Écrire son désir ARTICLE PARU DANS LE NUMÉRO HORS-SÉRIE NO1 DE LA REVUE "SYNOPS
Écrire son désir ARTICLE PARU DANS LE NUMÉRO HORS-SÉRIE NO1 DE LA REVUE "SYNOPSIS" QUI S’INTITULE :" SCÉNARIO, MODE D’EMPLOI" jeudi 28 février 2002, par Fanny Guiard Présenter un projet de documentaire par une courte note d’intention est chose commune. L’auteur y expose son projet, décrit les personnes qu’il souhaite filmer ainsi que les lieux où elles se trouvent. Mais que signifie "écrire un film documentaire ?" Comment raconter par avance un réel qui n’a pas encore eu lieu ? Que dire aujourd’hui d’un film qui dépendra du présent du tournage ? Depuis quelques années la traditionnelle note d’intention des documentairestend à s’étoffer. Elle présente en moyenne une dizaine de pages. Il en existe de plus de trente pages, dont certaines ressemblent étonnamment à un scénario de fiction. Qui sont ces nouveaux auteurs adeptes du passage à l’écrit ? A quel moment prennent-ils le stylo et quelle forme donnent-ils à leurs textes ? Cette étape de l’écrit est-elle un choix ou une obligation ? Afin d’essayer de comprendre ce mariage paradoxal de l’écriture préalable et du présent, nous sommes allés à la rencontre de deux ci- néastes dont la démarche est voisine, malgré des méthodes d’écriture différentes : Nico- las Philibert ("La Ville Louvre", "Le pays des sourds", "La moindre des choses" ... ) qui monte actuelle- ment son nouveau film "Être et avoir" pour lequel il a écrit une note d’intention conséquente, et Claudine Bories "Juliette du côté des hommes", "L’enfant du parking", "Un samedi sur deux "... ), réalisatrice de "Monsieur contre Madame", dont le scénario vient d’être publié chez l’Harmattan. Souvenirs de repérages Pour Nicolas Philibert et Claudine Bories, la première étape nécessaire avant l’écriture est celle des repérages, sans caméra ni techniciens. "Être et avoir" de Nicolas Philibert raconte l’aventure d’une classe unique regroupant, pour cause d’effectifs réduits, des enfants de la maternelle au CM2. Philibert a, pour commencer, visité différentes écoles du Massif central durant le dernier mois de l’année scolaire 2000. Ce n’est qu’après ce premier contact avec son sujet qu’il s’est mis à écrire. "Monsieur contre Madame" de Claudine Bories décrit la vie d’un centre, Aadef Médiation, où s’exerce le droit de visite à leurs enfants de parents séparés, grâce à l’intermédiaire d’un médiateur. Le film traite de la difficulté et de la nécessité de communiquer lorsque l’enjeu d’une séparation porte sur les enfants. Claudine Bories s’est rendue une fois par semaine pendant six mois à Aa- def Médiation. Elle assistait aux entretiens, aux rencontres parents/enfants et prenait des notes ; c’est à partir de ces notes qu’elle a rédigé le scénario de son film "Monsieur contre Madame". Au moment de prendre la plume, Nicolas Philibert et Claudine Bories se basent donc sur des scènes déjà vécues : il ne s’agit pas pour eux de décrire des personnages et des situations imaginaires, comme procéderait un scénariste de fiction, mais de retranscrire sur le papier la réalité (réaménagée, comme nous le verrons plus loin) dont ils ont été témoins. Mais il n’est pas question, au moment du tournage de rejouer ces situations. " Dans une configuration proche ou identique, affirme Claudine Bories, on sait que le réel a tendance à se répéter." Tout au long de son texte, elle insiste d’ailleurs sur cette notion de répétition en y insérant des commentaires en italiques qui rappellent la permanence des scènes qu’elle décrit. La réalisatrice a, par exemple, constaté qu’à Aadef Médiation le thème des vacances générait souvent des conflits au sein des couples séparés. Elle savait qu’au cours du tournage - ni plus ni moins que d’habitude - plusieurs discussions tourneraient autour de ce thème. Elle a donc consacré dans sonscénario une scène à la question délicate des congés. De son côté, Nicolas Philibert a décrit non pas la classe dans laquelle il a finalement tourné (il l’a découverte en novembre, plusieurs mois après avoir écrit son texte) mais une classe qui lui plaisait à bien des égards sans lui convenir tout à fait : "L’esprit qui ré- gnait dans cette petite communauté correspondait à ce quej’avais envie de montrer, mais je savais déjà que les enfants seraient trop nombreux au moment du tournage, que cette classe n’était pas LA classe que je filmerais. Qu’importe ! je me suis appuyé sur cette classe en particulier, j’ai glané des éléments dans d’autres que j’avais visitées et j’ai décrit la classe idéale, du moins pour le film que je voulais faire, celle dans laquelle j’avais envie de tourner." De fait, Nicolas Philibert et Claudine