COURS INTÉGRAL SUR L'APOLOGIE DE SOCRATE, DE PLATON (I) La présente étude, divi
COURS INTÉGRAL SUR L'APOLOGIE DE SOCRATE, DE PLATON (I) La présente étude, divisée ici en six cours, exige la lecture préalable du livre de Platon, dont le texte intégral peut être consulté ici ; une version zippée peut également être téléchargée ici. Il convient toutefois de remarquer qu'il s'agit, dans les deux cas, d'une traduction ancienne (celle de Victor Cousin, 1822), et d'une lecture d'autant plus malaisée que les coquilles (fréquentes, hélas) n'ont pas été corrigées (ainsi, p. 38c, le texte porte "Point n'avoir pas pas eu la patience d'attendre un peu" - alors que le bon sens commande "Pour n'avoir etc."). Par ailleurs, dans cette traduction, les deux premiers accusateurs de Socrate sont nommés "Mélitus" et "Anytus". Les versions récentes retiennent plus volontiers "Mélétos" et "Anytos" : je les suis. Dans ce même registre, je regrette la latinisation des noms de divinités par Victor Cousin (le texte grec porte bien "Zeus" et "Héra", non "Jupiter" et "Junon"). Enfin, certains passages me paraissent litigieux et je les signalerai en temps voulu. Compte tenu de l'admiration écrasante dont bénéficie encore Cousin de la part d'excellents esprits, je ne saurais laisser entendre que sa traduction, d'autant plus médiocre aujourd'hui qu'elle a vieilli, présentait dès l'origine des défauts rédhibitoires ; tout au plus suggérerai-je l'achat d'une traduction plus récente. Note importante : cette version du texte comporte des numéros signalés entre crochets (de 17a à 42a). Ceux-ci sont appelés "pages de Stephanus", après l'édition canonique des oeuvres complètes de Platon établie, en 1578, par l'humaniste français Henri Estienne, dit Stephanus. Aujourd'hui, toutes les éditions sérieuses des textes platoniciens mentionnent ces pages, qui font office de références universelles (ce qui permet de retrouver rapidement un passage précis). Toutes les références de la présente étude renvoient à ces pages de Stephanus, y compris en ce qui concerne les autres oeuvres de Platon mentionnées dans l'étude (ainsi le Lachès, le Banquet, le Ménon...). Je tenais ici à exprimer toute ma reconnaissance et ma gratitude à mon maître, Terence Marshall (Université de Paris X Nanterre), qui m'a fait connaître la lecture de l'Apologie de Socrate proposée par Leo Strauss, dont le présent cours s'inspire en grande partie. Présentation générale de l’Apologie de Socrate On peut dire sans exagération que l'Apologie de Socrate constitue l'oeuvre inaugurale de la philosophie occidentale. A lire ce texte, les philosophes ou les apprentis philosophes remontent à la source originelle de leur discipline, le compte-rendu du procès intenté par Mélétos et deux autres citoyens d'Athènes, contre Socrate en 399 avant J.-C. Cette affaire judiciaire constitue pour nous l'un des deux événements fondateurs de la civilisation occidentale (l'autre étant la crucifixion de Jésus - une lecture des Evangiles sera bientôt proposée sur le blog) : aussi, devant ce texte, nous, les philosophes, ressentons à bien des égards une émotion de respect et de sacré similaire à celle qu'un touriste peut ressentir devant l'entrée du temple d'Abou Simbel (ci-contre). Pourtant, ce procès pouvait paraître, de prime abord, anecdotique : un vieil excentrique, peut-être un peu pervers, est condamné à mort - et après ? quel intérêt ? Admettons même qu'il s'agisse d'une erreur judiciaire : et après ? quel intérêt ? I/ Première lecture cursive A l'exception de quelques mots énoncés par Mélétos lors du contre-interrogatoire (24d-27d) et du brouhaha dans le prétoire mentionné épisodiquement (par exemple 30c), Socrate parle seul. Ce très long monologue constitue, le lecteur en est averti dès la première phrase, une défense judiciaire dans un procès. Que dit l'accusé pour se défendre ? 1) Divisions du texte Deux phrases permettent de découper le texte en trois parties d'inégale longueur. Pendant tout le début du texte, Socrate nie être coupable des accusations portées contre lui. En 35e, cependant, il fait tout à coup mention d'un "jugement" que les Athéniens viennent de rendre ; à partir de ce moment, il tient sa condamnation pour acquise et plaide, cette fois, non plus pour prouver son innocence, mais pour une peine alternative à la sentence de mort réclamée par les accusateurs. En 38c, enfin, nouveau changement de thème : "Pour n'avoir pas eu la patience d'attendre un peu [...] vous avez fait mourir Socrate." L'accusé porte un ultime regard sur le procès qui vient de s'achever et en tire les leçons. On comprend que, dans un premier affrontement, l'accusation et la défense visent à déterminer la culpabilité ou l'innocence du prévenu (comme aujourd'hui en France, l'accusation parle d'abord, puis la défense) ; les juges se prononcent une première fois à ce stade ; l'accusé reconnu coupable, un second affrontement cherche à déterminer la peine applicable : à la sentence réclamée par l'accusation, le prévenu répond par une sentence alternative. Une nouvelle fois, les juges se prononcent. A tous points de vue juridiques, la procédure pénale proprement dite s'interrompt à la fin de la page 38b, après ce second vote des juges : les derniers mots de Socrate se présentent comme une péroraison extrajudiciaire. Cette procédure athénienne diffère sensiblement de la procédure pénale applicable aujourd'hui en France ; aussi mérite-t-elle quelques précisions. 