Les Cinq vies de Marcel Un récit librement inspiré par la vie, les vies de Marc

Les Cinq vies de Marcel Un récit librement inspiré par la vie, les vies de Marcel Narwa Rédigé et écrit par sa fille Catherine Minka Djoumi Narwa en juin 2022 Quand on raconte des histoires on commence souvent par Il était une fois Là il était un jour… le 5 juin où une femme reçoit cinq lettres Ce qui est surprenant, c’est que toutes ces lettres lui arrivent en même temps, le même jour, le 5 juin Et ce qu’elle voit tout de suite, car elle est observatrice C’est que c’est la même écriture, le même papier Ah cependant le plus incroyable : ce n’est pas le même cachet de la poste sur le timbre et ce n’est pas la même année Bon Elle se saisie d'une enveloppe (la conteuse le fait), elle l'ouvre et lit ... ( Conteuse face public :) elle en perd le souffle La première lettre commence ainsi Chère Suzanne, Je suis né le 5 juin 1935 à Paris, quelques mois après ton départ. Je suis ton frère Motelé Avranowitz Conteuse face public : Ah oui je dois vous dire que cette femme s’appelle Suzanne Avranowitz, enfin c'est son nom de jeune fille. Elle est stupéfaite car elle ignorait avoir ce frère. Ce qu'elle sait, enfin ce que je sais de cette femme, car je peux l’imaginer, c'est qu'à 19 ans elle a quitté sa famille. Elle a quitté Paris, elle a quitté la France. Elle s’est mariée contre l’avis de son père. Et après guerre, on lui a appris que sa famille avait disparu en déportation. Alors imaginez son étonnement, avec cette lettre dans les mains, d'un inconnu qui se dit être son frère... La curiosité, oui SA curiosité l'emporte. Elle reprend son souffle et poursuit la lecture. La lettre dit : Chère Suzanne, Je suis né le 5 juin 1935 à Paris quelques mois après ton départ. Je suis ton frère Motelé Avranowitz Je suis rabbin Bonjour ma sœur J’ai choisi d’être loyal envers la volonté de notre père. Comme tu le sais, notre famille a fui la Pologne, et la France nous a accueilli. Nous avons vécu tous ensemble dans cette unique pièce à Paris. Je me souviens encore des mots yiddish si chantants, si vivants, si émouvants. Comme tu le sais peut être, notre père a été raflé en 1941 mais nous, les enfants, les 6 garçons, nous avons été protégés par notre mère grâce aux conseils d’un avocat juif, Maître M. Il a dit à Maman de nous mettre à l’assistance publique, à Denfert Rochereau, dans ce lieu appelé le Dépôt. De là, nous avons été placés dans des fermes à la campagne, dans l’Yonne. Après la guerre, Maître M est venu me voir et il m’a dit : « Comme le désirait ton père, tu vas devenir rabbin ». Tu te rends compte ma sœur? J'apprends que le 24 aout 1942, notre père a été déporté dans le convoi n°23 vers Auschwitz. Il a été tué, gazé, le 26 août 42. J’apprends que mes frères ainés Henry, qui avait 19 ans, et Léon, qui avait 16 ans, ces frères que toi-même tu as connus, se sont sauvés de l'assistance publique. Ils sont allés rejoindre notre mère. Et tous les trois ont été raflés le 16 juillet 1942, déportés à Drancy. Ils ont été envoyés à Auschwitz le 9 février 1943 dans le convois n°46. On les a tués dans les chambres à gaz le 11 février 1943. Dans ma tête, oh dans ma tête, une telle confusion, un vide. Comment retrouver un équilibre? Toutes ces horreurs, comment Dieu a-t-il pu le vouloir ? Devenir rabbin après tout cela ? Je m'entends encore crier NON, silencieusement, à m'en faire péter le cerveau. Or, ma sœur, j’ai pourtant dit Oui à Maître M. J’ai fait des études rabbiniques, en 1946, et je suis parti faire le séminaire à Vauquelin Aujourd’hui, je sais pourquoi je l’ai fait Ce n’était pas juste pour rendre hommage à notre père, à notre mère, à notre famille, ou même pour trouver un équilibre. Je voulais transmettre. Etre Rabbin pour moi c’est cela. C’est diffuser l’espoir, la joie, la lumière auprès de tous. Aujourd’hui j’ai ouvert mon cœur, j'ai fait la paix, et j’ai pu trouver le chemin vers toi. Voilà Alors je t’envoie cette lettre Garde la foi ma sœur Retrouvons nous A la commémoration du 16 juillet 1942 Je m’en fais une joie Nous n’oublions pas Ne nous oublions pas Ton frère Motelé Avranowitz Conteuse : Vous imaginez ? Enfin je vous décris ce que je vois de Suzanne. Suzanne a lu cette lettre à haute voix. Les larmes lui