Tous droits réservés © magazine littéraire, 2016 Nuit blanche, 2016 This docume

Tous droits réservés © magazine littéraire, 2016 Nuit blanche, 2016 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 05/14/2019 3:10 p.m. Nuit blanche, magazine littéraire Pierre Gascar (1916-1997) Bruno Curatolo Number 141, Winter 2016 URI: https://id.erudit.org/iderudit/80820ac See table of contents Publisher(s) Nuit blanche, le magazine du livre ISSN 0823-2490 (print) 1923-3191 (digital) Explore this journal Cite this article Curatolo, B. (2016). Pierre Gascar (1916-1997). Nuit blanche, magazine littéraire, (141), 50–53. É C R I V A I N S M É C O N N U S D U X X e S I È C L E n 1953, même si Pierre Gascar est un écrivain presque débutant, il n’est plus un néophyte ; né en 1916, c’est au sortir d’une jeunesse tourmentée et, surtout, de sa longue captivité en Allemagne, due à son engagement dans la Résistance, que paraissent chez Gallimard deux recueils de nouvelles, Les meubles (1949), puis Le visage clos (1951) : « Je n’ai commencé à publier qu’assez tard, la guerre et ma réadaptation sociale m’ayant, pendant plusieurs années, empêché d’écrire. Je n’ai pu connaître, en littérature, les audaces de la jeunesse. Il me reste celles de l’âge mûr, qui les valent parfois1 ». L’expérience de la guerre va marquer de façon profonde la première période, au moins, de sa production romanesque. L’auteur, disparu en 1997, s’est par ailleurs exercé dans à peu près tous les domaines de l’activité littéraire – fiction, prose poétique, théâtre, biographie, essai, histoire... – pour réunir plus d’une trentaine de volumes. C’est donc en 1953 qu’il obtient le prix Goncourt pour Les Bêtes et Le temps des morts2 – faisant un même ensemble –, ce qui est plutôt rare dans les annales de la place Gaillon, d’autant qu’il ne s’agit pas de romans. Ce petit point d’histoire littéraire, pour aussi négligeable qu’il puisse paraître, n’est pourtant pas sans importance, loin de là, pour comprendre dans leur dessein général la plupart des six nouvelles3 qui composent Les Bêtes: à ne pas faire la relation entre l’internement, voire l’élimination, dans les camps nazis et le parcage, le plus souvent suivi de l’abattage, du bétail, on risque de manquer le projet de Gascar qui, dans ses livres les plus singuliers, s’est attaché à montrer la troublante proximité entre les apparences de la vie – minérale, végétale, animale, entre autres dans Les sources (1975) et Le règne végétal (1981) – mais d’abord entre l’humain et la « bête » : « À chaque instant, la bête peut changer : nous sommes à la lisière. Il y a le cheval dément, le mouton sage, le rat savant, l’ours impavide, sortes d’états seconds qui nous ouvrent l’enfer animal et où nous retrouvons, dans l’étonnement de la fraternité, notre propre face tourmentée, comme un miroir griffu » (Les Bêtes). Autrement dit, l’envers de l’homme ne laisse pas se résoudre aussi facilement le problème de la culpabilité. SI QUESTO È UN UOMO… À l’instar de ces écrivains qui ont rapporté de leur internement des récits bouleversants – Primo Levi, Louis Martin-Chauffier, Robert Antelme –, Pierre Gascar, avec Le temps des morts, témoigne de son expérience de captif à Rawa Ruska, où il est employé comme fossoyeur dans un cimetière bordé d’une voie de chemin de fer : y passent journellement des convois de Juifs promis à la mort. Pour le jeune homme, les bornes de la condition « humaine » tiennent ainsi entre le cadavre et le condamné, entre la fosse et le charnier. Cela est aujourd’hui fort connu – par les témoignages, les livres, les films – et parfois, malheureusement, galvaudé, les déportés étaient embarqués comme du bétail, ce qui était un premier stade vers la déshumanisation, mais il faut avoir conscience de ce que ce spectacle pouvait avoir d’insolite pour ceux qui y assistaient pour la première fois : « À quelle autre époque les enfants furent-ils arrachés à leurs mères, entassés dans des wagons à bestiaux, tels que je les ai vus, par un sombre matin, à la gare d’Austerlitz ? » écrit François Mauriac dans Le cahier noir. N 0 141 . NUIT BLANCHE . 50 Par BRUNO CURATOLO* Pierre Gascar E N 0 141 . NUIT BLANCHE . 