Cette Revue est publiée sous le haut patronage de M. le Professeur S. FREUD. To
Cette Revue est publiée sous le haut patronage de M. le Professeur S. FREUD. Tome VI - N.° 3-4 1933 REVUE FRANÇAISE de Psychanalyse Organe officiel de la Société Psychanalytique de Paris Section française de l'Association Psvchanalytique Internationale Sommaire MÉMOIRES ORIGINAUX. — PARTIE MÉDICALE S. FREUD. — On bal un enfant. Ch. ODIER. — Une névrose sans oedipe ? René LA FORGUE. — Les résistances de la fin du traitement analytique. E. SOKOLINSKA. — A propos de l'article de M. R. Laforgue. MÉMOIRES ORIGINAUX. — PARTIE APPLIQUÉE Rapports présentés au VIIIe Congrès des Psychanalystes de Langue française I. — R. DE SAUSSURE. — Psychologiegénétique et Psy- chanalyse. II. J. PIAGET. — La Psychanalyse et le développement intellectuel. Edmond BERGLER. — Motifs inconscients de l'attitude de Napoléon à l'égard de Tailevrand. Pierre KLOSSOWSKI.— Eléments d'une étude psychanalytique sur le marquis de Sade. W. BISCHLEH. — Le rôle des Zones érogènes dans la Genèse du talent artistique. Bibliographie. — Comptes tendus. DENOEL et STEELE, Editeurs à Paris (7e) 19, Rue Amélie La Revue Française de Psychanalyse paraît par tomes de chacun 4 fascicules Éléments d'une étude psychanalytique sur le Marquis de Sade Par Pierre KLOSSOWSKI Note préliminaire En publiant ces deux chapitres d'une étude qui se propose d'es- quisser dans ses grandes lignes le système universel sadique, le Comité de Direction de la Revue a simplement approuvé l'intention de l'auteur qui était de suggérer l'investigation psychanalytique, négligée jusqu'ici, de la personnalité du Marquis de Sade. En effet, si la notion de sadisme est devenue un concept psycholo- gique fondamental, il semble qu'on ait entièrement oublié la grande figure qui — à tort ou à raison — est à l'origine de cette notion, ou plutôt qu'on l'ait confondue avec les formes de perversion que ce terme prétend définir. Au moment où l'oeuvre de Sade commence à être mieux lue et mieux comprise (1) que dans le siècle précédent, ne serait-il pas temps d'examiner à la lumière des principes de la psychanalyse quelle a été la signification du sadisme de Sade, afin de dégager sa personnalité si complexe de la notion courante du sadis- me ? Peut-être en répondantà cette question qui paraîtra paradoxale au premier abord, rendra-t-on justice à l'un des représentants de l'esprit humain que l'on ne tardera pas à ranger parmi les plus considérables des temps modernes ? N. de l'A. (1) Nous attendons avec impatience la Vie du Marquis de Sade, par M. Maurice Heine, à paraître aux Editions de la Nouvelle Revue Française. ÉLÉMENTS D'UNE ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE 459 I LE PÈRE ET LA MÈRE DANS L'OEUVRE DE SADE S'il est bien reconnu aujourd'hui comme un fait dûment constaté et enregistré comme un lieu commun par la psychologie actuelle que pour le plus grand nombre des individus, la haine du père se trouve être le conflit initial que développeront dans la suite les circonstances de leur évolution, il serait intéressant de faire la part de quelques exceptions et de constater que chez d'autres indi- vidus se forme un conflit dans le sens inverse. Tandis que dans les drames d'un Kleist la lutte contre le père constitue un leit motiv fondamental, chez Sade les principaux événements,de sa vie doivent avoir singulièrement favorisé le complexe beaucoup plus rare et généralement moins apparent, de la hainede la mère, pour que nous puissions aisément en reconnaître les traces à tout instant dans son oeuvre, au point de pouvoir la considérer comme le thème de l'idéologie sadique. Sans doute un psychanalyste ferait-il remonter la formation psychique de Sade à une déception profonde que la Mère aurait fait éprouver à l'enfant Sade. Ce serait ce moment trauma- tique, motivé par des circonstances réelles ou dû à une interprétation de l'enfant, qui aurait depuis, renforcé chez le fils un sentiment de culpabilité envers le Père pour avoir trop négligé ce dernier. Chez Sade nous nous trouverions donc en présence d'un complexe oedipien négatif non pas déterminé, comme c'est le cas d'un grand nombre de névrosés par une inhibition de l'inceste procédant de l'angoisse de la castration — mais dû au regret d'avoir voulu sacrifier le père à cette fausse idole, la mère. Tandis que certains névrosés homosexuels,ayant abandonné la conquête de la mère par crainte du père, se contentent d'adopter un comportement féminin à l'égard de ce dernier sans oser se substituer à lui — ou bien encore, ayant retourné contre eux-mêmes leur agressivité originellement dirigée contre le Père, se trouvent soumis aux rigueurs d'un Surmoi d'une inexorable sévérité — Sade, tout au contraire s'allie à la puissance paternelle