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© Les Cahiers du GRELCEF. www.uwo.ca/french/grelcef/cahiers_intro.htm No 8. Le fait religieux dans les écritures et expressions francophones. Mai 2016 ___________________________________ La religion dans la littérature : Entre le sacrilège et la rationalité Khadija El Jari Université El Jadida (Maroc) RÉSUMÉ L’écriture de Fouad Laroui foisonne d’intertextes religieux dont l’omniprésence révèle le pouvoir qu’exerce le texte divin sur l’auteur. Le Coran, le Hadith1, Dieu, le prophète Mohamed, ses compagnons et quelques croyances héritées sont convoqués tour à tour et soumis à l’œil de l’intellectuel qu’est le narrateur larouien. Au fil des romans, le narrateur oscille entre l’éloge et le blasphème jusqu’aux Tribulations du dernier Sijilmassi2. Là, le narrateur-personnage lesté des idées de ses ancêtres Averroès et Ibn Tofail3 exhorte les croyants musulmans d’une part à une étude exotérique du Coran d’autre part à la nécessité d’associer les diverses interprétations à leur contexte historique. D’ailleurs, l’écrivain francophone Fouad Laroui ne se contente plus de critiquer la confession de sa communauté d’origine, il se hasarde désormais à dénoncer les travers des autres religions révélées à savoir le judaïsme, le christianisme et même les autres croyances. LA RELIGION DANS LA LITTÉRATURE : ENTRE LE SACRILÈGE ET LA RATIONALITÉ La littérature maghrébine d’expression française jouit d’un statut particulier au sein de la littérature francophone : ses apports tout à la 1 « Le Hadîth rassemble les paroles, les actes et les approbations du prophète de l’islam. » Voir Philippe Gaudin et al. 1995. Les grandes religions. Paris : ellipses, p. 100. 2 Laroui, Fouad. 2014. Les tribulations du dernier Sijilmassi. Paris : Julliard. 3 Ibn Tofail est un philosophe et médecin andalou (1110-1185) connu en Occident sous le nom d’Abubacer. 140 KHADIJA EL JARI © Les Cahiers du GRELCEF. www.uwo.ca/french/grelcef/cahiers_intro.htm No 8. Le fait religieux dans les écritures et expressions francophones. Mai 2016 fois linguistiques, formels et thématiques sont aujourd’hui largement attestés. La littérature hexagonale s’est enrichie de ses multiples productions grâce aux cultures et grandes civilisations qui l’alimentent sans cesse. Aujourd’hui, le roman, sans doute plus qu’aucun autre genre, semble offrir la possibilité d’une appropriation textuelle et dynamique d’un grand nombre de genres littéraires classiques (théâtre, poésie, essai, conte, etc.) ou paralittéraires4 Sur le plan strictement thématique, l’écriture romanesque maghrébine, aspirant à rendre compte des préoccupations tout à la fois de la société et de l’individu, fait appel à une multitude de discours qui se rencontrent, s’affrontent et s’enchevêtrent. C’est ainsi que les discours religieux, politique, philosophique, scientifique, juridique, sont conviés par l’écrivain pour construire un univers romanesque multidimensionnel. Cependant, au cours des dernières années, nous remarquons que le discours religieux se trouve de plus en plus convoqué par la narration romanesque maghrébine et semble parfois occuper une place centrale. Cela s’explique sans doute par le fait que ce discours trouve sa source dans l’histoire et la société maghrébines : il constitue à cet égard le code de légitimation des pratiques tant sociales, politiques que culturelles de la communauté. Cette place centrale qu’occupe le discours religieux trouve également son explication dans le statut sacré qui est assigné au texte coranique qui alimente et légitime souvent tout discours se réclamant de la religion musulmane. L’individu se trouve ainsi cerné socialement, juridiquement et politiquement par le texte divin, chose que les écrivains marocains ne peuvent ignorer. Or, dans certains textes, la thématique religieuse s’avère hégémonique et tend ainsi à envahir la totalité de l’intrigue romanesque. (bande dessinée, presse écrite, chanson, publicité…) Le propos que nous voudrions développer dans cet article ambitionne d’étudier les modalités de fonctionnement du discours religieux dans quelques textes romanesques de l’écrivain marocain Fouad Laroui. C’est à dessein que nous avons choisi cet auteur : dans un grand nombre de ses œuvres, le discours religieux est délibérément utilisé selon des enjeux qu’il s’agit d’éclairer. Certes, Fouad Laroui s’inscrit dans une tradition romanesque maghrébine ancienne ; cependant, il nous semble que le traitement narratif et thématique qu’il fait subir au religieux présente quelques éléments nouveaux que nous 4 Bakhtine, Mikhaïl. 1978. Esthétique et théorie du roman. Paris: Gallimard, p. 141. LA RELIGION DANS LA LITTÉRATURE 141 © Les Cahiers du GRELCEF. www.uwo.ca/french/grelcef/cahiers_intro.htm No 8. Le fait religieux dans les écritures et expressions francophones. Mai 2016 voudrions mettre au jour. Nous pensons en effet que ce traitement ne s’inscrit pas dans le cadre des préoccupations des premiers auteurs marocains de langue française. 