Séance 2 : lecture linéaire rédigée « Zone » les 24 premiers vers « L’Esprit no
Séance 2 : lecture linéaire rédigée « Zone » les 24 premiers vers « L’Esprit nouveau » est un mouvement poétique du XXe siècle inspiré par Apollinaire qui met en avant la société contemporaine et le mode de vie moderne dans la création poétique et artistique. Cette société moderne s’illustre par les progrès techniques et ses poètes poursuivent la modernisation des formes poétiques avec le poème en prose, le poème en vers libres ainsi que le calligramme qui a permis à Guillaume Apollinaire de se faire connaître. Publié en 1913, Alcools est un recueil de quarante-trois poèmes rassemblant des poèmes très variés manifestant la maturation du poète qui expérimente entre 1898 et 1913 différentes formes d’expression. Il écrit « Zone » en 1912, c’est le dernier poème à être écrit mais il figure en première place dans le recueil. Cette place liminaire nous invite à porter notre attention sur la forme nouvelle du poème et sur son titre : faire entrer le lecteur dans le recueil, c’est le faire entrer, par ce texte, dans une nouvelle « zone » de la poésie. En effet, le texte est à bien des égards un manifeste poétique. Nous nous demanderons donc en quoi réside la modernité de ce poème atypique ? Nous étudierons d’abord la revendication de modernité de l’instance poétique (vers 1 à 10), puis nous montrerons que le poème propose une apologie du monde urbain (vers 11 à 14) débouchant, littéralement, sur une ville poétisée vectrice d’une poésie renouvelée (vers 15 à 24). I- La revendication de la modernité Ce qui frappe d’emblée le lecteur est la forme du poème : le vers semble s’étirer sur la page, alors que les strophes se réduisent à un seul vers au début du poème (monostiche ? Strophe ? ), les rimes sont approximatives (« Christianisme » / « Pie X », v.7-8) et, surtout, la ponctuation disparaît. Le poème est en vers libres pourtant il débute de façon assez traditionnelle. -En effet, il commence de manière paradoxale, par un alexandrin alors même que l’instance poétique1 exprime sa lassitude de la tradition par le vers réguliers « A la fin /tu es las/ de ce monde /ancien ». Le poème commence par un vers qui constitue une véritable provocation. Il discrédite le «monde ancien» en jouant avec les codes de la poésie classique. De plus, il commence par « la fin » (à noter que « Zone » est le dernier poème écrit par l’auteur) : le mot « fin » est surprenant placé en début de vers et déstabilise le lecteur ainsi que le pronom « tu » peu courant dans le genre poétique qui fait la part belle au « je » lyrique. Le référent du pronom personnel n’est pas clair immédiatement, « tu » peu désigner le lecteur, en réalité le « tu » désigne le poète (sorte de distanciation avec l’ancien Apollinaire ?) Alors que le poète refuse « ce monde ancien », le vers 2 s’ouvre sur un personnage ancien, la « bergère », l’héroïne des églogues ou des romans pastoraux du XVIIe siècle. Mais ici, le terme est en apposition avec « ô tour Eiffel » : la tour Eiffel, toute neuve, est assimilée à cette bergère en ce qu’elle garde le « troupeau des ponts », qu’elle domine de toute sa hauteur. La métaphore filée, surprenante, semble annoncer le surréalisme (voir technique du cadavre exquis), rappelons que c’est l’auteur qui crée le mot. On observe alors dans ce vers une alternance systématique entre éléments anciens et éléments modernes ou qui évoquent la nouveauté : « bergère » // « tour Eiffel » // « troupeau » // « ponts » // « bêle » // « matin ». La ville de Paris fascine le poète, parce qu’elle entremêle les différentes époques, créant ainsi quelque chose de totalement moderne. Dans le vers 3, « Tu en as assez de vivre dans l’Antiquité grecque et romaine », le poète martèle la même idée, à savoir sa volonté de rupture, mais avec une variation lexicale. L’opposition des niveaux de langue semble montrer l’évolution vers laquelle tend la poésie d’Apollinaire qui n’hésitera pas à combiner un vocabulaire suranné et un autre résolument familier : « tu es las » et la deuxième « tu en as assez». Apollinaire semble manifester dans l’espace même du poème son détachement de la tradition. Aussi, nous retrouvons le champ lexical de l’ancienneté, en opposition avec celui de la nouveauté dans l’ensemble du poème : « ancien » (v. 1) repris par « anciennes » (v. 4), « antiquité » (v. 3) repris par « antique » (v. 7), et « fin » 1 Celui qui s’exprime dans le poème, le « je » lyrique (v. 1), s’opposent