et, fort de son Surmoi asocial, retourne contre la mère toute son agressivité disponible. Mais ces reproches que le jeune Sade fait, dans le,fond de son 460 REVUE FRANÇAISE DE PSYCHANALYSE âme, à sa nière quels sont-ils ? Précisément ceux dont il accablera plus tard son épouse : de n'être qu'une gueuse impudente. Il lui en veut donc tout d'abord de son égoïsme de femelle, lui qui plus tard prêchera une philosophie anarchiste. Mais au cours de l'évolution psychique tous les motifs de la haine de la mère vont devenir les éléments mêmes que Sade exaltera comme les attributs de la puis- sance paternelle. Aux yeux du fils l'hypocrisie de la mère doit forcé- ment légitimer tous les crimes du père délaissé, et de ce moment le délit (le Mal) sera pour le fils repentant l'unique moyen de payer ;sa dette envers le père meurtrier, incestueux et sodomite. Le sadisme de Sade serait donc l'expression suprême d'un facteur de haine primordial. Ou plutôt : la haine a choisi la libido agressive pour mieux pouvoir exercer sa mission : celle de châtier la puissance maternelle sous toutes ses formes et d'en bouleverser les institutions. Lorsqu'au sortir, d'une adolescence bien débridée et déjà libertine, Sade voit se dresser, sous les traits de la Présidente de Montreuil (1), la maternité jalouse de ses préprogatives, disposant tyranniquement de sa progéniture, ce sera bien le contact avec sa belle-mère, cette seconde mère, qui fera passer son agressivité sur le plan de la con- science, et qui l'orientera dans le sens de la haine des valeurs matiarcales : piété, bienfaisance, reconnaissance, sacrifice, fidélité, dont il s'évertuera à dévoiler et l'intérêt et la crainte qui les inspi- rent. Ses rapports avec son épouse ne feront que renforcer cette haine. Sachant qu'elle n'est point aimée, Renée cherchera à s'imposer à lui par un dévouement sans borne. Sade le ressentira comme une chaîne : il verra l'unique but de ce dévouement : Renée ne pouvant éveiller en lui l'amour, elle le forcera au moins à la recon- naissance qui tiendra lieu d'amour. Aussi s'acharnera-t-il dans tous ses écrits à critiquer le sentiment de reconnaissance. Sade prisonnier à Miolans, c'est Renée qui à elle seule, le libère ; quand sa détention se prolonge à Vincennes, à la Bastille, seules les démar- ches de Renée peuvent lui donner quelque espoir : cette dépendance vis-à-vis de sa femme qu'il n'aima point lui est intolérable, et dans ses ouvrages il se vengera de cette infériorité ; mais peu à peu ce sentiment de dépendance se généralise ; il va tellement au fond de ses réflexions que cette dépendance finira par lui paraître comme (1) Elle le persécutera jusqu'à ce qu'elle l'ait réduit à l'impuissance (N.. d. A.). ÉLÉMENTS D'UNE ÉTUDE PSYCHANALYTIQUE 461. une imperfection originelle du genre humain : " ... les femmes... ne sont qu'un second moyen de la nature qui la prive d'agir par ses premiers moyens et par conséquent l'outrage en quelque manière, et ... elle serait bien servie, si en exterminant toutes les femmes, ou en ne voulant jamais jouir d'elles, on obligeait la nature pour reperpétuer l'espèce d'avoir recours à ses premiers moyens ». Cette idée n'est-elle pas visiblementinspirée par la révolte contre la recon- naissance originelle de ce que l'homme doit à la femme parce qu'il est sorti de son sein ? Alors que chez d'autres grandes figures de la période pré-roman- tique, le désir nostalgique de rentrer dans la sérénité du sein maternel, transparaît dans leurs visions d'un âge d'or, d'un autre monde, un Sade nous semble perpétuellement en proie à la hantise d'étouffer dans le sein de la mère : ses actes, ses idées, ne sont que la manifestation consciente de sa lutte désespérée pour dégager son être de son enveloppe originelle. Raison de plus pour nous de croire que sa longue incarcération aura agi sur sa personne comme l'extériorisation de sa hantise d'emprisonnement originel, et que, comme telle, la période de détention aura contribué à lui faire prendre l'attitude qu'il adopta à ce moment vis-à-vis de la société. Que ce soit dans Justine, dans Juliette, dans la Philosophie dans le Boudoir, la mère y figure toujours comme une idole tyrannique, renversée bientôt de l'autel où l'avait placée la vénération sociale et religieuse et, dans le sens sadique du mot, réduite à sa condition d'objet de plaisir de l'homme. Ce conflit de l'homme avec sa mère reparaît fréquemment dans ses livres ; dans les Infortunes de la Vertu, Bressac conçoit une haine purement uploads/Litterature/ 1933-klossowski-elements-etude-psychanalytique-marquis-de-sade.pdf
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- Publié le Oct 25, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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