ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE : L’ESPOIR DANS LES ROMANS DE MARIE-CLAIRE BLAIS Ev

ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE : L’ESPOIR DANS LES ROMANS DE MARIE-CLAIRE BLAIS Eva Pich Ponce Universidad de Sevilla epich@us.es RÉSUMÉ: Si de nombreuses études ont mis en relief l’obscurité et la souffrance qui caractérisent l’écriture de Marie-Claire Blais, cette analyse vise à montrer l’importance que l’espoir acquiert dans son œuvre romanesque. Nous observerons tout d’abord jusqu’à quel point les images de l’ombre et de la lumière reviennent dans ses récits. La figure de l’ange est aussi significative dans ses textes. Toutefois, l’espoir réside pour cet auteur dans l’humanité elle-même. En effet, nous verrons comment dans l’œuvre de Marie-Claire Blais l’action solidaire et l’écriture peuvent apporter une certaine lumière et de l’espoir à un monde en destruction. MOTS CLÉS: littérature québécoise, littérature contemporaine, Marie-Claire Blais, espoir, ange. ENTRE LA SOMBRA Y LA LUZ: LA ESPERANZA EN LAS NOVELAS DE MARIE-CLAIRE BLAIS RESUMEN: Si numerosos estudios han puesto de relieve la oscuridad y el su- frimiento que caracterizan la escritura de Marie-Claire Blais, este análisis pretende mostrar la importancia que la esperanza adquiere en su obra narrativa. Observare- mos primero hasta qué punto las imágenes de la sombra y de la luz se repiten en sus obras. La figura del ángel es también significativa en sus textos. Sin embargo, la es- peranza reside para esta autora en la humanidad misma. En efecto, veremos cómo en la obra de Marie-Claire Blais la acción solidaria y la escritura pueden aportar cierta luz y esperanza a un mundo en destrucción. PALABRAS CLAVE: literatura quebequense, literatura contemporánea, Marie- Claire Blais, esperanza, ángel. Recibido: 30/04/2015. Aceptado: 01/10/2015 1. Introduction Marie-Claire Blais est l’une des figures les plus importantes de la littérature québécoise et du panorama littéraire contemporain. Ses textes, traduits en plusieurs 203 Cuad. Invest. Filol., 41 (2015), 203-215 Cuad. Invest. Filol., 41 (2015), 203-215. DOI: 10.18172/cif.2768 langues, ont connu un succès au niveau international. Ayant écrit une trentaine de livres, et étant lauréate de nombreux prix littéraires, elle demeure l’une des voix les plus significatives de la littérature francophone. Son écriture met en relief les problèmes de la souffrance, de la misère, de la lutte pour la survie. Dans les romans de Marie-Claire Blais, l’individuel ne peut pas être pensé en dehors du collectif et l’identité du sujet est profondément marquée par la réalité qui entoure les personnages. Cette réalité, qui se réduit au cadre familial dans les premiers romans, s’élargit progressivement jusqu’à atteindre des dimensions mondiales. Le Québec fermé sur lui-même qui apparaît dans ses premiers romans se transforme progressivement en un espace multiculturel, qui est abandonné dans les derniers textes de l’auteure au profit d’un microcosme insulaire, une île du Golfe du Mexique qui devient le reflet d’un monde marqué par la violence. La structure des romans, la caractérisation des personnages, l’identité corporelle, familiale, et sociale, l’importance de la figure de l’écrivain, sont mises au service d’une conception éthique de la littérature qui dévoile et dénonce les injustices sociales et la violence humaine. L’obscurantisme des années précédant la Révolution Tranquille qui apparaît dans ses premiers romans laisse la place progressivement à une thématique du chaos qui insiste sur la barbarie, et sur les risques nucléaires et écologiques qui menacent l’individu. Cette thématique a conduit de nombreux critiques à parler de la noirceur de l’œuvre de Marie-Claire Blais, de l’obscurité qui règne dans des romans caractérisés par la mort, la maladie, la violence, le mal. Si de nombreuses études ont mis en relief l’obscurité et la souffrance qui caractérisent l’œuvre blaisienne, Marie-Claire Blais a toujours revendiqué l’importance de la lumière dans son œuvre. Comme elle le souligne : « Nos livres contiennent généralement cet équilibre entre la part de l’ombre et celle de la lumière. Un lecteur peu attentif ne perçoit pas tout de suite ce contrebalancement et ne lira que noirceur là où la lumière est toujours dans une œuvre littéraire proportionnée à la nuit » (Blais 2002b : 25). La lumière et l’obscurité s’affrontent dans ses romans, comme le montre d’ailleurs le titre d’une de ses œuvres intitulée Dans la foudre et la lumière (2001). Comme le constate Anne de Vaucher Gravili, les romans de Blais expriment l’inquiétude existentielle de l’auteure mais ils « célèbrent aussi la beauté d’une nature paradisiaque, d’un Éden que les hommes ne devraient pas détruire mais sauvegarder » (2008 : 230). La solidarité de l’être humain et la beauté de l’art constituent, en effet, des lumières capables d’éclairer d’une certaine manière la vie des personnages. 