n°1, 2008 Du roman historique romantique au contemporain : l’histoire, l’histor
n°1, 2008 Du roman historique romantique au contemporain : l’histoire, l’histor et ses destinataires Dolores Thion (Université de Nantes) Parler du destin et des destinataires du roman historique depuis la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, en France ou en Allemagne, et puis au XIXe siècle en Espagne, nous renvoie vers une problématique à la fois historique et littéraire issue du renouveau idéologique et esthétique que le romantisme engendre en Europe. Si l’on accorde à Waverley de Walter Scott, publié en 1814, la catégorie de premier roman romantique de nature historique, il faut sans doute reconnaître les rapports originaux entre récit historique et récit romanesque que Walter Scott instaure. À qui s’adresse Walter Scott lorsqu’il publie Waverley, Ivanhoe, Lucie Lammermoor ? Quelle est le destin de cette histoire fictive par rapport à l’historiographie ? Ou encore, quels sont les nouveaux rapports entretenus entre l’une et l’autre ? Nous tâcherons de répondre à ces questions au fil de nos réflexions afin d’établir certains des modes de fonctionnement du roman historique au XIXe siècle et de sa nouvelle émergence depuis 1980 en Espagne, en tant que genre grand public, soumis aux conditions des « meilleures ventes » comme c’est le cas pour Arturo Pérez Reverte. L’analyse de la continuité de la série générique « roman historique » à partir des rapports que l’instance narratologique, l’histor entretient avec ses destinataires dans le paratexte, les préfaces et la modalisation feront, pour l’essentiel, l’objet de notre étude. 1. Walter Scott : du roman et l’histoire Si vers la fin du XVIIIe siècle et pour la première fois dans l’Histoire littéraire le roman acquiert une véritable place d’excellence, un espace d’autonomie ainsi que la reconnaissance dans les catégories génériques, c’est sans doute parce qu’il redéfinit ses liens avec l’Histoire. Dans la tradition orale et écrite, les récits en prose des res gestae ou des rerum gestarum se sont influencés et, bien souvent, se sont confondus. Les récits historiques et les récits littéraires à sujet historique ont utilisé un discours et une rhétorique très proches, voire commune jusqu’au moment où l’histoire se définit comme une science indépendante, l’historiographie1. Depuis la Révolution Française, les invasions napoléoniennes, et durant les périodes restaurationnistes (1815-1845 environ), l’historiographie officielle devient nécessaire au fonctionnement des États nationaux. Elle s’approche de la philosophie pour rétablir un contact avec les origines, pour créer des bases aux régimes post-révolutionnaires et pour transmettre de nouvelles valeurs aux classes émergentes. La nouvelle conception de l’histoire en tant que science de vérité s’intéresse aux questions épistémologiques et elle s’éloigne des faits ou modèles 1 AAVV, Knowing and telling : the Anglo Saxon Debate, History and theory, n°25 (1986) ; Paul Ricoeur, Temps et récit, Paris, Seuil, 1983 ; José Carlos Bermejo Marco, « La historia, entre la razón y la retórica », Hispania, vol. XXX, N°174 (1990), pp. 237-276 - 2 – n°1, 2008 Du roman historique romantique au contemporain : l’histoire, l’histor et ses destinataires Dolores Thion d’écriture, c’est-à-dire, de l’art de l’éloquence et de l’esthétique littéraire. L’esthétique romantique, quant à elle, ne doit plus rendre compte à l’ordre thomiste : beauté, vérité bonté. Les frontières entre les récits d’une certaine longueur se sont définitivement construites. Les textes ayant comme titre ou sous- titre, « histoires de », « histoire des aventures de… » resteront à jamais ancrés dans le domaine de la fiction même si, souvent, ils continuent de jouer les belles infidèles de l’historiographie officielle. Lorsque Walter Scott invente le modèle du roman historique, il emprunte au récit historique traditionnel ses composantes les plus importantes : la mémoire, qui cherche des origines pour mieux rendre compte du présent; la continuité historique conçue en termes de stabilité et de permanence dans le temps des modes de vie originaires, l’identité, dressée sur des formes culturelles préétablies qui permettent à l’individu de se comprendre ; puis le temps qui est, lui aussi, perçu sous une perspective d’identité, de continuité et de répétition des schémas du passé au détriment de toute perspective évolutive2. Pour rendre compte de ces composantes, Walter Scott est contraint de partager le récit fictif avec l’Histoire : un récit hybride, qui ne doit pas négliger les modes d’écriture historique mais qui ne renonce pas à la créativité et l’imagination propres à la fiction littéraire, et ne renonce point non plus à la tradition romanesque. Ceci, d’autant plus, que le roman historique se consolide à un moment clé de l’évolution du récit de fiction en Europe, au carrefour de la tradition « romance », de la chanson chevaleresque, du roman gothique et du roman courtois. Par la suite, il recueille les