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HAL Id: halshs-01796700 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01796700 Submitted on 21 May 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Démystifier le mystique: Joséphin Péladan et les cercles rosicruciens à l’épreuve du rire fin de siècle Damien Delille To cite this version: Damien Delille. Démystifier le mystique: Joséphin Péladan et les cercles rosicruciens à l’épreuve du rire fin de siècle. Romantisme : la revue du dix-neuvième siècle, Armand Colin, 2012, 156, pp.87-100. halshs-01796700 Damien Delille Démystifier le mystique : Joséphin Péladan et les cercles rosicruciens à l’épreuve du rire fin de siècle Le renouveau spiritualiste de la fin du XIXe siècle, en marge d’une Troisième République rompant avec son Église, se traduit par la multiplication de ce que l’occultiste Jules Bois nomme, en 1894, les « petites religions1 ». Son enquête consacrée aux milieux ésotériques, bouddhistes, satanistes et mystiques chrétiens fait la lumière sur les superstitions et autres canulars spirites qui émaillent l’époque, alors qu’un puissant mouvement anticlérical s’ingénie à dénoncer ces expériences mystiques que l’Église n’arrive plus à maîtriser. L’entreprise de démystification attaque ainsi le mystificateur, défend le mystifié, soulignant au passage combien ces impostures cachent souvent d’érotiques desseins en immédiate contradiction avec l’idéalisme ambiant. Deux visions sociétales de l’identité masculine s’opposent (idéalisme versus popu- lisme) avec, comme vecteur commun, un antiféminisme exacerbé. Les mystifications de Joséphin Péladan, déjouées par ceux-là mêmes qui tendent à le ridiculiser, per- mettent d’abord d’apprécier la réception des cercles artistiques de la Rose-Croix. Mais les caricatures des revues satiriques mêlées aux discours sur la dégénérescence conduisent in fine à disqualifier le projet symboliste lui-même. Cette histoire compa- rée renouvelle ainsi les études sur la masculinité, en tirant profit de l’histoire visuelle des sciences et de ses répercussions dans l’imaginaire populaire. C’est aussi l’objet de ces démystifications iconographiques, qui montrent le glissement progressif de la peur de l’efféminement à une stigmatisation de l’homosexualité. Tel semble être le prix à payer par des pratiques trop mystiques pour être honnêtes. DÉMYSTIFIER L’ÉROTOMANIE IDÉALISTE La volonté de Jules Bois de « désocculter l’occultisme2 » s’inscrit dans le cadre du renouveau de l’ésotérisme chrétien, au moment où les règles de l’Église romaine sont disputées, sur fond de séparation de l’Église et de l’État. L’efflorescence de ces petites Contre-Églises est la proie de l’anticléricalisme laïc, illustré notamment par les très populaires mystifications de Léo Taxil. En révélant les supercheries de 1. Jules BOIS, Les petites religions de Paris, Paris, L. Chaillet, 1894. 2. J. BOUVÉRY, Le Moniteur Spirite et Magnétique, n° 6, juin 1891, p. 125-127. rticle on line rticle on line Romantisme, n° 156 (2012-2) 88 Damien Delille l’interprétation chrétienne de l’évolution, à travers les impostures de la fausse Diana Vaughan, Taxil fait passer les occultistes pour des agents du diable3. Ces « pseudo- religions4 », parodies de la religion officielle, deviennent selon Jules Bois l’épicentre d’un nouveau féminisme capable de régénérer l’humanité. Influencé par la Société théosophique, créée en 1875 par Héléna Blavatsky et sa branche anglaise, dirigée par Lady Caithness, Bois restaure une image acceptable de ces groupuscules officiant à Paris. Joséphin Péladan prend une part active à ces mouvements, en rejoignant dès 1887 une branche ancienne de la Rose-Croix catholique, associée au mouvement Kabbalistique de Stanislas de Guaita. Se séparant de cette influence maçonnique en 1890, il fonde l’Association de l’Ordre du Temple de la Rose-Croix5, prémisse de la première « Geste esthétique » du Salon de la Rose-Croix, en mars 1892. Le Charivari, prompt à dénoncer par l’image les nouvelles supercheries des milieux spirites, se fait l’écho de ce renouveau de l’art sacré, en imaginant dans son numéro du dix septembre les mises en scène sacramentelles de cette nouvelle religion de l’Art. Aux priants devant les tableaux représentant des croix, se mêle l’interprétation anticléricale du spiritualisme religieux, faite de « vague à l’âme » et d’« harmonie céleste6 ». Tout le paradoxe de l’idéalisme symboliste de Péladan réside dans sa critique de la décadence moderne (matérialisme, décadence de la culture latine, émancipa- tion féminine), conjuguée à une fascination non dissimulée pour cette décadence (spiritualité exaltée, troubles sexuels exacerbés). C’est cette ambiguïté qui va être dénoncée avec violence par ses adversaires. Péladan subit des attaques répétées contre son image publique de mage, les