Cours sur Les Contemplations I. Ce qui affaiblit la force de vivre 1) Les sépar

Cours sur Les Contemplations I. Ce qui affaiblit la force de vivre 1) Les séparations : exemple du mariage de Léopoldine Dans le second poème de « Pauca meae », Hugo se remémore le départ de Léopoldine de la maison familiale. Le 15 février 1843, elle épouse Charles Vacquerie. Hugo rédige ce poème dans l’église durant les noces. Le fait que les enfants grandissent, prennent leur envol, quittent le giron familial pour fonder leur propre famille fait partie du cycle de la vie et de la succession des générations. Le mariage est l’accomplissement d’une éducation. Pour les jeunes époux, c’est un nouveau départ plein d’espérance en un bonheur durable. Mais pour les parents, c’est aussi l’occasion d’un regard rétrospectif plus ou moins teinté de nostalgie sur le passé. C’est aussi un miroir de leur propre vie : le mariage d’un enfant rappelle aux parents leur propre vieillissement, leur propre caractère passager et mortel. Victor Hugo éprouve donc des sentiments ambivalents. Il est heureux pour sa fille et s’incline devant le cours de la vie. Mais il est aussi triste de perdre son enfant qui ne vivra plus avec lui. Un mariage peut donc donner de la force vivre par le bonheur qu’il célèbre comme il peut en enlever par la nostalgie qu’il inspire (nostalgie que Nietzsche refuse). « Donne-nous un regret, donne-leur un espoir, Sors avec une larme ! entre avec un sourire ! » Mais le poème est ambigu. Le double sens des mots et la place attribuée à ce poème, placé juste avant la date de la mort de Léopoldine, invitent le lecteur à se demander si le poète évoque le mariage ou les funérailles de sa fille. « Fille, épouse, ange, enfant » : elle était sa fille, elle est devenue une épouse, puis elle est décédée donc elle s’est transformée en ange et elle restera à tout jamais l’enfant adoré et perdu par Hugo. Le poème peut donc être lu à double sens comme une double séparation du mariage et de la mort. Il y aussi peut-être l’idée sous-jacente que ce mariage est, en partie, cause du décès de Léopoldine car si elle ne s’était pas mariée, elle ne serait pas montée dans cette barque. Elle aurait dû rester simplement sa fille, sans devenir la femme de quelqu’un d’autre. 2) La séparation définitive de Léopoldine : sa mort a) Une douleur inexprimable (les limites du langage qui ne peut rendre compte de toute expérience. Même idée chez Nietzsche) Le choc de l’annonce de sa mort : la page blanche parcourue d’une seule ligne de points à la date de sa mort le 4 septembre 1843. Il est des douleurs que le langage ne peut pas prendre en charge. Ecrire signifierait que l’on retrouve la force d’articuler des mots, que l’on rassemble une certaine volonté pour exprimer l’inexprimable, que la vie reprend un peu ses droits. 1 La mort de Léopoldine est ineffable, la douleur éprouvée par Hugo est également ineffable : il ne peut y avoir que du silence, du mutisme. b) Une douleur et un chagrin insupportables (poème IV) « Oh ! je fus comme fou dans le premier moment, Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement ». L’idée du suicide traverse l’esprit d’Hugo tant s’effondre en lui sa force de vivre après la disparition de cette enfant qu’il a tant aimée. « Je voulais me briser le front sur le pavé » c) Le déni, le refus d’y croire, l’impossible acceptation Cette mort est d’autant plus difficile à accepter qu’elle est survenue brusquement, par accident, et à l’inverse de l’ordre des choses qui devrait être la disparition des parents avant celle des enfants. Hugo a ainsi des hallucinations : il croit entendre Léopoldine tourner la clé pour ouvrir la porte de leur maison. Le poète se disait comme fou au début du poème. A la fin, il sombre dans une forme de folie : n’acceptant pas la mort de sa fille, il la voit, l’entend dans son imagination, vivant de façon hallucinatoire avec elle. « Et je n’y croyais pas, et je m’écriais : Non ! […] Il me semblait que tout n’était qu’un affreux rêve, Qu’elle ne pouvait pas m’avoir ainsi quitté, Que je l’entendais rire en la chambre à côté, Que c’était impossible enfin qu’elle fût morte, Et que j’allais la voir entrer par cette porte ! » Poème XV, vers 133-136 : « Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure, L’instant, pleurs superflus ! Où je criai : L’enfant que j’avais tout à l’heure, Quoi donc ! je ne l’ai plus » La mort de Léopoldine a touché Hugo au point de lui causer une forme de traumatisme. Il ne peut chasser de sa mémoire le souvenir du jour où il a appris la disparition de sa fille. Ce souvenir le hante car il n’est pas encore parvenu à surmonter ce traumatisme. 