2) Le procès athénien (agôn) : quelques données juridiques "Il n'aurait fallu que trois voix de plus pour que je fusse absous" déclare Socrate au moment où il apprend que les juges l'ont reconnu coupable (36a). Cette traduction paraît extrêmement contestable d'autant qu'elle porte sur un moment capital du procès : les traductions plus récentes (notamment celle de Luc Brisson, chez Garnier-Flammarion) évoquent plutôt trente voix que trois. Trente voix, et Socrate parle d'une "faible majorité" : combien de juges siègent donc dans cette affaire ? Les recherches historiques permettent de retenir le chiffre de cinq cents magistrats (Socrate aurait donc été condamné par deux cent quatre- vingt voix contre deux cent vingt). Qui sont ces juges ? De simples citoyens volontaires, âgés d'au moins trente ans. Leur rémunération s'établit, nous apprend Aristophane dans les Cavaliers, à trois oboles par journée d'audience, soit le salaire d'une demi-journée de travail d'un ouvrier. Cette faible somme ne pouvait convenir qu'à des citoyens âgés, pour qui elle correspondait à une pension de retraite, ou à des jeunes gens désoeuvrés ou inaptes au travail. Le coût pour l'administration athénienne n'en est pas moins considérable : ce procès revient à payer une journée de travail à deux cents cinquante ouvriers. On n'aurait pas déployé pas un tel appareil, ni engagé de telles dépenses, pour une affaire secondaire. Très grave, le procès de Socrate intéresse toute la Cité : c'est une affaire d'Etat. Les juges, d'ailleurs, s'engagent sous serment formel à "voter conformément aux lois et aux décrets du peuple athénien" explique Démosthène dans son Contre Timocrate (Socrate fait allusion à ce serment en 35c). Cette gravité manifeste n'empêche cependant pas une procédure menée tambour battant : l'ensemble des débats devait être bouclé dans la journée (Socrate regrette d'ailleurs cette précipitation à de nombreuses reprises, par exemple en 19a, 24a et 37b). Chaque partie doit, du fait de cette brièveté, s'empresser de réfuter les allégations de l'adversaire. Le litige ne peut se résoudre qu’à l’avantage du plaideur capable de produire des preuves rapidement convaincantes - surtout des vraisemblances et des témoins. Pourtant, il convient de le remarquer tout de suite, Socrate recourt bien plus au raisonnement qu'aux simples vraisemblances et surtout, il n’appelle aucun témoin à la barre : il se contente de mentionner des gens qui pourraient déposer en sa faveur (notamment 32e et 34a). Curieux accusé que ce Socrate : il paraît ignorer les ressorts de la procédure, alors qu'il joue sa tête ! Il commence même sa première plaidoirie (17c) en annonçant qu'il n'emploiera pas les "artifices du langage" mais au contraire qu'il utilisera "les termes qui se présenteront [à lui] les premiers" - "des choses dites à l'improviste" traduit Luc Brisson. Dans une affaire d'Etat, une telle légèreté scandalise. 3) Les acteurs du procès L'acte d'accusation est soutenu conjointement par trois citoyens, Lycon, Mélétos et Anytos. Des trois, Lycon est le moins connu (et son identification historique prête à controverses). Mélétos, qui a déposé officiellement la plainte, semble avoir été un poète (du moins Socrate l'indique-t-il 24a). La majorité des commentateurs désignent Anytos comme l'instigateur du procès. Démocrate notoire, il avait apporté son soutien à Thrasybule lors de la révolte contre la Tyrannie des Trente en 403 (voir cours n°4, Socrate et la Cité). En 399, Anytos était probablement considéré comme un héros national ; en tous cas, il devait s'agir d'un personnage influent. Quant à Socrate, à soixante-dix ans, il n’a jamais comparu devant un Tribunal (17d), bien que les procès n'aient pas été rares à Athènes. Il s'agit donc d'un citoyen discret, d'un ancien combattant (28d-e) qui ne se mêle pas des affaires publiques (31c). Quel métier exerce-t-il ? Aucun. A quoi passe-t-il donc ses journées ? Il les consacre à "persuader" tout le monde "qu'avant le soin du corps et des richesses, avant tout autre soin, est celui de l'âme et de son perfectionnement." (30a-b). Aussi s'emploie-t-il à examiner avec d'autres citoyens des notions morales : une de ces discussions est ainsi uploads/Litterature/ documentcours-sur-apologie-de-socrate.pdf
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- Publié le Sep 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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