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Tous droits réservés © Département d'études françaises, Université de Toronto, 2014 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 24 oct. 2022 07:02 Arborescences Revue d'études françaises L’ Africain de Le Clézio Une quête des origines entre images et mots Cécile Meynard Numéro 4, novembre 2014 Le dispositif texte/image URI : https://id.erudit.org/iderudit/1027431ar DOI : https://doi.org/10.7202/1027431ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département d'études françaises, Université de Toronto ISSN 1925-5357 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Meynard, C. (2014). L’ Africain de Le Clézio : une quête des origines entre images et mots. Arborescences, (4), 44–64. https://doi.org/10.7202/1027431ar Résumé de l'article Dans L’ Africain, biographie de son père associée à un travail de mémoire sur l’Afrique où Le Clézio a vécu pendant son enfance, l’écrivain se lance dans une véritable enquête sur ses origines. Pour ce faire, il accompagne son récit d’images, une quinzaine en tout, choisies dans la collection de son père, qui s’exprimait plus facilement par la photographie que par les mots. Le Clézio part donc à la rencontre d’une mémoire qui «n’est pas seulement la [sienne]» mais aussi « la mémoire du temps qui a précédé [sa] naissance », et qui s’épanouit dans le jeu parfois problématique, et le plus souvent mystérieux, entre le texte et les images. Meynard L’Africain de Le Clézio Arborescences Revue d’études françaises ISSN: 1925-5357 44 L’Africain de Le Clézio Une quête des origines entre images et mots Cécile Meynard. Université Stendhal-Grenoble 3 Résumé Dans L’Africain, biographie de son père associée à un travail de mémoire sur l’Afrique où Le Clézio a vécu pendant son enfance, l’écrivain se lance dans une véritable enquête sur ses origines. Pour ce faire, il accompagne son récit d’images, une quinzaine en tout, choisies dans la collection de son père, qui s’exprimait plus facilement par la photographie que par les mots. Le Clézio part donc à la rencontre d’une mémoire qui «n’est pas seulement la [sienne]» mais aussi « la mémoire du temps qui a précédé [sa] naissance », et qui s’épanouit dans le jeu parfois problématique, et le plus souvent mystérieux, entre le texte et les images. L’Africain de Le Clézio apparaît comme une tentative de biographie de son père médecin de brousse au Cameroun (district de Banso) puis au Nigeria (district d’Ogoja) pendant vingt-deux ans1. Le texte prend la forme d’un hommage à cet homme secret et méconnu ; mais il peut tout aussi bien être lu comme un fragment d’autobiographie décousue, les photos prises par le père et les souvenirs personnels faisant remonter à la surface de la mémoire de l’écrivain non seulement l’enfance africaine, mais d’autres souvenirs, d’autres expériences bien postérieures. Les mots de Le Clézio disent par ailleurs explicitement le manque qu’aucune photographie ne pourrait appréhender : Ce qui est définitivement absent de mon enfance : avoir eu un père, avoir grandi auprès de lui dans la douceur du foyer familial. Je sais que cela m’a manqué, sans regret, sans illusion extraordinaire. Quand un homme regarde jour après jour changer la lumière sur le visage de la femme qu’il aime, qu’il guette chaque éclat furtif dans le regard de son enfant. Tout cela qu’aucun portrait, aucune photo ne pourra jamais saisir (p. 103). 1 Nous prenons comme édition de référence L’Africain de J.M.G. Le Clézio, Paris, Mercure de France, coll. « Traits et portraits », 2004. L’information sur la durée du séjour du père en Afrique est donnée p. 55. Meynard L’Africain de Le Clézio Arborescences Revue d’études françaises ISSN: 1925-5357 45 Ce livre, tout en posant les limites de l’acte photographique, est toutefois illustré, ou plutôt accompagné, d’une sélection des clichés africains du père. Se pose alors clairement la question cruciale du rôle et de la signification de l’insertion de ces images dans un texte qui aurait pu s’en passer en les reléguant à un simple rôle de source d’inspiration et de remémoration préliminaire à l’acte d’écrire – ce que Le Clézio a d’ailleurs fait pour la rédaction d’Onitsha, le roman jumeau de L’Africain2. Cette biographie/autobiographie trace au fil des pages, par les mots et les images, les contours d’un indicible et d’un « inimageable » (Buignet : 2008). L’insuffisance et même le mensonge de ces images sont notés dès les premières lignes : « Sur les photos, je