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A vec l’écocritique, ces dernières années plusieurs théories1 font état de ce que l’homme est en synergie avec la nature. À en croire Rachel Bouvet, « plus le site est grandiose, plus l’acte de paysage est à même de susciter des émotions intenses, une fascination dont il est difficile de se déprendre »2. En effet, l’environnement intègre précisément la question de l’écologie qui apparaît comme la science qui étudie les êtres vivants dans leur milieu et les interactions entre eux. À l’observation, on peut alors se demander, justement, si la littérature gionienne et leclézienne ne s’offre pas comme un nouveau sentier verdoyant pour l’écologie. En fait, l’écocritique désigne par ricochet l’expression d’une étude axée sur le domaine environnemental. On pourra dès lors remar‐ quer que la révolution industrielle a gravement entamé sa JEAN FLORENT ROMARIC GNAYORO Université Peleforo Gon Coulibaly Écocritique de la nature dans les œuvres de Giono et de Le Clézio 1 L’œuvre collective, The Ecocriticism Reader, publiée en 1996, exprime l’entrée en matière d’une série de réflexions explicites sur le rapport entre littérature et environnement. Voici comment Cheryll Glotfelty définit l’écocritique dans l’introduction : “What then is ecocriticism? Simply put, ecocriticism is the study of the relationship between literature and the physical environment”. (« Qu’est‐ce que l’écocritique ? Tout simplement, l’écocritique est l’étude du rapport entre la littérature et l’environnement physique », trad. J. F. R. G.). Ch. Glotfelty, H. Fromm (dir.), The Ecocriticism Reader, Landmarks and literary ecology, Athens– London, University of Georgia Press, 1996, p. XVIII. 2 R. Bouvet, Vers une approche géopoétique, Lectures de Kenneth White, Victor Segalen, J.‐M. G. Le Clézio, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2015, p. 42‐43. 72 quiétude. Cette dépréciation de la nature a donc amené Giono et Le Clézio à s’interroger sur la destinée même de l’humanité. C’est également, à juste titre, que certaines philosophies orientales3 ou africaines4 ont situé l’homme dans le sillage de la nature. Elles ont établi une nette connexion entre ces entités. L’homme est avec elles consi‐ déré comme le prolongement de la nature. Aussi, pour Giono et Le Clézio, engager la destruction de l’environnement revient à piéger l’avenir de l’espèce humaine et à hypo‐ théquer sa survie. Si, par ailleurs, les philosophies anciennes inhérentes aux civilisations passées sont anthropocen‐ triques, elles sont tout également écocentriques. Mais dans le virage dévastateur, amorcé depuis le cartésianisme, où l’homme se doit de se rendre maître et possesseur de la nature, la question est toujours d’actualité. Ainsi, l’homme a conquis la nature en oubliant que les mythes et la littérature apparaissent comme un contre‐discours à la dégradation de l’environnement. De fait, les imaginaires littéraire et fictionnel gioniens et lecléziens peuvent être le lieu de l’exploration d’un environnement revivifié. Quelles sont alors les implications singulières qui se dégagent de l’attrait des auteurs pour la nature ? L’enjeu ici est donc de s’inscrire dans une perspective écocritique à partir des œuvres gioniennes et lecléziennes. L’attrait de la nature vivante Conformément à l’attrait manifesté pour la nature, on assiste à une centralité de l’écologie dans l’art et la 3 La Bhagavad Gîtâ, texte philosophique antique et sacré en Inde, prô‐ nant entre autres, la compassion envers la totalité des créatures, en est une parfaite illustration. 4 En témoigne le célèbre poème récité par les écoliers africains et intitulé « Le Souffle des ancêtres » de Birago Diop, de son recueil Leurres et lueurs, paru en 1960, qui tenant lieu d’une continuité de la philosophie traditionnelle africaine, s’inscrit dans la lignée d’une convenance en rapport avec l’intimité la plus réussie, entre le souffle de l’homme et la nature environnementale. JEAN FLORENT ROMARIC GNAYORO 73 littérature. Justement, l’écocritique se veut une méthode d’analyse littéraire qui met l’environnement et la nature en pole position des considérations, où tout l’intérêt conduit. Effectivement, le rapport de l’homme à l’espace naturel – en particulier dans les œuvres gioniennes et lecléziennes – met en lumière ce rapprochement avec l’écologie. Abonder dans ce sens, c’est également opter pour la réalité géographique, du moins pour ce qui a trait de l’aménagement du territoire, à propos de l’évocation de l’espace, par exemple, chez maints personnages gioniens et lecléziens. Sans surprise, le point de départ pour pouvoir apprécier la nature vivante se révèle la route empruntée, telle que l’évoque Stendhal qui y ajoute un effet de miroir5. Ce début accolé à la