51 Aussi Gascar, sans dramatiser, car Le temps des morts reste un récit sobre, s’oriente-t-il subtilement vers un gommage de la différence, dite ontologique, entre l’homme et l’animal, démarche qui lui fait composer Les Bêtes, dont la nouvelle éponyme se situe au centre du recueil et dont il faut remarquer la majuscule, manière d’anoblir la créature considérée comme inférieure. Le texte met en scène des soldats russes et ukrainiens – éléments de l’armée soviétique – prisonniers des Allemands au cours du dernier hiver de la Deuxième Guerre mondiale : torturés par la faim, ils sont affolés de convoitise pour la nourriture octroyée aux fauves d’une ménagerie voisine, sur fond de chromatisme symbolique : le blanc, le rouge et le noir, couleurs qui, on l’aura compris, sont celles du drapeau nazi, emblème éclatant de la thanatologie. Le décor est donc celui d’une contrée quasiment nue, saisie par un froid intense, un paysage désolé, en proie à une sorte d’ère glaciaire, convoquant des images minérales, des fantasmes de figement, autant dire tout le contraire de la fertilité, ainsi que le formule ce constat des captifs : « [...] comme une poignée de cailloux dans la vérité d’un paysage lunaire, saillait, Pierre Gascar © Jacques Sassier/Gallimard É C R I V A I N S M É C O N N U S D U X X e S I È C L E N 0 141 . NUIT BLANCHE . 52 durement bâti d’ombres, leur irréductible malheur : le malheur des pierres ». Sans entrer dans le détail de cette extraordinaire fable4, notons la progressive dégradation de l’humain vers la bestialité, puis la pétrification – châtiment biblique –, sans passer par la forme végétale, véritable source de vie. L’ARBRE DANS LE CŒUR DE L’HOMME Cet intertitre, que j’emprunte à Marie-France Briselance5, exprime parfaitement le dilemme qui a partagé l’inspiration littéraire de Pierre Gascar : sa carrière professionnelle, dans le cadre de l’Organisation mondiale de la santé, l’a conduit à sillonner le monde entier, depuis la Chine, la Sibérie, l’Inde, l’Europe, l’Amérique du Nord jusqu’à... Paris. Ainsi, il a dû se préoccuper de la misère, de la maladie, de la souffrance des hommes mais il s’est surtout, dans Le présage (1972), inquiété de la disparition des lichens, signe de la dégradation inéluctable de la vie végétale à cause du développement industriel, du « progrès » économique, de l’inconséquence d’une civilisation anthropomorphe. Ouvrage prophétique, cet essai affirme clairement la contiguïté des manifestations physiques : « Les taches, celles des bêtes fauves, du cobra, ou celles de la lèpre, représentent dans ce monde, les marques d’une présence non identifiée, insatisfaite. Les lichens, en plaques de toutes les couleurs, sur les troncs des arbres, les murs, les toits, les statues témoignent du même phénomène d’émergence et d’opposition ». Se retirant de l’activité humaine, Gascar va donc se consacrer, dans les années 1970-1980, à une célébration de la vie naturelle, notamment dans Les sources, titre qui n’indique pas seulement l’eau courante mais aussi les arbres et les animaux sauvages, dignes de respect en leur être, certes, en ce que l’humain, de son côté, peut y trouver de « mystique maté rialiste », selon l’expression de Roger Caillois6, dont notre auteur partage la pensée. Le projet était de fonder un nouvel huma nisme dont l’acmé est, sans doute, Le règne végétal, qui parcourt, en une sorte de boucle, la richesse que représentent les plantes pour Il se peut que l’impassibilité de beaucoup d’hommes devant la mort des animaux, sauf s’il s’agit de bouchers habitués à n’y voir que la réduction en quartiers d’une viande sur pied, cache une curiosité qui s’est prolongée depuis l’enfance, le désir de vérifier aux moindres frais, sur une sorte de doublure, la réalité de l’anéantissement auquel nous sommes promis. Mais la souffrance des animaux ? [...] Il n’est pas une seule personne, serait-elle dépourvue de toute imagination, qui croie, d’une façon absolue, au caractère brut, non conscient, de la souffrance de l’animal. L’homme et l’animal, p. 169. Georges Magnane, dès la fin des années 1930, publie chez Gallimard des romans où il met en scène tantôt sa jeunesse provinciale, tantôt son expérience de lettré amoureux du sport : La bête à concours, Gerbe baude, Plaisir d’amour… Il devient également scénariste et critique de cinéma, mais se fait surtout le traducteur de prestigieux auteurs américains comme Hemingway, Capote, Updike. Longtemps oublié, Magnane connaît aujourd’hui un regain d’intérêt grâce à des rééditions récentes et aux travaux de chercheurs… À paraître uploads/Litterature/ gascar-curatolo-pierre-gascar-pdf.pdf

  • 12
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager