2 Zakaria Soumare La Migration et l’immigration dans le roman africain francoph
2 Zakaria Soumare La Migration et l’immigration dans le roman africain francophone 2 2 2 3 Introduction La migration est un phénomène sociologique et historique aussi ancien que l’histoire de l’humanité. Dans son ouvrage Les Noirs de la diaspora, l’historien Ibrahima Baba Kaké remarque que « L’Homme est un animal terriblement voyageur. Il sort de sa patrie quelles que soient les barrières qui l’entourent1« afin d’aller à la rencontre de ses semblables et découvrir d’autres horizons, d’autres modes de vie. Dans la même lancée, André Vieugnet renchérit dans son livre Français et immigrés en affirmant que « Les migrations de populations s’observent tout au long de l’histoire. Partout et toujours des groupes, des tribus, des peuples émigrent de leur pays d’origine à la recherche [de meilleures conditions de vie]2 » Une définition de termes semble ici intéressante pour mieux cerner le concept de migration et d’immigration. Le 1 Ibrahima Baba Kaké, Les Noirs de la diaspora, Paris, Editions du Lion, 1978, p.37. 2 André Vieugnet, Français et immigrés, Paris, Editions sociales, 1975, p.45. 2 4 substantif « migration » vient du latin « migrare3 ». Ce mot peut avoir plusieurs acceptions, selon le contexte dans lequel il est utilisé. Ainsi, nous pouvons entre autres distinguer la migration végétale, animale ou zoologique, biologique et humaine. Dans Vocabulaire juridique, Gérard Cornu définit le terme comme étant « le fait, pour une personne, de se déplacer d’un pays à un autre.4« Cette définition partielle ne prend en compte que les migrations internationales (d’un pays à un autre) et semble ignorer celles qui se font à l’intérieur d’un même Etat (migrations internes ou exode rural). Quant au terme de l’immigration, le Dictionnaire Larousse (2001) donne la définition suivante : « [C’est] le fait de séjourner de manière durable ou de s’installer définitivement dans un pays étranger. » Dans cette étude, on s’intéressera particulièrement aux mouvements migratoires de la deuxième moitié du siècle dernier, à l’exception de quelques romans, par exemple Force Bonté de Bakary Diallo publié au début du siècle. L’objectif étant de questionner ces œuvres afin de comprendre comment la migration et l’immigration des personnages romanesques est décrite par les auteurs. Cette description, dans un premier temps, brosse un tableau plus ou moins complet des causes de la mobilité des protagonistes et, dans un second, elle s’intéresse aux conséquences qui en découlent. Le choix de l’association des deux termes « migration/immigration » dans le titre de notre ouvrage s’explique par le fait que pour nous ces deux notions sont 3 Qui se traduit en français par s’en aller. 4 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, p.579. 2 5 indissociables. Nous nous inscrivons ainsi dans la même perspective interprétative que Christiane Albert qui, dans son livre, souligne que « le terme d’immigration ne peut se concevoir sans son corolaire d’émigration, selon que l’on prenne en compte le fait de quitter son pays […] ou au contraire celui d’entrer dans un pays étranger5« avec l’intention d’y séjourner durablement. Il s’avère donc indispensable que les études sur ce phénomène prennent en considération à la fois le déplacement et le séjour des migrants dans leur pays d’accueil. Cette étude se divise en deux parties. La première s’intéressera aux causes de la migration des personnages des romans ici étudiés ; la deuxième, elle, abordera les conséquences tant économiques, humanitaires que culturelles. 5 Christiane Albert, L’Immigration dans le roman francophone contemporain, Paris, Karthala, 2005, p.12. 2 6 2 7 Première partie Les causes 2 8 2 9 Chapitre I Les causes psychologiques et économiques La migration des personnages dans le roman africain francophone pourrait se ramener à deux grandes causes, principalement : les causes répulsives et les causes attractives. Les premières concernent celles qui : « Incitent l’être humain à quitter son pays d’origine et qui sont par exemple la disette, la misère, le manque d’emploi, les persécutions politiques, religieuses, raciales… 6 » Les secondes, elles, renvoient particulièrement à celles qui poussent le personnage à manifester un désir pressant et irrésistible de changer d’horizon, de mode de vie, d’aller à la découverte d’un ailleurs meilleur. C’est le cas par exemple de Maїmouna, héroïne éponyme du roman d’Abdoulaye Sadi qui, ne supportant plus la vie monotone et morose du village, décide de quitter ses parents pour la ville de Dakar. 6 Encyclopédie universalis, France, S-A, 2002, vol.15, p.120. 2 10 I-1 Les causes psychologiques Dans son Dictionnaire de psychologie, Norbert Sillamy définit le terme comme étant : « La science de la vie mentale, de ses phénomènes et de ses conditions […] La psychologie, poursuit-il, se définit aujourd’hui, d’un point de vue plus global, comme la science de la conduite [mentale]. 7 » Cette définition pourrait s’appliquer parfaitement au comportement psychologique des personnages romanesques africains francophones avant leur migration. Cependant, une précision notionnelle semble ici importante. En effet, nous entendons par causes psychologiques la représentation « mentale » que les protagonistes se font de leur migration/immigration avant leur départ. Ces derniers se représentent le voyage dans le pays d’immigration (France) comme la clé ouvrant la porte de la promotion sociale. Cette représentation se fait de plusieurs manières. Elle se manifeste surtout par une idéalisation excessive et disproportionnée du pays d’accueil. Ainsi, le personnage migrant ou candidat à la migration conçoit ce pays comme un paradis terrestre. Une lecture de la production romanesque africaine francophone fait comprendre que la migration et l’immigration des personnages sont perçues comme un phénomène de mode qui accorde un statut social revalorisant à celui qui parvient à accomplir son rêve de voyage en Europe. Le personnage pense donc, avant le départ, qu’il ne devra son succès et sa réussite sociale que grâce au voyage qu’il effectuera en ville (pour les migrations internes ou exode rural) ou à l’étranger (pour les migrations externes, 7 Robert Sillamy, Dictionnaire de psychologie, Paris, Larousse-Bordas, 1998, p.210. 2 11 notamment dans le sens Afrique-Europe ; Europe- Afrique). Si son rêve s’accomplit comme il le souhaite, il se sentira désormais investi d’une mission « messianique » à laquelle il ne doit aucunement faillir sous peine de perdre son prestige. Ce sentiment de ne jamais décevoir, sinon de ne pas perdre l’image que les gens se font de l’immigré du fait de son statut de compatriote vivant à l’étranger s’illustre fort bien dans le passage suivant où le héros de Bleu Blanc Rouge, Massala Massala alias Marcel Bonaventure, alors qu’il était en prison et en phase d’être expulsé vers son pays d’origine, le Congo Brazzaville, se livrait à un monologue trahissant le sentiment de déshonneur qu’il ressentait : « Croyez-moi, ce n’est pas tant l’affrontement qui me désespère : je suis rompu à cela. Ce sont plutôt, je devine d’ici, tous ces yeux écarquillés, toutes ces mains déployées qui m’attendent. C’est une promesse que chacun de nous porte comme la tortue porte sa carapace. Je ne peux me permettre de ne pas regarder de ce côté-là. Je ne peux ignorer subitement tout cela. Ils m’attendent. Je suis leur seul secours. Je me sens chargé d’une mission qu’il faut accomplir à tout prix. Autrement, que leur dirais-je ? Que je n’ai pas pu aller jusqu’au terme ? Vont-ils m’excuser ? Vont-ils me comprendre ?8 » Dans le même ordre d’idées, dans son article La porte de l’Europe s’est refermée, Serge Daniel, correspondant de RFI au Mali, rapporte le témoignage d’un candidat malheureux à la migration clandestine qui résume toute la portée psychologique des causes de cette migration. 8 Alain Mabanckou, Bleu Blanc Rouge, Paris, Présence africaine, 1998, p. 13. 2 12 « L’africain, dit-il, n’aime pas la honte. J’ai des amis qui ont été refoulés. Arrivés à destination, ils ont été accueillis par les amis, les parents avec des moqueries sur le ton : vous n’êtes pas des hommes. Aujourd’hui, vous êtes revenus les mains vides, c’est une honte pour la communauté9 » Le monologue de Massala depuis sa prison et la confession de ce candidat à la migration clandestine témoignent de la charge psychologique considérable que portent les jeunes migrants. Ainsi, le héros de Bleu Blanc Rouge ne peut concevoir sans peine son retour brutal (par expulsion) à son pays natal. Car pour lui et son entourage, ce retour non voulu et inattendu est synonyme de honte et de déshonneur pour toute la famille qui devient ainsi l’objet de moquerie pour tout le quartier. Dans son étude consacrée à ce qu’Abdourahman Waberi appelle « les enfants de la postcolonie », Odile Cazenave affirme que « Bleu Blanc Rouge s’inscrit directement […] dans l’évocation de l’importance de l’apparence, de l’image extérieure associée à celle de la réussite sociale. 10 » Dans ce cas, le voyage en France est vécu comme le summum de la promotion sociale pour les candidats à la migration. En effet pour ces derniers, à l’instar de Massala Massala, ce voyage représente l’arme incontestable permettant d’ouvrir la porte de l’imaginaire des jeunes filles du quartier. « Les garçons de mon âge, dit le héros de Bleu Blanc Rouge, aguichaient les jeunes filles en leur bassinant cette sérénade : 9 Serge Daniel, uploads/Litterature/ downloadfile.pdf
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- Publié le Jul 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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