coulent sur les joues. Elle reprend son souffle, elle prend un mouchoir, elle essuie ses yeux, se mouche. Suzanne regarde autour d’elle d’un air perdu, son regard se pose sur la table… Elle voit les autres lettres. Elle prend une grande inspiration et ouvre une des enveloppes. La deuxième lettre commence ainsi Chère Suzanne, Je suis né le 5 juin 1935 à Paris quelques mois après ton départ. Je suis ton frère Mickaël Avranowitz Je suis scientifique et chercheur aux USA (la Conteuse est sans mot, visage étonnée, interrogative) Suzanne : « Quoi un autre frère ? Un jumeau ? » (la Conteuse face public Elle regarde le cachet de la poste) Suzanne : « USPS… United States Postal Service… » Bonjour ma sœur J’ai choisi d’être loyal envers la volonté de notre père. Comme tu le sais, notre famille a fui la Pologne, et la France nous a accueilli. Nous avons vécu tous ensemble dans cette unique pièce à Paris. Conteuse : Suzanne réalise qu’elle est en train de relire la même lettre. Pourtant, au bout de quelques paragraphes, celle-ci change ... De là, nous avons été placés dans des fermes à la campagne, dans l’Yonne. Après la guerre, donc, j'ai rejoins d'autres orphelins avec les frères cadets Maurice, Daniel et Charles, dans une maison de la CCE, le comité central de l'enfance, à Andresy puis à Tarnos. Dans le train du retour pour Paris, j'ai réalisé que je ne pouvais plus compter que sur moi même. Comme tu le sais, quand nos parents Samuel et Minka sont arrivés en France dans les années 20, en provenance de Varsovie, ils étaient avec nos grands-parents paternels, Moïse et Anna. Ils pensaient réussir à traverser l’Atlantique pour se rendre en Amérique. Ils n’ont jamais pu le faire. Donc, après la guerre, j’ai choisi d’être loyal envers la volonté de notre père et j'ai été jusqu'en Amérique. Pause : expression de surprise En Avril 1947, je suis enfin admis aux USA. J'arrive à Long Island. Je pense à eux, à nos parents. Me voici à New York pour rejoindre une tante et un oncle. Pour te résumer leur accueil, ma sœur, disons que je ne suis pas le bienvenu. La vie me réserve un autre traumatisme. Evidement, je n'emploie pas ce mot à l'époque. En 1948, je tombe malade. J'ai le virus du rhumatisme articulaire aigu. Une maladie mortelle. Je suis 2 semaines dans le coma et, à mon réveil, à l'hôpital public Lincoln, m'attend une vision d'horreur. Je suis dans la salle mouroir, en cardiologie adulte. Autour de moi, les gens périssent. J'y reste... longtemps. Toutes ces horreurs, ma sœur La guerre, la déportation, la mort partout. Je me sens démuni et poursuivi Comment donner un sens à tout cela ? Je découvre alors que la tante veut se débarrasser de moi pour ne pas payer les frais d'hôpital. Là, j’ai dit NON Avec l'aide de l'assistante sociale, Henrietta, je décide de ne pas retourner chez ma tante et de partir en maison de convalescence. Et là, enfin, une lumière va éclairer mon chemin : le couple qui dirige ce lieu décide de m'adopter. Ils m’offrent la possibilité de poursuivre mes études. Alors là, je peux dire OUI. Oui aux études. Je suis reçu aux Stuyvesant High. Ma sœur, je suis ensuite reçu à MIT puis à Princeton. J’ai fait ces grandes études universitaires !! Moi, le petit juif de Belleville ! Aujourd’hui je sais pourquoi. J'ai voulu comprendre rationnellement le sens de tout cela et le transmettre. Etre enseignant c'est cela, c’est diffuser le savoir. Ce qui rend l'humain libre, c'est la Connaissance. Aujourd’hui j’ai ouvert mon cœur, j'ai fait la paix, et j’ai pu trouver le chemin vers toi. Voilà Alors je t’envoie cette lettre Garde la vigilance, ma sœur Retrouvons-nous A la commémoration du 16 juillet 1942 Je m’en fais une joie Nous n’oublions pas Ne nous oublions pas Ton frère Mickaël Avranowitz les réactions de la Conteuse et de Suzanne se confondent. Plus de voix-off « Je n'en reviens pas ! Des jumeaux ! Je découvre non pas 1 mais 2 frères ! C'est incroyable, toutes ces années sans savoir que j’avais ces deux frères. (sourires) » Elle regarde autour d’elle d’un air perdu. Elle voit les autres enveloppes. Elle prend une grande inspiration et ouvre une 3ème enveloppe. Chère Suzanne, Je suis uploads/Litterature/ conte-lecture-des-5-lettres.pdf

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