Repenser le réalisme CRIST Centre de recherche interuniversitaire en sociocriti
Repenser le réalisme CRIST Centre de recherche interuniversitaire en sociocritique des textes www.site.sociocritique-crist.org Collection « Chantiers », no 1 Cahiers de sociocritique 2015 © CRIST 2015 Pour citer ce document : Collectif, « Repenser le réalisme », Cahiers de sociocritique, coll. « Chantiers », no 1, 2015, 36 p. URL : www.cahiersdesociocritique.org Repenser le réalisme Objectifs La question du réalisme en littérature, si l’on entend par réalisme l’intention de reproduire fidèlement la réalité dans un texte, est l’une de ces questions dont la critique annonce à intervalles réguliers la vanité cependant qu’elle n’a de cesse de faire encore et toujours retour. Ainsi s’étonne-t-on à peine de lire sous la plume de l’un de ses meilleurs spécialistes que le roman français contemporain se caractérise par un « retour au réel » qui congédie le repli autoréflexif et les recherches formalistes dont les textes produits dans la mouvance de Tel Quel furent emblématiques (Viart, 2008). Cette question et sa résurgence constante ont essentiellement été traitées de deux façons. La première, ébauchée par la critique littéraire de la seconde moitié du XIXe siècle (Merlet, 1863 ; David- Sauvageot, 1890), est depuis lors devenue celle de l’histoire littéraire. Quand même bien cette dernière signale des antécédents notables (la tradition comique, le roman picaresque, des auteurs des Lumières tels Lesage, Diderot, Marivaux, Rétif, Mercier), elle ne le fait que par rapport au roman réaliste français du XIXe siècle, car elle tient celui- ci pour l’archétype du réalisme, alléguant implicitement ou explicitement qu’il a réalisé au mieux le projet esthétique qui 4 Cahiers de sociocritique, collection « Chantiers », no 1 est à son principe. Au fil des manuels et des synthèses, les contours d’un corpus exemplaire se sont précisés. Il va du réalisme visionnaire de Balzac au remodelage scientifique qu’en proposent Zola et les naturalistes ; il passe par « l’art vrai » dont use Champfleury pour dire la platitude de la vie courante et par la reproduction photographique, « exacte, sincère, du milieu social, de l’époque où l’on vit » chère à Duranty ; il ne néglige pas l’influence latérale du mouvement réaliste en peinture (Courbet, Millet) et intègre Flaubert en dépit du dédain que le mot « réalisme » et que les « réalistes » lui inspiraient. Quelles que soient les nuances et les précautions prises par les historiens, la logique de cette démarche, que favorisent d’ailleurs l’enseignement et les livres qui lui sont destinés, reste finaliste et normative (Larroux, 1995 ; Thorel-Cailleteau, 1998). Qu’ils se concentrent sur le triangle Balzac-Flaubert-Zola, qu’ils distendent ou non le moment 1840-1890 en amont et en aval (Larroux, 2002 ; Bourdenet, 2007), elle les pousse à tenir peu ou prou ce qui vient avant Balzac (Scarron, Sorel) pour des précédents rudimentaires et ce qui vient après Zola (Romains, Aymé, Bon) pour des répliques du séisme symbolique que constitua La Comédie humaine. Par suite, les récits de l’histoire littéraire moderne en viennent à suggérer que la succession des esthétiques littéraires du romantisme à nos jours résulte d’une contestation permanente du réalisme ou de son avatar conjoncturel, lequel est disqualifié soit parce que son projet est vain, naïf, illusoire ou artistiquement improductif soit parce qu’il ne réalise pas vraiment son louable dessein et qu’il faut en conséquence trouver un meilleur accès au réel que le sien. À titre d’exemples, Zola correspond au second cas de figure, Valéry et les surréalistes au premier. La seconde façon est adoptée dans Mimésis (1946), classique des études de lettres s’il en est. Loin de se limiter 5 Repenser le réalisme aux deux derniers siècles et à la France, Erich Auerbach définit le réalisme comme une tendance esthétique traversant les siècles et se donne pour objet « La représentation de la réalité dans la littérature occidentale ». L’ouverture de l’essai oppose Homère, qui inscrit ses personnages épiques dans un cadre spatiotemporel précis et dans un monde palpable, à la Bible, dont l’élan vers les pratiques concrètes est inféodé à la monstration de la vérité et à la preuve toujours à redire de la validité de la tradition théologique. Fort de ce résultat qui dissocie l’occident et l’orient, le critique circule librement parmi les grands noms de la littérature européenne. Des textes de Dante, Grégoire de Tours, Rabelais, Montaigne, Cervantès, Shakespeare, Goethe, Stendhal, Woolf entre autres sont examinés, ici et là contrastés avec des productions demeurant arrimées au classicisme antique. Alors que ces productions néoclassiques ne traitent que de sujets élevés avec un style à l’avenant dans un esprit idéaliste, élitiste et anhistorique, les œuvres réalistes ne respectent pas la hiérarchie ancienne des styles selon laquelle la réalité