Vos personnages, vos livres s’inscri- vent souvent dans une autre époque. Cel

 Vos personnages, vos livres s’inscri- vent souvent dans une autre époque. Celle d’aujourd’hui vous déplaît ? Non, ce n’est pas exact. A part mon dernier livre et les biographies, tous mes ouvrages se passent aujourd’hui. Et encore, dans Ce soir, on soupe chez Pétrone, c’est notre propre déca- dence que je décris. Les biographies sont une parenthèse dans mon œuvre. Même si je m’y livre avec grand plaisir, il y a un côté alimentaire. Ecrire des bio- graphies, c’est comme des pâtes de fruits. Dans ce genre, ce qui reste et fait la différence avec une biographie universitaire, c’est le style, le charme. Sans manière, sans style, il n’y a pas de charme. Pour autant, dans ce registre, même si mon approche est celle du romancier, j’essaie de me tenir au plus près de l’histoire.  Pourquoi écrivez-vous ? C’est la seule chose que je sache faire…  Comment votre écriture se met-elle en marche, selon que la plume soit celle du journaliste ou de l’écrivain ? Il ne faut pas confondre les deux métiers. Il y a des écrivains qui écrivent des romans de jour- nalistes et là, c’est très mauvais. Quand on fait ça, on est foutu. Le seul point commun entre l’écrivain et le journaliste, c’est une certaine for- me de regard ou d’angle. Au départ, l’œil peut être le même. Après, c’est totalement différent. Poser le problème, c’est y prêter attention. On ne peut pas écrire un roman en connaissant la fin. On en connaît la couleur, les senteurs, on voit où l’on veut arriver. Les romans, c’est comme une forêt qu’on sur- vole. L’important pour un romancier, c’est de se faire surprendre par ses personnages. A Paris, j’écris devant la fenêtre, au Cailar, je travaille dans mon bureau. Je n’aime pas me laisser déranger lorsque je construis un para- graphe, l’écriture fait partie d’un cérémonial. Cela dit, il faut démythifier un peu l’art de la création. Par exemple, je réponds parfois au téléphone même si j’écris.  Quel romancier êtes-vous ? Il n’y a pas de romancier sans obsession. Un grand écrivain rumine son histoire. Voilà, je suis un ruminant. Je suis un romancier du res- sentiment. Certains, avec leur livre, veulent délivrer des messages. J’ai horreur de ça, c’est le contraire du roman.  Qu’est-ce que le roman, justement ? Si on le savait, on n’en écrirait plus. Toute- fois, selon moi, le roman c’est le vice incorrigi- ble de vouloir être Dieu, de créer des personna- ges.  Travaillez-vous actuellement sur un nouvel ouvrage ? Oui, une biographie. Elle concerne un per- sonnage féminin de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, une grande intrigante qui a failli gouverner…  Comment avez-vous atterri dans le Sud et en particulier au Cailar ? Je suis un Français de Paris et un Français du Midi et je suis profondément Méditerra- néen. Je suis venu au Cailar parce que des amis m’y ont accueilli, comme Jean Lafont ou la famille De Rougemont. Je viens ici quand j’en ai marre de Paris, quand j’ai besoin de retrou- ver le calme. Paris est très stressant. Alors, je prends un TGV. Je passe environ cinq mois dans le Gard. L’hiver au Cailar, il y a de très beaux jours. J’aime aussi aller à Marseille, j’y vais déjeu- ner puis entendre un opéra en matinée. C’est une ville que j’adore. Moi, comme romancier, j’ai besoin d’enten- dre les discussions, il faut que je trouve une matière. Les ambiances d’ici, des cafés, des fêtes de village, celle du Cailar en particulier, tout cela m’inspire ou m’a inspiré. Comme l’at- mosphère du bistrot, c’est l’endroit ou tout le monde se retrouve, tous les fils se tirent et les histoires se construisent. Le café est l’endroit où l’on parle, où l’on drague, où l’on boit. C’est l’endroit de l’instant, c’est léger.  L’alcool vous a inspiré ? L’alcool a été un "formidable" compagnon de route. L’alcool peut délier l’esprit. C’est une drogue évidemment, mais c’est un fait de socié- té, méditerranéen de surcroît. Quand on boit, on ne voit pas l’heure tourner.  Pourquoi êtes-vous provocant ? Il n’y a pas de but. Mais il y a sans doute des raisons. Il faut parfois trouver un juste équili- bre quand on se sent étranger jusque dans sa propre famille. Rappelons que j’ai grandi au sein d’une famille bourgeoise dans les années cinquante. Seule la dérision par rapport à soi et aux autres peut être une réponse.  