Jacques Cazeaux Critique du language chez les prophètes d'Israël Lyon : Maison
Jacques Cazeaux Critique du language chez les prophètes d'Israël Lyon : Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 1976, 228 p. (Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique) Citer ce document / Cite this document : Cazeaux Jacques. Critique du langage chez les prophètes d'Israël. Lyon : Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 1976, 228 p. (Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique) http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/monographie/mom_0151-7015_1976_mon_2_1 COLLECTION DE LA MAISON DE L'ORIENT MEDITERRANEEN ANCIEN N° 2 SÉRIE LITTÉRAIRE ET PHILOSOPHIQUE : 1 CRmQUE DU LANGAGE CHEZ LES PROPHÈTES D'ISRAËL par Jacques CAZEAUX Chargé de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique ÉDITIONS DU CNRS %■ AVANT - PROPOS 1. UNE LECTURE SIMPLIFIÉE La rédaction Les livres sacrés arrivent jusqu'à nous pro- ef les traditions : tégés par les exégèses, qui, en même temps, les dissimulent. La Bible n'échappe pas à cette servitude. Et cela d'autant moins qu'elle recèle déjà en ses propres textes une sorte de première exégèse. C'est en effet une note caractéristi que des écrits bibliques : ils se connaissent, pour ainsi dire, les uns les au tres ; ils forment une série d'échos multipliés à partir d'une première tra dition, qu'il est parfois difficile de localiser exactement. Pour rappeler un exemple connu, l'influence du Deutéronomiste s'exerce à la fois dans le l ivre du Pentateuque nommé Deutéronome et dans un grand nombre de passages d'autres livres, y compris les Prophètes. D'une manière plus génér ale, mais tout aussi efficace, les livres sapientiaux supposent la Loi, qu'ils interprètent ou infléchissent à leur manière. Un livre tardif comme celui de la Sagesse brode sur des thèmes anciens, non seulement en tenant compte de la mystique traditionnelle, mais en faisant référence, explicite ou implicite, à des textes antérieurs. La difficulté est d'assigner un point de départ à la ronde des influences. Lorsque G. Von Rad fait partir la tra dition fondamentale d'un formulaire rencontré dans le Deutéronome, ch. 26, v. 5 : «Mon père était un Araméen nomade, qui descendit en Egypt e ...», il propose là un fil commode pour l'historien, vraisemblable sans plus, fécond pour celui qui recherche des événements derrière un texte. Nous disons bien «derrière» le texte, car la patine de la rédaction a diss imulé toutes les retouches, tous les raccordements des traditions. La reconstitution de leur histoire ne peut se faire souvent que «derrière» le texte, ou bien encore «malgré» le texte - ce qui ne revêt ici aucun carac tère péjoratif. En effet, quel que soit son passé, le texte a cristallisé un jour sous la forme où nous le recueillons aujourd'hui. Mais il ne l'a pas fait seulement en vertu de son passé, comme si le rédacteur ultime avait voulu sauver des traditions errantes et immortaliser leurs idées. Le texte s'est un jour fixé en partie contre son passé. Dans une société où dominent les clercs, comme fut le Judaïsme post-exilique, la rédaction dernière d'un AVANT-PROPOS texte ne se fait pas sans l'intention d'arrêter l'évolution, et cette inten tion, contrairement à son programme affiché — qui est de «conserva tion» — introduit nécessairement une nouveauté : elle ajuste, rabote, égal ise, soumet à une idéologie simplifiée les élans foisonnants de tout un peuple d'inventions plus ou moins bourrues. Le style des récits de la Genès e, des chroniques royales, montre bien une sauvagerie que l'insertion obli gée dans un tissu définitif aura contrainte et mutilée. Si tel chapitre, à l'in verse, apparaît à l'historien comme formé dans un contexte liturgique, tout n'est pas dit lorsqu'il est restitué à son origine, rapproché d'autres textes-frères : son insertion dans un récit, par exemple, lui confère une au tre valeur, en rupture précisément avec la liturgie. La Bible n'est pas le ré sultat des brouillons, oraux ou écrits. Son texte définitif possède des lois qui ne sont pas la somme des intentions antérieures. Celles-ci étaient comp lexes, sauvages, hétérogènes ; celles-là redeviennent simples et volontair es. Si le psaume qui figure actuellement au milieu du livre de Jonas doit apparaître un jour comme une pièce certainement rapportée, nous devrons tout de même reconnaître dans cette utilisation un coup de force, même s'il est génial : l'infléchissement ainsi voulu modifie et le psaume et le livre prophétique. Il est admis que le chapitre 15 des Actes des Apôtres rappro che deux événements distincts en faisant suivre immédiatement le «conci le» de Jérusalem de la lettre adressée aux chrétiens issus du paganisme. Mais le rétablissement de cette vérité historique, pour autant qu'elle soit avérée, n'entraîne