E N G A R D E 22 Didier Coste a publié quelques récits aux Editions de Minuit d

E N G A R D E 22 Didier Coste a publié quelques récits aux Editions de Minuit dans les années 60, à l'époque du Nouveau Roman. Il a enseigné la littérature en Australie et aux Etats- Unis puis à Bordeaux 3 Michel de Montaigne, à partir de 1999. Il vient de publier aux Editions Noésis un roman commencé en 1990, Days in Sydney, où alternent chapitres en français et en anglais. Cette fresque sophistiquée évoque en 7 journées, à travers le vécu quotidien et les amours de nombreux personnages, l'atmosphère d'une ville et l'histoire d'un pays. La beauté saisissante des paysages et de l'espace construit y sont la toile de fond où se recomposent les traits d'une vie urbaine envisagée, via l'histoire et le présent d'une société, de sa culture, sous ses aspects les plus profondément humains et contradictoires. Comme un secret leitmotiv, la référence à un tableau de 1904, La Leçon de Musique du peintre Sydney Long, ne cesse de rappeler pudiquement aux lecteurs le drame des Aborigènes. Didier Coste a aussi publié aux Etats-Unis un essai sur le récit, Narrative as communication. Autant dire que Days in Sydney constitue le déploiement grandeur nature de prémices théoriques mûrement pensés. Pourquoi votre sujet, Sydney et l'Australie ? En admettant que Sydney ou l'Australie soient des sujets, ils sont bien distincts. L'Australie est une nation, un territoire, peut-être un concept. Sydney est la plus belle ville du monde, et qui donne toujours autre chose que ce qu'elle a. Je n'y ai vécu que quatre ans avant de partir à Perth, à l'autre bout du pays - pour des raisons professionnelles, ou peut-être plus pour fuir une attraction fatale - mais j'y reviens souvent. Or, Sydney n'a eu droit qu'à un seul grand roman, qui date de 1934 : Seven Poor Men of Sydney, de Christina Stead, un des chefs d'œuvre du néo-réalisme simultanéiste, mais ni à la manière de Dos Passos, ni à celle de Sartre… J'ai eu l'audace des timides : j'ai voulu rendre hommage à un éblouissement, à un lieu réel et vivant dont le sens me hante depuis trente ans. Qu'est-ce qui, à vos yeux, rendait indispensable l'édition d'un texte bilingue ? C'est l'interrogation du lieu qui supposait un dialogue. Le protagoniste, Jacques Voisin, à son arrivée comme à ses retours dans la ville, où rôde l'aura d'une femme aimée, peintre, sage et folle, l'interroge jusqu'à la fin. Il lui demande sans cesse, dans sa langue inadéquate, le français, le pourquoi de son éclat, de son intensité et de sa disparition douloureuse. Elle lui répond dans le langage du lieu, l'anglais austral, qui véhicule un présent puissant et fragile, et une longue histoire, marquée par l'ombre portée d'une autre disparition : celle du peuple aborigène et de sa sagesse onirique. Cela ne se traduit pas mais doit s'entendre tel que cela se dit. Tout récit interroge le monde plus qu'il ne répond à des questions ou ne décrit des situations. Days in Sydney demande, entre autres, pourquoi la lumière australe n'éclaire qu'une absence, refuse l'intimité qu'elle détaille. Le personnage de Mathilda, dans sa fuite, dans la peur du bonheur, dans la peur d'oublier la mortalité, répond à sa manière, tendre, tentante et terriblement renonçante. Votre roman a entre autres une parenté que vous revendiquez avec ceux de Henry James, de Virginia Woolf… Oui, mais à des moments déterminés, le plus souvent dans des passages en français. Il s'agit d'une finesse et d'un phrasé qui peuvent fonctionner comme des cache-détresse, qui tiennent lieu de sincérité mais révèlent aussi une fragilité. Le texte anglais, au contraire, est souvent beaucoup plus abrupt et ironique, à la manière de