extravagances douteuses de ses apparitions et le caractère apologétique de ses interventions. Affublé du titre de Sâr7 et du prénom néo-babylonien de « Mérodack » (de Baladan Mérodack, roi de Babylone), il se présente « drapé d’un burnous noir en poil de chameau filamenté de fils d’or, en velours vieux bleu, botté de daim, et, comme Absalon, chevelu [...] la barbe ointe d’huile de cèdre8 ». Il combat ainsi la décadence sur le terrain de l’apparence, en lui opposant la figure supérieure du mage, devenu homme d’abstraction. Tout est une question d’attitude, dans le cadre d’une société industrielle où prédominent l’indistinction sociale et la fin des clivages aristocratiques : « dans un temps où les honneurs déshonorent, où la fonction signifie incapacité, il y a une sorte de vertu 3. Voir Jean-Pierre LAURANT, L’ésotérisme chrétien en France au XIXe siècle, Lausanne, L’Âge d’homme, 1992. 4. René GUÉNON, Le théosophisme, histoire d’une pseudo-religion, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1921. 5. Entre juin et août 1890, Péladan publie dans l’Initiation, deux articles instaurant le catholicisme de la Rose-Croix. Il fonde en août 1891, avec Léonce de Larmandie, Gary de Lacroze, Élémir Bourges et Antoine de la Rochefoucauld, l’association esthétique. 6. Le Charivari, 10 septembre 1891. 7. Selon l’entretien du Matin, 1er avril 1892. Péladan commente ainsi : « Au point de vue étymo- logique, Sar signifie sire, sieur, monsieur. Dans le sens divin du mot, cela veut dire tombé du ciel, ange déchu ; en d’autres termes : homme qui s’est fait lui-même ce qu’il est. » Cité dans Christophe BEAUFILS, Joséphin Péladan. Essai sur une maladie du lyrisme, Grenoble, Jérôme Millon, 1993, p. 214. 8. Cité dans René-Louis DOYON, La Douloureuse aventure de Péladan, Paris, la Connaissance, 1946, p. 61. 2012-2 Démystifier le mystique 89 publique à témoigner par un point du costume que l’on est soi, que l’on est libre, que l’on est hors cadre. Sauf sur le plan religieux qui est celui de l’abdication, le dandysme des décadences consiste à se différencier du nombre9. » L’archétype de la « tête assyrienne10 », imposée comme un double de l’auteur, nourrit le personnage de Mérodack, censé incarner la sagesse orientale et la distinction royale. Objet de caricature, ce profil assyrien reprend le topos orientaliste, au moment où les nouveaux sites de Darius et d’Artaxerxes à Suse sont découverts en 188411. Le célèbre caricaturiste Caran d’Ache12 transforme ainsi Péladan l’assyrien en « image d’Épinal », drapé d’une robe à l’antique et claironnant le renouveau religieux, à l’occasion des messes de Notre Dame13. L’illustration s’accompagne d’un article de Lucien Descaves sur « L’esprit nouveau ou le cléricalisme », qui dénonce les nouvelles entreprises religieuses. Se moquant ainsi de sa grandiloquence et sa religiosité feinte, Caran d’Ache souligne les rapports entre l’apparat religieux, le pouvoir politique (célébrer la messe de « M. Carnot ») et l’allure féminine de sa toge devenue robe de soirée. L’intéressé, ravi d’être mis au pinacle par ceux contre lesquels il se bat, se plaît dans ce rôle d’incompris caricaturé. Il commente à la troisième personne, dans la préface de son roman La Gynandre. « Le millier de calomnies et d’injures qu’il a collectionné, ce trimestre écoulé, l’ont blasé : il jouit aujourd’hui de ce rare sentiment : l’absolu de l’indifférence, en matière d’opinion14. » L’excentricité vestimentaire, liée aux mouvances néo-médiévistes15, contribue à aiguiser la dénonciation carnavalesque. En associant les dates du carnaval au premier Salon, Péladan se retrouve parmi les costumes de 1892, affublé d’une fraise et d’une croix de l’ordre de Malte (en référence à l’ordre de la Rose-Croix), avec « Sar... Latan » pour épithète16. Ce jeu de mots dénonce la posture pseudo-religieuse d’un Péladan charlatan, débusqué à travers les ressorts imagés de sa longue plume derrière la main et par la position hautaine de son visage. Curieuse coïncidence, le tout premier Salon de la Rose-Croix se tient la même année que le premier bal des étudiants des Beaux-Arts, le fameux et fantasque bal des Quat’z’Arts, tous les deux associés à 9. Joséphin PÉLADAN, L’Art idéaliste et mystique : doctrine de l’Ordre et du Salon des Rose-Croix, Paris, Chamuel, 1894, p. 58. 10. Joséphin PÉLADAN, Études passionnelles de décadence. Le Vice suprême, Paris, Librairie des auteurs modernes, 1884, p. 83. 11. Voir Élisabeth FONTAN (dir.), De Khorsabad à Paris. La découverte des Assyriens, Paris, Réunion des musées nationaux, 1994. 12. Sur la question des caricaturistes fin de siècle, voir Bertrand TILLIER, uploads/Litterature/ demystifier-le-mystique-peladan.pdf
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- Publié le Apv 16, 2021
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