1. LE TEXTE SACRÉ : TÉMOIN DU PASSÉ ET DU PRÉSENT MUSULMAN En dépit du parcours scolaire des auteurs, de leurs représentations religieuses, de leurs lectures et de leurs idéologies, le discours religieux constitue un leitmotiv dont l’étude diffère d’une œuvre à une autre. Glorifiée, bafouée, controversée, la religion est loin d’être cette « parole autoritaire »5 hermétique à toute modification. La désacralisation du texte divin et de ses représentants apparaît dès le premier roman marocain La boîte à merveilles6 d’Ahmed Sefrioui. Le narrateur sidi Mohamed ne cache pas son amusement lors de la récitation des versets coraniques et nous communique son aversion du M’sid7 et du fqih8 Mais Fouad Laroui n’a jamais été au M’sid et par conséquent n’a pas subi les affres de la violence du maître. Outre la non-fréquentation de l’école coranique, l’auteur n’a pas souffert de la tyrannie du père. Bien plus, il a poursuivi des études françaises dès son enfance et était plus proche de la civilisation de Voltaire que de celle de ses concitoyens marocains. Quels sont alors les angles sous lesquels est traitée la religion dans son œuvre littéraire ? dont la violence hante l’univers du petit jusqu’à la maladie. Driss Chraïbi, Tahar Ben Jelloun, Mohamed Khaïr Eddine et d’autres auteurs poussent plus loin leur critique et dénoncent les tares d’une société phallocrate dont les dominants maltraitent au nom de la religion les dominés qui par leur soumission exaspérante constituent la deuxième cible des écrivains marocains. Le discours religieux est l’une des composantes essentielles des œuvres de Fouad Laroui. C’est l’intertexte omniprésent qui fait l’objet d’un rapport ambivalent sans équivoque. Le livre sacré voit ses fonctions évoluer du passé au présent dans la société marocaine. Dans le roman La 5 Bakhtine, Mikhaïl. Ibid., p. 161. 66 Sefrioui, Ahmed. 2010. La boîte à merveilles. Casablanca : Librairie des Ecoles. (Seuil : 1952). 7 Le M’sid est l’école coranique où les enfants apprennent le Coran. 8 Le Fqih dans le roman La boîte à merveille désigne le maître de l’école coranique. 142 KHADIJA EL JARI © Les Cahiers du GRELCEF. www.uwo.ca/french/grelcef/cahiers_intro.htm No 8. Le fait religieux dans les écritures et expressions francophones. Mai 2016 vieille dame du riad9 dont l’action se passe au début du vingtième siècle, seule l’élite incarnée par le personnage hadj Fatmi sait lire le Coran. La lecture d’une sourate du livre divin permet la conclusion d’accords décisifs comme celui du mariage,10 et rapproche les tribus malgré leur disparité culturelle et linguistique notamment les Amazighs et les Arabes. En outre, les musulmans font coïncider des événements importants avec des dates divines pour s’assurer de la coopération du peuple qui aspire à accéder au paradis. En témoigne la bataille d’Anoual qu’Abdelkrim Khattabi a livrée contre les espagnols au Rif marocain, la nuit du vingt-sept Ramadan en 1921.11 Outre le pouvoir du Coran et son impact sur les croyants musulmans, la structure des phrases sacrées est également mise en avant dans le roman larouien. En fait la célèbre phrase énoncée par le politicien Michel Jobert (Laroui, 2014 : 88-86) « Est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue forcément une agression imprévue ? » A l’instar du Coran, le Hadith fait office d’un argument d’autorité qui exhorte les individus à la bonne conduite. Aussi le hadj Fatmi est-il un bon commerçant de grande notoriété puisque le prophète a affirmé que « le marchand sincère et de confiance sera parmi les prophètes, les justes, les martyrs. » (Laroui, 2011 : 99). 12 La citation de Michel Jobert est un prétexte pour rendre hommage à la philosophie et à la texture des textes sacrés qui interpellent la raison de l’individu par le biais de la démonstration, la dialectique et l’exhortation. émerveille le narrateur qui la caractérise de « socratique et biblique » (Ibid. : 89). Mais son interlocuteur, qui est un psychologue, rétorque qu’il aurait dit « C’est à la fois socratique et coranique » comme en témoigne la sourate de l’Eléphant : « As-tu vu comme ton Seigneur a agi envers les gens de l’Eléphant ? N’a-t-il pas rendu leur ruse complètement vaine ? » (Ibid. : 90) 13 9 Laroui, Fouad. 2011. La vieille dame du riad. Paris: Julliard. De ce fait, le narrateur larouien ne cache pas sa fascination du texte sacré auquel il recourt dans d’autres contextes comme dans le roman La femme la plus riche du Yorkshire. Là, le 10 Ibid., p. 92. 11 Ibid., p. 118. 12 Michel Jobert énonce cette phrase à l’ONU lorsque les égyptiens ont voulu récupérer leurs terres en 1973. 13 Laroui, Fouad. « Averroès ». 11 juillet 2013. Conférence à L’Université d’Avignon et des pays de Vaucluse. En ligne. https://www. youtube. com/watch?v=5Cs-mjSidaQ. LA RELIGION DANS LA uploads/Litterature/ cgrelcef-08-text09-eljari.pdf
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- Publié le Oct 09, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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