nouvelles tendances du roman social et du roman réaliste anglais du XVIIIe tout en s’appuyant sur les inventions de Cervantes depuis Don Quichotte. Ce romance ou chanson chevaleresque des temps modernes conserve la structure de l’aventure comme stratégie pour attirer et pour séduire le lecteur. L’intrigue amoureuse est assurée par une protagoniste féminine, même si son rôle reste souvent secondaire dans la progression de l’Histoire. Le mystère, le merveilleux, sont également présents. Cependant, Scott ne néglige pas le fait que pour accéder à la catégorie historique, il se doit d’offrir des renseignements au lecteur. Les périodes du Moyen Age et la Renaissance sont choisies, car, méconnues, elles octroient un grand espace de liberté à l’imagination, tout en répondant aux repères du passé nécessaires à l’individu romantique. Il n’en reste pas moins que l’imaginaire esthétique et social des romantiques se projette bien souvent sur cette toile de fond du passé, de sorte que les écarts susceptibles d’éloigner le roman de l’histoire ne sont pas censurés. Dans l’imaginaire romantique, la vérité romanesque est en mesure de devancer la vérité historique, surtout parce que le réel n’est pas toujours historique. Or, ce genre de débat romantique est simplement animé par la défense de leur propre cœur, de leur propre esprit, romantiques avant tout (l’être romantique avant tout).3. 2 À ce sujet, on peut consulter : Hayden White, Metahistory. The historical imagination in Nineteenth-Century Europe, John Hopkins University Press, Baltimore and London, 1973, The Content of the form. Narrative Discourse and Historical Representation, John Hopkins University Press, Baltimore and London, 1978. 3 Amado Alonso, Ensayo sobre la novela histórica. El Modernismo en « La Gloria de Don Ramiro », Madrid, Gredos, p. 30. - 3 – n°1, 2008 Du roman historique romantique au contemporain : l’histoire, l’histor et ses destinataires Dolores Thion Lorsque Walter Scott compose ses romans historiques, il écrit de longues préfaces dans lesquelles il se sent obligé de justifier, face à ses destinataires ou lecteurs implicites, la nature de sa fiction à la fois romanesque et historique. Walter Scott entend créer une illusion d’historicité, c’est-à-dire, d’authenticité ou véracité historique chez son lecteur. À cette fin, il reconstruit avec la plus grande fidélité possible une version des processus, des événements, des personnages et d’un univers du passé lointain. En d’autres termes, du point de vue sémantique, son récit doit être vraisemblable. À cette fin, il ne néglige aucune composante de l’ouvrage : du paratexte à la structure et jusqu’au récit romanesque dans ses catégories formelles, sémantiques, syntactiques et pragmatiques. Le moindre détail doit susciter chez le lecteur la curiosité. Il doit également le guider dans une nouvelle manière de lire une modalité romanesque originale. Dès le premier contact, le paratexte, (le choix du titre, des sous-titres, des chapitres, des épigraphes voire les illustrations) étaye l’historicité du texte4 Les préfaces introduisent l’ancienne figure de l’histor, voix d’autorité qui permet de convaincre le lecteur et de soutenir la véracité de ce qui est rapporté5. L’histor a recours à une stratégie très ancienne : le manuscrit, le journal, les chroniques, la correspondance..., retrouvés par hasard et desquels, cet histor – incarnant le narrateur omniscient extradiégétique – est simplement le fidèle rapporteur ou l’honnête traducteur. Le dialogue de l’histor-narrateur avec le lecteur implicite ou destinataire, s’instaure ainsi dans la préface, et il se poursuit tout au long du texte afin de garantir la véracité de sa propre histoire grâce à de nombreuses digressions et de multiples commentaires avec lesquels il oriente son lecteur pour une meilleure compréhension du texte. Walter Scott en Espagne : l’histor romantique Les premiers efforts de diffusion du roman historique en Espagne naissent, comme une grande partie de la littérature espagnole, à l’étranger. Les premières traductions de Walter Scott sont réalisées par les exilés romantiques espagnols à Londres : José Joaquín de la Mora traduit en 1825 Ivanhoe et Le talisman. La censure fait échouer tous les projets éditoriaux des traductions de Scott en Espagne. C’est pourquoi elles sont imprimées en France ou en Angleterre. En 1925, les maisons d’édition espagnoles parviennent à publier les oeuvres de Scott6, mais 4 Ainsi l’explique-t-il dans ses préfaces de Waverley, d’Invahoe… 5 C’est Scholes y Kellog qui ont défini le concept d’histor : « The histor is the narrator as inquirer, constructing a narrative on the basis of such evidence as has been able to accumulate. The histor is not a character in narrative, but he is not exactly the author uploads/Litterature/ du-roman-historique-romantique-au-contemporain.pdf
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- Publié le Apv 14, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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