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Alexandre Dumas Black Black BeQ Alexandre Dumas Black roman La Bibliothèque électronique du Québec Collection À tous les vents Volume 1349 : version 1.0 2 Du même auteur, à la Bibliothèque : Les Louves de Machecoul Les mille et un fantômes La femme au collier de velours Les mariages du père Olifus Le prince des voleurs Robin Hood, le proscrit Les compagnons de Jéhu Le comte de Monte-Cristo La San Felice La reine Margot Les trois mousquetaires Le vicomte de Bragelonne Le chevalier de Maison-Rouge Histoire d’un casse noisette et autres contes La bouillie de la comtesse Berthe et autres contes 3 Black Édition de référence : Paris, Dufour, Mulat et Boulangers, Éditeurs, 1859. 4 I Où le lecteur fait connaissance avec les deux premiers personnages du livre. M. le chevalier de La Graverie en était à son second tour de ville. Peut-être serait-il plus logique d’entrer en matière en apprenant au lecteur ce que c’était que M. le chevalier de La Graverie, et dans lequel des quatre-vingt-six départements de la France était située la ville dont il longeait l’enceinte. Mais nous avons résolu, dans un moment d’humour qui nous a probablement été inspiré par le brouillard que nous avons respiré dernièrement en Angleterre, de faire un roman complètement neuf : c’est-à-dire de le faire à l’envers des autres romans. Voilà pourquoi, au lieu de commencer par le commencement, comme on a fait jusqu’à présent, 5 nous le commencerons par la fin, certain que l’exemple sera imité, et que, d’ici à quelque temps, on ne commencera plus les romans que par la fin. D’ailleurs, il y a encore un autre motif qui nous détermine à adopter cette façon de procéder. Nous craignons que l’aridité des détails biographiques ne rebute le lecteur et ne lui fasse fermer le livre à la fin du premier feuillet. Nous nous contenterons donc de lui dire pour le moment, et cela parce que nous ne pouvons pas le lui cacher, que la scène se passe, vers 1842, à Chartres en Beauce, sur la promenade ombragée d’ormes qui serpente autour des vieilles fortifications de l’antique capitale des Carnutes, promenade qui est à la fois les Champs-Élysées et la petite Provence de toutes les générations de Chartrains qui se sont succédé depuis deux cents ans. Puis, ayant posé nos réserves à l’endroit de l’individualité rétrospective de notre héros, ou plutôt de l’un de nos héros, afin que le lecteur ne nous accuse pas de lui avoir ménagé un coup de 6 Jarnac, nous continuons. Le chevalier de La Graverie en était donc à son second tour de ville. Il arrivait à cette partie du boulevard qui domine le quartier de la cavalerie et d’où l’œil embrasse dans tous leurs détails les vastes cours de cette caserne. Le chevalier s’arrêta. C’était sa halte. Tous les jours, le chevalier de La Graverie, qui sortait de chez lui à midi précis après avoir pris son café pur et avoir mis trois ou quatre morceaux de sucre dans la poche de derrière de son habit, pour grignoter chemin faisant, ralentissait ou précipitait la seconde partie de sa promenade, de façon à se trouver au même endroit, c’est-à-dire à celui que nous venons d’indiquer, au moment précis où la trompette appelait les cavaliers au pansage de leurs chevaux. Ce n’est point que rien au monde, à part le ruban rouge qu’il portait à son habit, indiquât, 7 dans le chevalier de La Graverie, une tendance vers les exercices militaires ; il s’en fallait du tout au tout : le chevalier de La Graverie était, au contraire, ce que l’on peut imaginer de plus bonhomme. Mais il aimait à voir ce tableau pittoresque et mouvementé qui le ramenait au temps où lui- même – nous dirons plus tard dans quelles circonstances – avait été mousquetaire ; ce dont il était très fier depuis qu’il ne l’était plus. Car, sans chercher, ostensiblement du moins, dans les souvenirs d’une autre époque, ses consolations du présent, tout en portant philosophiquement des cheveux qui avaient passé du jaune tendre au gris-perle ; tout en paraissant aussi satisfait de son enveloppe qu’une chrysalide peut l’être de la sienne ; tout en ne voltigeant pas sur les ailes du papillon d’un ci-devant jeune homme, le chevalier de La Graverie n’était point fâché de se poser en connaisseur aux yeux des pacifiques bourgeois qui, comme lui, venaient chercher leur distraction quotidienne en face des écuries du quartier et de faire dire à ses voisins : 8 – Savez-vous que vous aussi, chevalier, vous avez dû être un joli officier dans votre temps ? Supposition qui était d’autant plus agréable