3) Perte de sens, révolte contre Dieu et remise en cause de la quête philosophique a) Colère et demande de comptes à Dieu Dieu est dépeint comme agissant sans bonté. « Puis je me révoltais […] - Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom Qui font que dans le cœur le désespoir se lève ? - » (Poème IV) Dans le poème « Trois ans après », Dieu est mis à distance par le démonstratif « ce » : « Si ce Dieu n’a pas voulu clore ». Hugo le tutoie et fait de Dieu un despote imposant un destin où toute liberté est refusée 2 à l’homme : « fatal maître ». Sa colère éclate en raison d’un profond sentiment d’injustice : pourquoi avoir emporté une si jeune fille, qui plus est son enfant ? Tous les verbes employés « as-tu donc pensé », « as-tu pu croire », « t’es-tu dit » sont des verbes de pensée et de jugement. Hugo reproche à Dieu de ne rien comprendre à l’humanité et l’interroge sur ses motivations. Il reproche à Dieu d’être jaloux de l’amour qu’il portait à sa fille et d’être un ravisseur : « L’humble enfant que Dieu m’a ravie ». Dieu n’est pas la seule lumière d’Hugo et sa seule vérité. Sa fille aussi était sa lumière, lui donnant la force de vivre, mais aussi d’écrire, de penser, de créer. « O Dieu jaloux, […] Pourquoi m’as-tu pris la lumière Que j’avais parmi les vivants ? » La contemplation de Dieu ne doit pas empêcher de vivre, d’aimer son enfant et de se nourrir du bonheur qu’apporte cet enfant. Hugo souhaite comprendre par l’intellect le mystère de la condition humaine. Sa foi en Dieu le pousse à percer l’insondable, à chercher la vérité sur le monde, sur l’homme, à trouver des réponses à des questions métaphysiques. Mais il rappelle à Dieu qu’il est un homme, donc un être corporel et sensible, et que sa quête d’une révélation ne l’empêchait pas d’aimer sa fille de façon sensible. Il refuse un monde purement rationnel qui le priverait de ses sentiments et de ses émotions (lien à faire avec Nietzsche même si dans la pensée de Nietzsche, c’est le sensible qui prédomine). b) Refus du stoïcisme « T’es-tu dit […] Qu’il va, stoïque, où tu l’envoies, Et que désormais, endurci, N’ayant plus ici-bas de joies, Il n’a plus de douleurs aussi ? » c) Refus d’un monde purement rationnel et d’une conception seulement métaphysique du monde « T’es-tu dit que l’homme, vaine ombre, Hélas ! perd son humanité A trop voir cette splendeur sombre Qu’on appelle la vérité ? » d) Refus d’une primauté du monde céleste sur le monde terrestre, du monde rationnel sur le monde sensible Hugo considère que Dieu s’est désintéressé de ce qui était sensible et terrestre en lui puisqu’il lui a pris sa fille et que Dieu souhaitait seulement que Hugo regarde vers les régions célestes. Or Hugo se définit en tant qu’homme, sensible et rationnel, terrestre et spirituel, et il refuse une religion qui se détournerait du sensible. « O Dieu ! vraiment, as-tu pu croire Que je préférais, sous les cieux, L’effrayant rayon de ta gloire Aux douces lueurs de ses yeux ? 3 Si j’avais su tes lois moroses, Et qu’au même esprit enchanté Tu ne donnes point ces deux choses, Le bonheur et la vérité » e) Peut-être vaut-il mieux ne pas chercher à comprendre, ne pas vouloir percer les mystères du monde, mais profiter simplement de sa vie « Plutôt que de lever tes voiles, Et de chercher, cœur triste et pur, A te voir au fond des étoiles, O Dieu sombre d’un monde obscur, J’eusse aimé mieux, loin de ta face, Suivre, heureux, un étroit chemin, Et n’être qu’un homme qui passe Tenant son enfant par la main ! » f) Perte de sens La vie et la mort deviennent absurdes. Il n’existe qu’un vide métaphysique. Claire Pradier, la fille de Juliette Drouet, est décédée en 1846, à l’âge de vingt ans. Juliette s’assoit sur sa tombe à la fin du poème et uploads/Litterature/ cours-sur-les-contemplations-jusqu-x27-au-ii-b.pdf

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