pas qu'on doive briser le texte présentement unifié. On se gardera d'oublier qu'il y eut deux épisodes ; mais d'un autre côté, on devra effacer la différence pour comprendre un aspect du texte tel qu'il se présente. Car ce texte dit une volonté une. Or, toute volonté est simple. Que de fois le L'unité lecteur de la Bible qui prend un guide se voit entraîné sans arrêt en dehors de la page qu'il souhaitait comprendre. Cent avenues lui sont découvertes, cent dé tours, cent problèmes imprévus, dont chacun doit être résolu ou parcouru avant de le ramener au seuil d'une lecture, qui rarement sera suivie et con tinue, simple comme l'écriture de départ. Chaque phrase s'ouvre telle une caverne d'Ali-Baba ; chaque mot recelait, lui explique-t-on, des trésors de sens, dont l'intelligence simultanée lui permettra seule d'entendre la Parol e. Mais toutes les lumières de ces galeries trop riches l'éblouissent en vain. C'est une chose pour un mot, pour une phrase, d'avoir jadis possédé un UNE LECTURE SIMPLIFIEE sens, et c'en est une autre d'entrer aujourd'hui dans un ordre nouveau, de passer de la tradition à la rédaction. Sans doute le passé des éléments d'un texte reste-t-il aperçu, mais jamais son action ne franchit les frontières de sa nouvelle patrie. C'est à mettre en valeur l'intention dernière de la rédac tion que nous avons consacré les chapitres qu'on va lire. Nous avons pro posé une lecture «simple», en ce sens suggérée par la rédaction ultime, du fait qu'elle est elle-même simple. Dans un chapitre déterminé, nous avons choisi d'insister sur un aspect méthodologiquement essentiel, celui de la totalité. Nous pre nons en considération le tout concret, pour nous y enfermer, expliquer le texte comme il vient, en référence à une sorte de point focal simple, à part ir duquel l'attention du lecteur peut saisir tous les éléments de ce texte et les percevoir comme nécessaires, dans leur apparente diversité, à l'expres sion d'un mouvement simple. La charpente du texte est alors considérée comme porteuse du sens, plus que les mots isolés, fussent-ils en eux-mê mes lourds de tradition ou devenus symboliques, tels que Esprit, vérité, croire, alliance ... La noblesse des formules conduit à les surcharger de «théologie» ; et pourtant l'unité de base d'un texte quelconque n'est ja mais le mot. Ainsi faisons-nous confiance davantage aux symétries, aux ruptures, aux masses, à la courbe suivie par la mémoire, pour sentir la vo lonté unifiée de l'auteur. Cette volonté ne doit d'ailleurs pas être nécessa irement reconnue comme une volonté consciente : l'auteur — ici le rédac teur ultime — est un être nouveau qui apparaît dans le théologien, le caté chiste, le prophète, sans doute à son insu. Le terme de «volonté» doit donc ici rester pour ainsi dire «au neutre». Le texte issu de cette intention en vient à suivre, pour subsister, une loi simple, mêlée de réflexes esthéti ques plus ou moins conscients et d'intentions conscientes : le départ reste toujours difficile à faire entre les deux séries ; il n'offre peut-être même pas tout l'intérêt souhaité. L'œuvre subsiste en dehors de l'idéologie : bien des textes, révolutionnaires dans leur intention explicite, reposent en fait sur des canons traditionnalistes, qu'ils contribuent à renforcer quand ils croient les renverser. La lecture de la Bible est depuis toujours faite dans une perspective religieuse. La mise à la question que lui imposèrent des siècles d'exégèse ont transformé les pages en morceaux choisis, en marqueterie, édifiante ou polémique. La liturgie a morcelé des récits que, bien entendu, l'auteur voulait disposer en chronique. Il souhaitait peut-être édifier, mais nullement se voir «médité», à chaque ligne interrogé, contourné, détourné AVANT-PROPOS vers chacun de ses détails. Nous avons préféré parcourir dans nos chapitres des textes longs, pour dégager le lecteur de cette myopie que philologie et prédication, ses deux sœurs dans la minutie, ont contribué à créer par le besoin avaricieux d'exploiter une infinité de données sous une seule ligne de texte. Une phrase, un mot, fussent-ils tracés en or, ou alourdis des sécu laires pensées, restent libres dans le tout d'un chapitre. L'écriture de la Bi ble suit la loi de toute écriture, qui est l'expansion de l'intelligence, et non sa concentration pléthorique, si l'on excepte certains genres littéraires comme l'énigme, le proverbe, la charade, le portrait. Il est plus prudent d'éviter au commencement tout pointillisme, et le lecteur qui consent à dominer deux pages plutôt qu'à concentrer son attention farouche uploads/Litterature/ critique-du-language-chez-les-prophetes-d-x27-israel.pdf
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- Publié le Jui 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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