spatialité d’une route à prendre dans les œuvres littéraires de Giono et de Le Clézio doit encore s’appréhender comme l’entend Derrida pour qui « il faudra étudier ensemble, génétiquement et structurellement, l’histoire de la route et l’histoire de l’écriture »6. La narration se profile donc grâce à la dyna‐ mique des sujets qui se déplacent dans un espace naturel déterminé. L’objectif est, dès lors, de déceler, sans doute, les ressemblances et les divergences avec le référent spatial qu’on pourrait encore rencontrer dans la vie réelle. Une telle approche consiste, bien entendu, à confronter le réel à sa description par le scripteur dans l’œuvre littéraire de Giono ou de Le Clézio. On peut également avoir éventuellement recours aux considérations scientifiques qu’offre la géographie. De plus, avec l’apport écologique se dégage une perception des espaces gioniens et leclé‐ ziens considérés comme la résultante d’une vue de l’esprit des auteurs qui leur attribuent des valeurs. 5 Pour Stendhal, « Un roman : c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin ». Il s’agit d’une reprise qu’il attribue à Saint‐Réal, lorsqu’il le cite dans l’épigraphe du chapitre XIII de Le Rouge et le Noir, Chronique du XIXème siècle, Paris, Librairie Garnier‐Frère, 1928, p. 75. 6 J. Derrida, L’Écriture et la Différence, Paris, Seuil, 1967, p. 317. Écocritique de la nature dans les œuvres de Giono et de Le Clézio 74 Notamment, la nature vivante se traduit, sous les plumes gionienne et leclézienne, par l’activité de celle‐ci qui, dans son essence, naît, meurt et se renouvelle. C’est comme on peut déjà le voir avec Tournier qui, par le truchement de Lieux dits, met l’accent sur l’activité des plantes et notamment de la nature nourricière qui procure l’aliment comestible nécessaire à la survie : « Pour le reste, nous avions, en ces années de famine, un jardin potager et quelques arbres fruitiers »7. Là, évidemment, la nature répond aux besoins alimentaires par la fécondité de la terre qui multiplie les fruits du travail à travers cette preuve manifeste de l’exposition des produits du jardin potager. Celui‐ci amène donc à considérer la conservation indispensable d’une culture agraire apte à satisfaire les attentes de l’homme. On observe encore avec Lucrèce que la nature vivante interpelle une conduite du climat en faveur de sa péren‐ nité. Avec lui, nous « ajoutons que, sans les pluies annuelles, la terre ne pourrait produire ses joyeuses moissons »8. De plus, un regard sur la faune montre que l’impact climatique joue sur elle et que celle‐ci tire sa pitance plus ou moins indirectement des végétaux qui, eux, dépendent immédiatement des pluies. De toute évidence « les animaux eux‐mêmes, privés de nourriture, ne pourraient propager leur espèce ni maintenir leur existence »9. C’est donc toute une chaîne qui consolide l’équilibre dans la nature vivante où le climat tient une place primordiale sinon causale dans l’activité sous‐jacente du continuum vital. Les plantes à leur tour s’inscrivent dans la nature vivante où avec « les fleurs, au contraire, [elles] sont celles qui jouent au mieux avec la lumière pour offrir chaque 7 M. Tournier, Lieux dits, Barcelone, Mercure de France, 2000, p. 61. 8 T. Lucretius, dit Lucrèce, De la nature, H. Clouard (trad.), Paris, Garnier‐ Frère, 1964, p. 24. 9 Ibidem. JEAN FLORENT ROMARIC GNAYORO 75 jour leurs feuilles vertes, leurs pétales écartées, leurs boutons nouveaux »10. La végétation dès lors, est un objet d’admiration dans L’Inconnu sur la Terre de Le Clézio. À ce sujet, il est également fait mention d’un arbre de Santa Catalina notamment présenté par Le Livre des Fuites. Il est même livré à l’intention du lecteur que l’arbre a besoin d’un apport extérieur pour sa croissance qui ne se fait bien entendu pas ex nihilo dans le temps : « 1919, l’arbre grandit rapidement. Abondance de pluie et de soleil au printemps et en été. Les cercles sont larges, réguliers »11. Et Giono de conclure à travers le dire de Janet que « c’est fort, un arbre ; ça a mis des cent ans à repousser le poids du ciel avec une branche toute tordue »12. S’accordant ainsi avec Colline, Le Livre des Fuites évoque encore un arbre plus que centenaire : « Il y avait un arbre, un arbre très grand. Vieux d’au moins neuf cents ans. Arbre, arbre. Colonne vivante aux milliers de feuilles vivantes. Arbre aux branches immenses étendues vers l’Ouest, le Nord, le Sud et l’Est »13. Comme une réponse à Colline et au Livre des Fuites, Désert, à travers l’aventure de Lalla, installe cette nature vivante et odorante que figure la flore. En même temps, il n’y a que le vieux figuier, debout contre la dune, avec ses larges branches rejetées en arrière uploads/Litterature/ ecopolitica.pdf

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