, que tous attendaient, a précédé de peu ce retour triomphal au pays après des mois d’éloignement imposés par la France au leader nationaliste : le dimanche 29 mai à 3 heures du matin, les gouvernements français et tunisien ont paraphé à Paris l’accord qui consacre l’autonomie de la Tunisie. Le protectorat prend fin, la route de l’indépendance est ouverte. Plus qu’à toute autre figure nationaliste, les Tunisiens doivent à la détermination, à la lucidité et au courage de celui qu’ils célèbrent ce jour-là de pouvoir enfin redresser la tête. Effacées, les treize années que Bourguiba a passées en prison, en exil ou en résidence forcée. Oubliées, les humiliations, les revers et parfois les moments de doute qui ont émaillé le combat auquel il s’est voué corps et âme trente ans durant. À bord du Ville-d’Alger qui accoste sous les vivats à La Goulette, l’avant-port de Tunis, il savoure son jour de gloire. Coiffé d’un fez écarlate mais vêtu à l’européenne, il agite un mouchoir blanc, gage de fidélité à ce peuple qui lui ouvre grand les bras. er 1 À peine est-il descendu de la passerelle que la foule le happe, le porte, l’étreint. Après une brève allocution , le héros du jour prend la route de Carthage où l’attend le bey, le chef d’État du pays, puis de la médina de Tunis. Venus des caïdats les plus reculés, à pied, en charettes, à bord de taxis collectifs, à bicyclette, en autocar, des grappes compactes lui font une haie d’honneur le long des 30 kilomètres du parcours. Le voici, un foulard rouge autour du cou tel un jeune nationaliste ; chevauchant un fier pur-sang ; à bord d’une Chevrolet Bel Air découverte, un chapeau au large bord emplumé sur la tête, l’emblème de la tribu des Zlass ; debout dans une Land Rover ; porté à dos d’homme… Il a officiellement 51 ans (son âge est incertain), et s’il se tient si droit dans le tourbillon qui l’emporte, c’est qu’il est petit : 1,65 mètre, 5 centimètres de moins que la moyenne de ses contemporains . Mais le Zaïm al-umma, le leader de cette nation en devenir, rayonne d’autorité et de confiance en soi, comme l’observe le journaliste français Jean Daniel qui a fait sa connaissance à cette époque : « Je le revois petit mais prêt à bondir, le menton déjà impérial […], le pétillement bleu de son regard à la fois dominateur et amusé […]. Aussitôt, je me dis qu’il était de la race des félins avec, en plus, une expression gestuelle si accomplie qu’elle aurait pu le conduire au mime […]. Lorsqu’il parlait en public, incomparable tribun, ses gestes précédaient à ce point l’expression de sa pensée que lorsqu’il s’exprimait on avait l’impression qu’il se répétait . » Bouguiba a subjugué ses contemporains. L’un de ses anciens ministres, Ahmed Mestiri, parle de « magnétisme ». Un autre, Chedli Klibi, assure : « L’ascendant de Bourguiba était tel que même quand on n’était pas d’accord, on se taisait. Il exerçait sur nous une forme d’hypnose . » Un troisième, Driss Guiga, ajoute : « Même ses ennemis ont été marqués par lui. On était contre Bourguiba mais pas pour quelqu’un d’autre . » Ces témoignages tracent le portrait d’une personnalité hors du commun, dotée d’un authentique « charisme » au sens où l’entend le sociologue allemand Max Weber . Cet ascendant indiscuté l’a tôt désigné aux yeux de ses compagnons de lutte comme le « Combattant suprême », un honneur qui lui est resté . 2 3 4 5 6 7 8 9 Le pays qu’il a présidé pendant trente ans, de 1957 à 1987, au lendemain de l’abolition de la monarchie, est peuplé d’un peu plus de 4 millions d’habitants lorsqu’il en prend les rênes ; d’un peu moins de 8 millions au terme de sa vie politique. De tous les pays du Maghreb, c’est le plus homogène, géographiquement, ethniquement et culturellement : ses frontières ont peu varié au cours des siècles ; contrairement à l’Algérie et au Maroc, les Berbères ne représentent que 2 % de la population ; la même langue, l’arabe dialectal (l’arabe tunisien), est parlée par tous ou presque ; et la quasi totalité de la population se reconnaît dans l’islam sunnite. Cette homogénéité est un atout pour ce pays auquel la nature a à peu près tout dénié : les ressources de son sous-sol sont rares et les trois quarts de ses terres agricoles sont arides (le Sud) ou semi-arides (le Centre). « La nature ne nous a pas gâtés », se plaignait souvent Bourguiba. Le plus oriental des pays de l’Afrique septentrionale compte 164 000 kilomètres carrés : un tiers de la France métropolitaine, l’équivalent de la Louisiane. Bourguiba assumait en bloc, faiblesses et gloires mêlées, l’histoire de ce petit pays qu’à l’époque médiévale on appelait l’Africa, l’Ifriqiya. Il présidait les conseils des ministres entouré des bustes de Hannibal, Jugurtha, saint Augustin et Ibn Khaldûn . Dans une galerie attenante, en son palais de Carthage, les portraits alignés des dix-neuf souverains husseinites rappelaient aux visiteurs l’histoire de leur dynastie, entachée d’une faute inexpiable : avoir, en 1881, livré la Tunisie à la France. Bourguiba glorifiait Hannibal, le brillant chef de guerre (247-182 av. J.-C.) dont il aurait aimé ramener les cendres à Tunis, et fut désolé d’apprendre que le lieu prétendu de sa sépulture, en Turquie, était le fruit d’une légende . Il créditait aussi la Carthage antique d’avoir introduit en Afrique « les notions d’État, de Constitution et de pouvoirs organisés ». Pour autant le héros bourguibien par excellence n’est pas Hannibal mais Jugurtha (160-104 av. J.-C.), le chef berbère qui mena une lutte sans merci contre l’occupant romain après la chute de Carthage. De Jugurtha, découvert chez l’historien Salluste (86-35 av. J.-C.), Bourguiba a surtout retenu ce conseil : savoir, même s’il en coûte, « retarder tour à tour et la guerre et la paix », c’est-à-dire user alternativement de souplesse et de ténacité. Évoquant l’échec tragique de Jugurtha, Bourguiba se 10 11 12 13 14 15 présentait comme « un Jugurtha qui a réussi » deux mille ans après à libérer son pays de ses ultimes envahisseurs, les Français. Saint Augustin (354-430), docteur de l’Église latine, doit à sa naissance aux confins algéro-tunisiens et d’avoir vécu à Carthage l’honneur de figurer au panthéon de Bourguiba, mais celui-ci se référait plus volontiers à Ibn Khaldûn (1332-1406), né à Tunis et fondateur, avant Auguste Comte et Émile Durkheim, de la sociologie moderne. Bourguiba voyait dans l’œuvre de cet intellectuel pionnier, Le Livre des Exemples en particulier, les prolégomènes de la « philosophie des Lumières » dans laquelle il se reconnaissait, tout musulman qu’il était. S’il évoquait volontiers ces hautes figures de l’histoire tunisienne, quitte à interpréter leur œuvre, c’est que ce sont des bâtisseurs, des résistants et des modernistes. Il se voulait leur continuateur. uploads/Litterature/ bourguiba-bertrand-legendre-2019-pdf.pdf

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