l'hyperréalisme, sans sombrer dans le côté glacial de Raymond Carver. C'est une autre stratégie de défense, qui vise une émotion plus immédiate. En cela, je dois beaucoup à la presse, au feuilleton télévisé australien, et à des écrivaines actuelles. J'ai voulu que le livre parle des femmes autant que possible, je m'y emploie désormais encore davantage. Que pouvez-vous dire, pour votre part, de la complexité de votre récit, de son humour, de la variation des points de vue, des décalages spatio-temporels que vous introduisez ? Le personnage de Jacques Voisin est ordinairement ordinaire, à la différence du Bloom de Joyce. Il n'est pas typé, il manque de charme, sa vie ne se raconte pas. Il sert de repoussoir à beaucoup d'autres personnages, des hommes et des femmes de toutes conditions qui, eux, ont cette sorte de sécurité que donne un parcours du point A au point B, avec des anecdotes saillantes. A l'inverse, Voisin et ses proches sont impliqués dans plusieurs vies possibles, dont aucune n'est certaine et advenue. Elles convergent toutes vers une même fin, ratée de peu, dont seuls le paysage, la vie qui continue, sortent triomphants ou à peine perturbés. C'est peut-être cela qui fait “drôle” : qu'à travers tant de regards différents il se soit quand même produit quelque chose, la beauté inoubliable et impardonnable de la rencontre. [recueillis par André Paillaugue] Days in Sydney, Editions Noésis-Agnès Vienot Sydney, l'Australie, la littérature… La maison d'édition bordelaise Le Cycliste propose une réédition augmentée du livre de Christophe Dabitch, “Les Capucins, géographie du ventre”. Dessinateurs, photographes et auteurs amoureux du quartier nous offrent une balade aussi colorée et truculente qu'érudite au cœur des “Capus”. Si Christophe Dabitch a fait un vrai travail de fourmi, étudiant très sérieusement et sous tous les angles l'histoire de ce quartier qu'il a fréquenté dès l'enfance - papa charcutier oblige-, il a également laissé parler son affect, avec une grande empathie et une vraie connaissance des gens qui vivent du marché, l'animent, l'habitent, lui donnent son âme. “L'histoire m'intéresse et l'histoire des lieux précisément, explique-t-il. C'est mon troisième livre sur Bordeaux, et il est le fruit de ma rencontre avec plusieurs auteurs de bd avec lesquels je travaille au sein d'un atelier rue Bouquière. C'est aussi une manière de dire qu'on peut faire des livres différemment sur les lieux, avec des dessins d'atmosphère, en plus des photos d'archives. J'avais envie que la forme raconte autant que le contenu”. D'où un ouvrage, très drôle, que se lit sans faim et surtout un très bel objet, agrémenté de croquis, bande dessinées, caricatures de dessinateurs de la région. Jean-Denis Pendanx, Nicola Witko, Cromwell, Nicolas Dumontheuil, Emmanuel Moynot ou David Prudhomme, le graphiste Gilles Esparbet et le photographe Rodolphe Escher ont mis un peu de leurs tripes dans ce livre qui évoque un quartier qu'ils aiment et fréquentent de jour comme de nuit. On y croise des gueules, assez grandes d'ailleurs, pour avoir marqué des générations de marchands et de clients. Marcel et René, rois de l'insulte haute en couleurs ; Jacky, l'ange des Halles ; les morts vivants avinés qui débarquent la nuit ; et plein d'autres, en chair et en os qui y travaillent encore. Ajoutons à cela que le directeur des éditions Le Cycliste est un descendant d'une grande lignée de marchands de légumes aux Capus. Un ouvrage à dévorer. [Mathile Petit] “Les capucins, géographie du ventre”, Editions Le Cycliste www.lecycliste.com Les Capus, itinéraire du ventre au cœur uploads/Litterature/ didier-coste-days-in-sydney.pdf

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