Bories n’écrivent pas le film qui sera réalisé mais leur désir de film. Le phénomène de la répétition du réel leur permet d’affirmer que ce désir peut, en partie tout au moins, se concrétiser. Évidemment, l’inconnu persiste. Et heureusement. " C’est ce qui fait le film. Elle est là, la force du documentaire, dans l’évènement et la répétition ", conclut Claudine Bories. Deux cinéastes, deux formes d’écriture Aucun des deux textes n’est la description brute de la réalité. Nicolas Philibert et Claudine Bories associent librement des éléments issus de cette réalité et ne cherchent pas à conserver la chronologie des séquences qu’ils racontent. Formellement, chacun présente ce "réaménagement" du réel à sa façon. Le texte qu’a écrit Nicolas Philibert à la suite des repérages a donné forme à un dossier de douze pages qui commence ainsi : "je suis arrivé à Nurasson un matin, un peu fourbu, après huit heures de route. On était dans les derniers jours de mai. je me suis garé sur la petite place du village, j’ai trempé ma main dans l’eau de la fontaine, me suis aspergé le visage et j’ai grimpé la calade qui menait à l’école. Il était à peine plus de neuf heures. La classe avait déjà commencé. Les enfants étaient entassés les uns contre les autres. Ils écoutaient une histoire que Colette, une grande de CM1, lisait. Marie-Lou, l’institutrice, m’a fait un petit signe. J’ai posé mon sac et suis allé m’asseoir parmi eux. Nous avons écouté la fin de l’histoire, puis je me suis présenté. J’ai expliqué que je voulais faire un documentaire sur une classe comme la leur et que j’en visitais plein. Undocumentaire,tous les grands savaient ce que c’était : ils en avaient vu à la télé, sur la vie des animaux...". En situant ainsi le cadre initial des repérages, dont il ne sera pourtant plus question dans le film abouti, le réalisateur ne cherche pas à écrire l’histoire du film, avec son début, son milieu et sa fin. C’est ce qu’il y a à l’intérieur de ce cadre qu’il faut retenir : le récit des scènes, des émotions, des relations qu’il a observées pendant les repérages et qu’il pense pouvoir retrouver au moment du tournage. La manière de d’écrire renvoie à ce que sera le film. Le choix des mots, le rythme des phrases donnent déjà le ton. " Il s’agit de plonger le lecteur dans un climat et dans une émotion proches du film ", explique Nicolas Philibert. Ainsi, le lecteur peut-il déjà deviner le regard que posera le réalisateur sur les enfants lors du tournage, à travers les mots qu’il emploie dans son récit. Claudine Bories, pour présenter son projet de film, a choisi la forme du scénario, qu’elle qualifie plus volontiers de théâtral. Il s’agit d’une continuité dialoguée de trente pages, découpée en actes et en scènes, avec prologue et épilogue. À ces dialogues, elle a ajouté un synopsis d’une page, un avant-propos et des notes d’intention pour la réalisation. Elle souhaite, avec cette forme théâtrale, donner avant tout l’esprit du documentaire à venir : c’est sous l’angle de la représentation que le film va être abordé, avec le médiateur pour premier spectateur. Des dialogues écrits avec tant de précision à l’intérieur d’un projet de documentaire, c’est troublant. Pourtant les situer ainsi au centre du texte revenait à placer la parole au premier plan du film. Ce n’est pas parce que le texte de Claudine Bories est plus précis que celui de Nicolas Philibert dans l’enchaînement des séquences et dans leurs dialogues (une fiction pourrait être tirée d’une telle continuité dialoguée) qu’elle le suivra davantage au moment du tournage. Une fois prêts à tourner, l’un et l’autre se détachent de leur texte. Ils voudraient presque l’oublier. Nicolas Philibert l’affirme avec force : "je ne veux pas être prisonnier de mon désir antérieur. J’aime cette fraîcheur de ton où l’on sent que le tournage a pulvérisé quelquechose qui lui précédait. Tous deux confient pourtant que le film terminé ressemble étonnamment à ce qu’ils ont écrit dans ces quelques pages. Écrire pour qui ? Pourquoi ? Un réalisateur peut partir caméra au poing sans avoir écrit une ligne. Mais, pour cela, il lui faut avoir un budget personnel. Pour convaincre les producteurs et financeurs, on ne peut échapper à l’écriture d’un texte d’intention. Nicolas Philibert et Claudine Bories ont rédigé ces deux textes afin de présenter leur projet à l’Avance sur recettes, au Centre na- tional de la cinématographie (CNC). Cette commission, qui permet une diffusion en salles, privilégie uploads/Litterature/ e-crire-son-documentaire.pdf
Documents similaires
-
15
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 10, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0380MB