détournais les yeux, comme si quelqu’un d’autre s’était substitué à moi », dit Le Clézio (p. 9). Il se définit ici comme parfaitement conscient de l’incapacité de l’image à donner à saisir autre chose que ce que Roland Barthes nomme le spectrum (1980 : 23). Chez Le Clézio, les images transforment effectivement les êtres, ou plutôt les remplacent par des fantômes. Il ne prétendra donc nullement atteindre l’être, l’essence de son père à travers les photographies que ce dernier a prises. En revanche, il exprime la nécessité de leur présence dans l’ouvrage, en tant qu’elles permettent une participation indirecte et posthume du père à ce dernier : Je n’imagine pas ce livre sans les photos. Je n’aurais pas été porté de la même manière, j’aurais eu le sentiment de quelque chose d’abstrait. Les photos sont aussi un peu la participation du sujet au livre qui parle de lui. C’est presque un livre écrit à deux. Un dialogue qui se noue maintenant. (Cortanze, 2004 : ibid.) Ce père, caractérisé par une forme de mutisme, s’exprime en effet préférentiellement par la photographie, si bien que Gérard de Cortanze peut dire que ses clichés « sont presque le journal intime d’un homme qui n’a jamais pu vraiment parler à ses enfants » (Cortanze 2004 : 70)3. En même temps, il est moins défini par son geste ou son statut de photographe que comme « collectionneur » de photos : « Avec son Leica à soufflet, il collectionne des clichés en noir et blanc qui représentent mieux que des mots 2 Le Clézio l’explique lui-même très clairement dans un entretien au moment de la parution de L’Africain : « J’aurais pu n’en mettre aucune [photo]. Mais c’étaient ces photos qui m’avaient permis d’accéder à la mémoire et de la matérialiser. Quand j’écrivais Onitsha, j’en avais déjà utilisé certaines pour ressusciter la mémoire et permettre, à la manière de Proust, de la substituer à l’imagination. » (Cortanze 2004 : 70) Le Clézio est familier de cette gémellité entre fiction et bio/autobiographie : on la retrouve par exemple entre le roman Le Chercheur d’or et l’enquête sur les pas de son grand-père qu’est Voyage à Rodrigues. 3 Une telle relation de la photographie avec le journal intime n’a d’ailleurs rien d’étonnant. Comme le note Danièle Méaux, « la photographie n’apparaît-elle pas comme le paradigme d’une écriture précaire, segmentée et répétitive, une écriture de la trace et du souvenir ? » (Méaux 2001 : 145) Meynard L’Africain de Le Clézio Arborescences Revue d’études françaises ISSN: 1925-5357 46 son éloignement, son enthousiasme devant la beauté de ce nouveau monde » (p. 51), écrit Le Clézio dans son récit du séjour paternel en Guyane anglaise. Les photos présentées dans le livre sont à ce titre révélatrices à la fois de la sensibilité personnelle du médecin de brousse et de sa vision de l’Afrique, et du rapport de Le Clézio à ce père et à ce continent : deux subjectivités se superposent, celle du père évidemment, mais aussi celle du fils par le choix d’une sélection d’images, et par les recadrages qu’il donne peut-être de certaines, comme nous le verrons. Au fil du livre sont donc insérées quinze photographies et une carte manuscrite du territoire évoqué dans le texte. Pour permettre au lecteur de mieux se faire une idée de ces images, de leur sujet et de leur emplacement, nous en donnons ci-dessous une rapide typologie, en nous contentant pour le moment de les décrire. 1. Carte manuscrite, en première page de l’ouvrage (non numérotée), représentant la portion de brousse autour d’Ogoja dont le père médecin était responsable. 2. Photographie en demi-page, encadrée de texte, représentant deux enfants noirs au bord d’un fleuve (p. 11). 3. Cliché représentant des gravures rupestres qui occupent les deux- tiers supérieurs de la page : on observe des signes correspondant peut-être à des graphismes ou à une écriture primitive, et des formes ovales ressemblant curieusement à des dessins d’empreintes de souliers gravées dans la pierre (p. 14). 4. Photographie représentant trois hommes, peut-être des sorciers en tenue de cérémonie, coiffés de couvre-chefs en plumes ou palmes, en train de danser (p. 18). D’après un récit figurant bien plus loin (p. 64), il pourrait en fait s’agir des guerriers du roi de Bamenda. 5. Photographie d’un paysage, constitué de deux palmiers se détachant sur un fond de montagnes ou de uploads/Litterature/ l-x27-africain-de-le-clezio-une-quete-des-origines-entre-images-et-mots.pdf

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