à « neuve » (v. 5 et 16), « moderne » (v. 8) et surtout « matin » (répété aux v. 10, 12, 15, 18 et 19). L’auteur semble ainsi marteler la nécessité de passer à un autre temps, d’entrer dans une nouvelle ère de la poésie. Le vers 3 explicite « ce monde ancien » puisqu’il parle plus précisément de « l’antiquité grecque et romaine ». C’est en lien avec ce vers qu’il faut comprendre la modernité de la religion catholique, qui est ici moderne au sens chronologique du terme. Mais si la religion est moderne, c’est peut-être aussi, aux vers 5 et 6, par le parallèle qu’il crée entre elle et l’aviation. Peut-être est-ce parce que la religion et l’aviation ont à voir avec l’élévation, spirituelle pour la première, physique pour la seconde. Enfin, le vers 8 est toujours aussi ambigu : « L’européen le plus moderne c’est vous pape Pie X ». Il semble montrer un vrai respect du poète pour le Pape, puisque le vouvoiement se substitue au tutoiement, et que l’éloge de la modernité est renforcé par le superlatif « le plus moderne ». Et pourtant, qualifier de « moderne » un pape qui a contribué grandement au mouvement de l’anti-modernisme (il condamne le tango car danse trop lascive) est plutôt ironique ! Deux explications sont possibles: Pie X ayant béni l’un des premiers aviateurs, il est moderne au sens où il participe de l’aventure de l’aviation qui fascine Apollinaire. Et le Pape est moderne parce que, comme le vers 7 l’explique, la religion catholique est le symbole de la sortie définitive de l’Antiquité gréco-romaine. La personnification « Et toi que les fenêtres observent la honte te retient D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin » manifeste le sentiment de cupabilité du poète, intimidé par la façade. Ces quelques vers exposent toute la complexité du rapport d’Apollinaire à la religion. Vers 9-10, il dit sa « honte » qui l’empêche d’entrer dans une église, dans deux vers accentués par l’enjambement qui les relie. Depuis sa crise de foi à l’âge de seize ans, le poète vit une spiritualité difficile. Vers 9 et 10, le poète fait part de ses remords qui le submergent par le biais de la tournure passive: «la honte te retient». II- L’apologie du monde urbain Apollinaire célèbre le monde moderne pour ses avancées technologiques : la Tour Eiffel (créée en 1889) ouvre le poème. Ce monument, symbole de Paris, de la France, controversé à ses débuts, était une nouveauté technologique à son époque. L'aviation et ses nouveaux recordmen sont aussi évoqués. - Le monde moderne est aussi présent sous ses formes les plus matérielles et triviales : automobiles, publications diverses (monde de la presse), sirène, objets de la rue... toutes choses banales de la vie quotidienne, envahissent le texte. La présence de détails informatifs donnent réalité à cette évocation ("25 centimes", "quatre fois par jour", précision géographique...). - Ce monde matériel moderne est présentée de façon méliorative : la personnification "les prospectus [...] chantent", le parallélisme "Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux") mettent en valeur la publicité, les magazines, qui envahissent les devantures (énumération "les prospectus les catalogues les affiches ", "mille titres divers") et se présentent comme une nouvelle littérature, avec ses "grands hommes" (comme l'épopée). L’énumération donne ici l’idée d’une abondance. Cette abondance est traduite par les hyperboles « pleines » et « mille ». La particularité de cette poésie est qu’elle semble éclater aux yeux des passants, elle s’affiche sur tous les murs, elle chante à toutes les oreilles. Il est paradoxal que dans ces quelques vers qui sont un hymne à la poésie, le lexique soit particulièrement courant : « Tu lis les prospectus les catalogues les affiches ». La syntaxe est très proche de l’oral, comme dans l’anaphore « il y a ». Plus marquant encore, le détail des « livraisons à vingt-cinq centimes », qui fait entrer dans l’écriture poétique les chiffres et l’argent, deux réalités particulièrement prosaïques. Mais là encore, c’est la poésie qu’Apollinaire revendique, dans le monde urbain et dans sa conception de l’écriture poétique. Apollinaire propose une véritable poésie du quotidien, tout est poésie. III- Une ville poétisée incarnant uploads/Litterature/ correction-lecture-lineaire-zone-redigee-4.pdf
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- Publié le Oct 31, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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