Certains disent de vous que parfois vous faites preuve d’"une méchanceté étin- celante". Qu’en pensez-vous ? C’est vrai, je vois toujours le défaut. Je ne suis pas une bonne âme. Je n’aime pas les bon- nes âmes. J’ai la dent dure, je suis vachard. Mais, j’ai le cœur tendre, je n’aime pas faire de la peine. Je n’attaque jamais les gens qui n’ont pas la couenne pour résister. Je ne cherche pas l’honorabilité ; mon seul honneur, c’est mon œuvre, je crois qu’elle peut déranger les gens, mais elle existe, c’est la seule chose que je demande. J’ai horreur de regarder dans le jar- din des autres, je ne suis ni jaloux ni envieux. Je ne demande rien, j’ai même refusé la Légion d’honneur. D’ailleurs, ça n’aurait pas été accep- té par la rédaction du Canard enchaîné.  Est-ce que l’écriture continue à vous exciter ? Chaque mot, chaque verbe bien placé, provo- que une bandaison. C’est une bandaison totale- ment grammaticale.  A contrario, qu’est-ce qui vous peine ? La trahison d’amis. Le désintérêt d’amis, leur départ, la mort. Beaucoup de mes amis sont tombés au champ d’honneur, que certains vou- draient dire celui du déshonneur, qui sont morts du sida. Des gens que je pensais garder avec moi tout le temps. Tout cela a été effrayant. Il y a toute une jeunesse qui est par- tie un peu comme lors de la saignée de la Gran- de guerre.  Artistiquement, quels sont ceux qui vous manquent ? Ceux que j’ai admirés et dont j’entends enco- re la voix. Celle de Maria Casarès est toujours présente. J’ai vu trois ou quatre générations de danseuses. J’en ai la nostalgie. Une arabesque d’Yvette Chauviré, la voix de Maria Callas, tout cela me hante encore. D’ailleurs, il y a des rôles tenus aujourd’hui par d’autres que je ne veux ni voir ni entendre. Quand on a écouté quelque chose de sublime, c’est très difficile d’aller ailleurs.  Vous avez parlé de votre famille et abordé vos rapports avec votre père. Le détestez-vous encore ? Mon père ? C’est dommage, on ne s’est pas r e n c o n t r é s . Quand on peut, on s’attache à mourir heureux de ce que l’on a accompli. Aussi, il n’est pas possi- ble que je dispa- raisse sans avoir fait la paix avec mon père. Il faut qu’un jour j’écri- ve sur lui. Je ne peux pas écarter ça d’un revers de main en disant, "Je déteste mon père", c’est juste une pause. Par exemple, pour mon homosexualité, je pense qu’il le savait. Je n’ai rien fait pour le tromper, il n’a rien fait pour savoir.  Ecrivain et gay, vous définiriez-vous ainsi ? Gay, pas du tout. Je suis pédé, homosexuel. J’ai horreur du politiquement correct. Avec le mot "gay", on amenuise les sens. Avec mon homosexualité, je pensais être différent. Et je déteste cette tendance à la normalisation.  Subversif, alors ? Oui, mais j’ai la part belle. Je suis un fils de famille. Moi, je peux être subversif, mais un coiffeur de village ? G  "Ce soir, on soupe chez Pétrone" de Pierre Com- bescot aux éditions Grasset. Son précédent ouvrage "Les diamants de la guillotine" a été publié en 2002 aux éditions Laffont.  Pierre Combescot a notamment obtenu le prix Médicis en 1986 pour "Les Funérailles de la sardi- ne" et le prix Goncourt en 1991 pour "Les filles du calvaire" (éditions Grasset ou Le livre de poche). En 1999, l’écrivain a reçu le prix Prince-Pierre-de- Monaco pour l’ensemble de son œuvre.  Le romancier pourrait être présent lors du Salon de la biographie qui se tient dans les arènes de Nîmes du 28 au 30 janvier. Pierre Combescot passe plusieurs mois de l’année au Cailar où il a commencé l’écriture de son prochain ouvrage, une biographie. Photo Stéphane BARBIER Dieu le Pierre Combescot, romancier et journaliste ❝ Je ne cherche pas l’honorabilité. Mon seul honneur, c’est mon œuvre ❞ ❝ Le roman, c’est le vice incorrigible de vouloir être Dieu, créer des personnages ❞ Recueilli par Hocine ROUAGDIA Pierre Combescot est romancier et journaliste. Des Nouvelles littéraires à L’Express et au Canard enchaîné où, aujourd’hui, il signe sous le nom de Luc Décygnes des articles dédiés à la danse et à l’opéra. Un prix Gon- court, un Médicis, l’homme est atta- ché au village du Cailar, son refuge quand Paris devient trop stressant. Rencontre avec un écrivain qui ne donne pas dans la langue de bois, uploads/Litterature/ dieu-le-pierre.pdf

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