2. Une lumière qui dévoile la réalité Il est intéressant d’observer comment le motif de la lumière est utilisé dans les romans de Marie-Claire Blais et comment les oppositions entre l’ombre et la EVA PICH PONCE 204 Cuad. Invest. Filol., 41 (2015), 203-215 lumière reviennent dans ses textes. Dans les romans blaisiens, ces oppositions reflètent tout d’abord les différences sociales. Dans Un joualonais sa joualonie, par exemple, la caractérisation verticale de la ville met en évidence les injustices présentes dans l’espace urbain. L’appartement des personnages aisés est caractérisé par le confort, la lumière, les vues panoramiques sur la ville, alors que les plus pauvres habitent dans une pension sombre, un « trou » (Blais 1979 : 38). L’image du trou revient à plusieurs reprises pour évoquer l’espace des plus pauvres, qui habitent dans ce monde du dessous, ils deviennent l’ « objet chu » dont parle Kristeva, cet autre qui est « radicalement un exclu » (1980: 9). Le pauvre est ainsi associé à l’abject, à la souillure. Son entourage est marqué par la laideur et les mauvaises odeurs. De même dans Le sourd dans la ville, on voit toute une communauté pauvre, associée à l’obscurité, tel cet « ouvrier au béret noir, creusant [la terre], son sillon, quand donc remonterait-il vers la lumière du jour, quand donc viendrait la délivrance, pens[e] Mike » (Blais 1996a : 159). Les personnages du milieu pauvre s’opposent à ceux qui proviennent des classes aisées, tels ces étudiants qui vivent « dans la pleine lumière, sous ce soleil radieux et perpétuel » (Blais 1996a : 97). Par contre, on nous dit que « la lumière n’[atteint pas les plus démunis], si Dieu existait il s’était éloigné à une telle distance qu’il ne leur pesait plus » (Blais 1996a : 87). La lumière ici évoque le salut de l’âme et la possibilité de fuir ce monde misérable dans lequel vivent bon nombre de personnages. Les figures romanesques essayent d’échapper à ce monde à travers l’imagination et le rêve. Mike, un enfant malade, imagine un voyage à San Francisco, vers le désert, où « la lumière est toujours tiède » (Blais 1996a : 78). Si les images d’ombre et de lumière reflètent les injustices et les oppositions sociales, la lumière permet aussi de montrer parfois la réalité qui se cache derrière les apparences. Ainsi, dans Une liaison parisienne, la lumière du soleil dévoile la réalité dans laquelle habite une famille parisienne qui était idéalisée par Mathieu Lelièvre, un québécois parti à Paris. Le premier soir qu’il visite cette famille Mathieu contemple « la voûte ténébreuse du petit appartement », (Blais 1991b : 14), le « salon à peine éclairé » (Blais 1991b : 15). Ces attributs sont transformés par le jeune québécois en des éléments poétiques, dignes d’admiration : « qu’elles étaient précieuses à Mathieu […] ces pièces enfumées et closes des appartements anciens ! » (Blais 1991b : 15-16). Le lendemain, la lumière du jour lui dévoile pourtant le désordre, la saleté de cette famille bourgeoise, et aussi les secrets de la vie privée de cette famille : les amants ou l’infidélité de l’épouse, l’homosexualité de l’époux, les enfants complètement négligés, voire maltraités. Les secrets de la vie privée se font visibles. Dans ce roman, Paris est marqué par son brouillard. Il s’agit d’un brouillard réel mais aussi symbolique, qui reflète le manque de vérités claires et l’hypocrisie ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE : L’ESPOIR DANS LES ROMANS DE MARIE-CLAIRE BLAIS 205 Cuad. Invest. Filol., 41 (2015), 203-215 de certains personnages qui y habitent. Paris, qui représentait pour Mathieu la civilisation, l’histoire, la culture, et la splendeur française connue le long des siècles, devient l’image même de l’hypocrisie et de la décadence. Toutefois, Mathieu dîne chez une famille paysanne de la Bretagne. Ces personnages humbles deviennent pour lui l’essence réelle du pays. Dans cet espace modeste il réussit à « dormi[r] avec bonheur » (Blais 1991b : 168). Pareillement, dans le Paris anonyme et populaire des classes laborieuses, Mathieu réussit à se former une image plus positive de la capitale. Ces personnages, pauvres mais solidaires, font preuve d’une originalité et d’une liberté qui échappe à l’élite parisienne. C’est dans cette ville des classes populaires, qu’il faudrait chercher, selon Marie-Claire Blais, l’essence et la chaleur parisiennes car c’est, selon l’auteur, « dans la lumière de ce Paris nocturne d’où ren[aît] la chaleur humaine, l’espoir » (Blais 1993: 17). Les jeux d’ombre et de lumière évoquent ainsi les différences sociales mais aussi les différences entre hypocrisie et authenticité, égoïsme et solidarité. La lumière reflète la réalité des choses, elle uploads/Litterature/ dialnet-entrelombreetlalumiere-5345004 1 .pdf

  • 23
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager