Quelques id´ ees maˆ ıtresses de l’œuvre de A. Grothendieck Pierre Deligne∗ R´
Quelques id´ ees maˆ ıtresses de l’œuvre de A. Grothendieck Pierre Deligne∗ R´ esum´ e Cet article tente d’expliquer quatre concepts math´ ematiques fon- damentaux cr´ e´ es par Grothendieck : les sch´ emas, les topos, les six op´ erations et les motifs. Abstract We try to explain four fundamental ideas invented by Grothendieck: schemes, topos, the six operations and motives. Dans R´ ecoltes et Semailles (troisi` eme partie), Grothendieck ´ ecrit : Prenons par exemple la tˆ ache de d´ emontrer un th´ eor` eme qui reste hypo- th´ etique (` a quoi, pour certains, semblerait se r´ eduire le travail math´ ematique). Je vois deux approches extrˆ emes pour s’y prendre. L’une est celle du marteau et du burin, quand le probl` eme pos´ e est vu comme une grosse noix, dure et lisse, dont il s’agit d’atteindre l’int´ erieur, la chair nourrici` ere prot´ eg´ ee par la coque. Le principe est simple : on pose le tranchant du burin contre la coque, et on tape fort. Au besoin, on recommence en plusieurs endroits diff´ erents, jusqu’` a ce que la coque se casse – et on est content. [. . .] Je pourrais illustrer la deuxi` eme approche, en gardant l’image de la noix qu’il s’agit d’ouvrir. La premi` ere parabole qui m’est venue ` a l’esprit tantˆ ot, c’est qu’on plonge la noix dans un liquide ´ emollient, de l’eau simplement pourquoi pas, de temps en temps on frotte pour qu’elle p´ en` etre mieux, pour le reste on laisse faire le temps. La coque s’assouplit au fil des semaines et des mois – quand le temps est mˆ ur, une pression de la main suffit, la coque AMS 1991 Mathematics Subject Classification: 01A65, 14-03 ∗Institute for Advanced Study, School of Mathematics, Princeton, N.J. 08540, USA SOCI´ ET´ E MATH´ EMATIQUE DE FRANCE 1998 12 P. DELIGNE s’ouvre comme celle d’un avocat mˆ ur ` a point ! Ou encore, on laisse mˆ urir la noix sous le soleil et sous la pluie et peut-ˆ etre aussi sous les gel´ ees de l’hiver. Quand le temps est mˆ ur c’est une pousse d´ elicate sortie de la substantifique chair qui aura perc´ e la coque, comme en se jouant – ou pour mieux dire, la coque se sera ouverte d’elle-mˆ eme, pour lui laisser passage. [. . .] Le lecteur qui serait tant soit peu familier avec certains de mes travaux n’aura aucune difficult´ e ` a reconnaˆ ıtre lequel de ces deux modes d’approche est “le mien” . [1985, p. 552–553] Un peu plus loin [Ibid. p. 554, note (∗∗∗)], Grothendieck met en avant quatre exemples : Riemann-Roch, structure du π1 premier ` a la caract´ eristique pour les courbes, rationalit´ e des fonctions L pour les sch´ emas de type fini sur un corps fini et th´ eor` eme de r´ eduction semi-stable pour les vari´ et´ es ab´ eliennes. Je me rappelle mon effarement, en 1965-66 apr` es l’expos´ e de Grothendieck [SGA 5] prouvant le th´ eor` eme de changement de base pour Rf! : d´ evissages, d´ evissages, rien ne semble se passer et pourtant ` a la fin de l’expos´ e un th´ eor` eme clairement non trivial est l` a. Bien des id´ ees de Grothendieck nous sont devenues si famili` eres, sont si parfaitement ad´ equates ` a leur objet, que nous oublions qu’elles ´ etaient loin d’ˆ etre ´ evidentes ` a leur naissance, que nous oublions mˆ eme leur auteur. Mon but dans cet article est de d´ ecrire quatre de ces id´ ees : sch´ emas, topos, six op´ erations, motifs. 1. Sch´ emas L’invention des sch´ emas est la premi` ere des id´ ees de Grothendieck ` a la- quelle on pense, peut-ˆ etre parce qu’elle a ´ et´ e la plus vite accept´ ee. L’expos´ e de Serre ` a Stockholm (1962) commence par : Je voudrais exposer ici quelques uns des d´ eveloppements r´ ecents de la g´ eom´ etrie alg´ ebrique. Je dois pr´ eciser que je prends ce dernier terme au sens qui est devenu le sien depuis quelques ann´ ees : celui de la th´ eorie des sch´ emas. Cette acceptation a ´ et´ e facilit´ ee par la parution rapide, grˆ ace ` a la collaboration de Dieudonn´ e, des EGA. L’audace de la d´ efinition de Grothendieck est d’accepter que tout anneau commutatif (` a unit´ e) A d´ efinisse un sch´ ema affine Spec(A), i.e. de ne pas chercher ` a se limiter ` a une cat´ egorie de bons anneaux (int` egres, r´ eduits, noeth´ eriens, . . .). Ceci a un prix. Les points de Spec(A) (id´ eaux premiers de A) n’ont pas un sens g´ eom´ etrique maniable, et le faisceau structural O n’est pas un faisceau de fonctions. Quand on a ` a construire un sch´ ema, on ne commence pas en g´ en´ eral par construire l’ensemble de ses points. Plus important peut-ˆ etre : le parti pris de bˆ atir une th´ eorie relative, dont S´ EMINAIRES ET CONGR` ES 3 QUELQUES ID´ EES MAˆ ITRESSES DE L’ŒUVRE DE A. GROTHENDIECK 13 t´ emoigne l’omnipr´ esent X f S des expos´ es de Grothendieck. Le cas classique d’une vari´ et´ e d´ efinie sur un corps k devient le cas particulier S = Spec(k). Dans une th´ eorie relative, avec un S-sch´ ema X (= sch´ ema X sur S), i.e. avec un morphisme de sch´ emas f : X →S, on consid` ere syst´ ematiquement le sch´ ema X′ d´ eduit de X par un changement de base u: S′ →S, i.e. le produit fibr´ e X′ := S′ ×S X et sa projection f ′ sur S′ : X′ X S′ S Dans la cat´ egorie des sch´ emas, les produits fibr´ es existent toujours : si permettre que tout anneau commutatif d´ efinisse un sch´ ema affine donne droit de cit´ e ` a des sch´ emas bizarres, le permettre fournit une cat´ egorie de sch´ emas ayant de bonnes propri´ et´ es. Une propri´ et´ e de X sur S sera dite g´ eom´ etrique si elle a de bonnes pro- pri´ et´ es d’invariance par changement de base. Analogue classique : pour une vari´ et´ e X d´ efinie sur un corps k, l’ensemble des points de X sur une extension alg´ ebrique close Ωde k (par exemple : domaine universel de Weil) est consid´ er´ e comme g´ eom´ etrique , l’ensemble des k-points ´ etant arithm´ etique . Si X est un sch´ ema sur S, et que u: S′ →S est un morphisme de sch´ emas, un S′-point p de X est un morphisme de S-sch´ emas : X S′ p S On note X(S′) l’ensemble de S′-points de X. Il s’identifie ` a l’ensemble des sections de X′ →S′. Exemple 1.1. — Soit X le sch´ ema affine sur un corps k d´ efini par des ´ equations Pα(X1, . . . , Xn) = 0 : X = Spec(k[X1, . . . , Xn] / (Pα)). SOCI´ ET´ E MATH´ EMATIQUE DE FRANCE 1998 14 P. DELIGNE Soit k′ une k-alg` ebre. L’ensemble X(k′) := X(Spec(k′)) est l’ensemble des solutions dans k′n des ´ equations Pα = 0. Pour k′ une extension alg´ ebriquement close Ωde k, c’est l’ensemble X(Ω) que Weil regarde comme sous-jacent ` a X. Exemple 1.2. — Le sch´ ema GLN sur Spec(Z) est tel que pour tout anneau commutatif A (automatiquement une Z-alg` ebre : Spec(A) est un sch´ ema sur Spec(Z)), GLN(Spec(A)) est GLN(A). Dans ces exemples, l’intuition g´ eom´ etrique qu’on a de X, sch´ ema sur S, est bien refl´ et´ ee dans X(S′). Mieux que dans l’ensemble sous-jacent ` a X. Dans le cas de l’exemple 1.2., cet ensemble sous-jacent n’est pas un groupe, alors que chaque GLN(S′) l’est. Plus pr´ ecis´ ement, il est utile d’attacher au sch´ ema X sur S le foncteur contravariant des S-sch´ emas dans les ensembles S′ − →ensemble X(S′) des S′-points de X. Dans la cat´ egorie de S-sch´ emas, il s’agit simplement du foncteur repr´ e- sentable hX : S′ − →Hom(S′, X) attach´ e ` a X. D’apr` es le lemme de Yoneda, le foncteur X − →hX est pleine- ment fid` ele. Plutˆ ot que de penser ` a un S-sch´ ema X comme ´ etant un espace annel´ e, muni de X →S, avec des propri´ et´ es convenables, il est souvent com- mode d’y penser comme ´ etant un foncteur S′-points : (Sch´ emas/S)0 →(Ens), qui a la vertu d’ˆ etre repr´ esentable. Quand on veut d´ efinir un espace fin de modules , la premi` ere ´ etape est de d´ efinir le foncteur correspondant. Typi- quement, d´ efinir ce foncteur requiert une th´ eorie relative. Exemple 1.3. — Soit X projectif sur un corps k. Question uploads/Litterature/ deligne-sur-grothendieck.pdf
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- Publié le Sep 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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