au chevalier de La Graverie qu’elle était complètement dénuée de fondement. L’égalité des rides, qui ne fait que préluder, chez les hommes, à la grande égalité de la mort, est la consolation de ceux qui ont à se plaindre de la nature. Or, le chevalier de La Graverie n’avait point à s’en louer, de cette capricieuse nature, nourrice débonnaire des uns, marâtre capricieuse des autres. Et c’est ici le moment, je crois, de dire ce qu’était physiquement le chevalier de La Graverie ; le moral se développera plus tard. C’était un petit homme de quarante-sept à quarante-huit ans, grassouillet à la manière des femmes et des eunuques, lequel avait eu, comme nous l’avons dit, des cheveux jaunes qui, dans ses signalements, étaient généralement portés comme cheveux blonds ; qui avait encore de grands yeux 9 bleu-faïence dont l’expression habituelle était l’inquiétude quand la rêverie, car le chevalier rêvait quelquefois, ne leur donnait pas une fixité morne ; de grandes oreilles sans ourlets, molles et branlantes ; des lèvres grosses et sensuelles dont l’inférieure pendait légèrement à la manière autrichienne ; enfin, un teint rougeaud par places, presque blafard là où il n’était pas rouge. Cette première partie de son corps était supportée par un cou gros et court sortant d’un torse qui s’était porté tout entier vers l’abdomen, au détriment de bas étriqués et manquant de longueur. Enfin, ce torse se mouvait à l’aide de petites jambes rondes comme des saucissons et légèrement cagneuses du genou. L’ensemble était vêtu, au moment où nous le présentons au lecteur : la tête, d’un chapeau noir à larges bords et à forme lasse ; le cou, d’une cravate de fine batiste brodée ; le torse, d’un gilet de piqué blanc recouvert d’un habit bleu à boutons d’or ; enfin, la partie inférieure du corps, d’un pantalon de nankin un peu court, serré au 10 genou et à la cheville, laissant à découvert des bas de coton mouchetés qui se perdaient dans des escarpins à gros rubans. Tel qu’il était, nous l’avons dit, le chevalier de La Graverie avait fait du pansage l’incident récréatif de la course qu’il accomplissait tous les jours avec la sollicitude religieuse que, arrivés à un certain âge, les caractères méthodiques mettent à accomplir une prescription médicale. Il le gardait pour la bonne bouche ; il en était friand comme un gastronome est friand d’un plat d’entremets. Arrivé en face d’un banc de bois placé au bord du talus qui descend aux écuries, M. de La Graverie s’arrêta et regarda si la scène allait bientôt commencer ; puis il s’assit méthodiquement, comme un vieil habitué se fût assis à l’orchestre de la Comédie française, attendant, le menton appuyé sur ses deux mains et les deux mains appuyées sur sa canne à pomme d’or, que le son de la trompette remplaçât les trois coups du régisseur . Et vraiment, ce jour-là, l’intéressant spectacle 11 du pansage en eût arrêté et captivé beaucoup d’autres moins curieux et plus blasés que notre chevalier ; non pas que l’opération quotidienne eût en elle-même quelque chose d’insolite et d’inaccoutumé : non, c’étaient bien les mêmes chevaux bais, alezans, rouans, noirs, gris, blancs, tigrés, pies, hennissant ou frémissant sous la brosse et l’étrille ; c’étaient bien les mêmes cavaliers en sabots et en pantalon de treillis, les mêmes sous-lieutenants ennuyés, le même adjudant-major grave et compassé guettant une infraction aux règlements comme le chat guette la souris, ou comme le pion, les écoliers. Mais, le jour où nous rencontrons le chevalier de La Graverie, un beau soleil d’automne reluisait sur cette masse grouillante de bipèdes et de quadrupèdes, et triplait la valeur de l’ensemble et des détails. Jamais les croupes des chevaux n’avaient été si miroitantes, jamais les casques n’avaient renvoyé tant de feux, jamais les sabres n’avaient fait jaillir tant d’éclairs, jamais les physionomies n’avaient été si accentuées, jamais, enfin, le cadre 12 n’avait été si splendide ! Les deux majestueuses flèches qui dominent l’immense cathédrale s’enflammaient sous un chaud rayon que l’on eût cru emprunté au ciel d’Italie ; les moindres détails de leurs fines dentelures s’accusaient par la vigueur des ombres, et les feuilles des arbres qui bordent la rivière d’Eure se nuançaient de mille teintes de vert, de pourpre et d’or ! Bien que le chevalier n’appartînt aucunement à l’école romantique, qu’il n’eût jamais eu l’idée de lire les Méditations poétiques de Lamartine uploads/Litterature/ dumas-black.pdf

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