pratique et trivialement quotidienne ne ppeut s’écrire que dans un style bas (sur le mode du gros comique) ou moyen (sur un mode léger, plaisant). À ce refus de la distinction des niveaux stylistiques qui constitue la première spécificité du réalisme s’ajoute une dimension évolutive et méliorative. Curieusement, le roman réaliste français du XIXe siècle devient ici aussi un archétype-étalon, mais en l’occurrence moins sous une forme normative que sur le mode d’une téléologie rétroactive. Aux yeux du critique (1968, p. 550 et ss.), il incarne un « réalisme moderne », issu d’une « évolution commencée au XVIIIe siècle », elle-même bouturée sur une tendance transséculaire. Il parachève cette dernière, qui se caractérise par le choix de mettre de plus en plus en scène la vie quotidienne des gens et d’en proposer une représentation sérieuse, complexe ou tragique. 6 Cahiers de sociocritique, collection « Chantiers », no 1 L’ambition de ce chantier de sociocritique est de repenser la question du réalisme littéraire sur d’autres bases et avec d’autres hypothèses que celles-là. Nous excluons l’idée que le roman réaliste français du XIXe soit le parangon par rapport auquel devraient s’évaluer les textes à prétention mimétique qui lui sont antérieurs ou postérieurs. Nous ne voulons pas faire un récit historique habité par un préjugé de progrès esthétique qui conduirait à dire que Balzac est un meilleur réaliste que Scarron, ce qui ne nous semble pas avoir beaucoup de sens. Nous contestons cette tautologie voulant que la question du réalisme en littérature ne concernerait que les écrivains estampillés « réalistes » par l’histoire littéraire. Nous ne pensons pas non plus que le réalisme concernerait avant tout le roman, et non la poésie, le théâtre, l’essai ou l’autobiographie. Il nous apparaît aussi que la question de la représentation du réel dans la littérature ne peut se limiter à quelques grands textes de la littérature consacrée, comme si Balzac, Flaubert et Zola avaient eu une conversation privée qui aurait banni de fait le roman populaire ou la « poésie objective » appelée par Rimbaud. Il nous étonne grandement qu’il n’y ait aucune écrivaine dans les ouvrages de synthèse ou de vulgarisation traitant du réalisme au XIXe siècle et que les textes des minorités sexuelles ou des marginalités sociopolitiques ne soient guère davantage pris en considération. D’Erich Auerbach, nous retiendrons le parti pris de penser la question réaliste en longue durée, mais sans considérer comme lui que la question reste la même au travers des âges et qu’il y aurait une maturation progressive du réalisme au fil du temps historique. Incidemment, ceci nous éloigne aussi de la conception d’un « Grand Réalisme » (Lukács, 1975, 1998), produisant des « types » où se condense la contradiction du mouvement historique, Balzac étant une fois de plus le parangon de l’écrivain capable de cette prouesse. 7 Repenser le réalisme Nous considérons qu’il y a eu des réalismes, certes tous liés au désir de dire la réalité du monde empirique et de la condition humaine, mais de natures très différentes et très variées, car ils sont pour ce faire affrontés non pas à une réalité immédiatement accessible (que ce soit la « vie quotidienne » ou une lézarde sur un mur), mais toujours déjà sémiotisée par des mots, des représentations, des langages colportés dans l’espace social conjoncturel. Cette interaction avec ce déjà signifié marque l’historicité et la socialité des réalismes, lesquelles sont notre objet même d’étude. En toute logique avec la discussion que nous venons de mener des travaux d’histoire littéraire et de l’ouvrage classique d’Erich Auerbach, nous nous proposons d’étudier cette historicité et cette socialité sur une longue durée s’étendant des premières épopées médiévales à l’époque contemporaine. Le corpus des textes à l’étude sera plurigénérique et choisi en fonction du caractère dynamique de l’interaction constatée entre le texte et les éléments extérieurs dont il fait son altérité constitutive. Le domaine inventorié sera celui de la littérature française, auquel s’ajouteront des œuvres puisées dans plusieurs littératures francophones (Caraïbes, Québec, Europe occidentale, Afrique) d’autant plus intéressantes à questionner qu’elles ont été tenues d’entretenir un dialogue critique fort avec le modèle du roman français du XIXe siècle et d’inventer d’autres modèles tels le réalisme merveilleux ou le réalisme magique (Dehon, 2002 ; Scheel, 2005). Contexte et problématique Si la nature et le grand angle de saisie de notre projet exigeaient que nous en éclairions les objectifs en le différenciant de l’histoire littéraire et de l’approche d’Erich Auerbach, il uploads/Litterature/ cahiersdesociocritiquechantiers1-versionweb.pdf
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- Publié le Oct 25, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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