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Extrait de la publication COLLECTION FOLIO HISTOIRE Extrait de la publication Emmanuel Berl La fin de la IIIe République précédé de «Berl, l’étrange témoin» par Bernard de Fallois Dossier réuni par Bénédicte Vergez-Chaignon Gallimard Cette édition a précédemment paru dans la collection «Témoins» dirigée par Pierre Nora. © Éditions Gallimard, 1968 pour La fin de la IIIe République. © Éditions Gallimard, 2007, pour la présente édition. Historien, journaliste, romancier et essayiste, Emma- nuel Berl (1892-1976) fut l’ami de Proust, d’Aragon et de Drieu la Rochelle, et le fondateur de l’hebdomadaire Marianne. L’Académie française lui décerna en 1967 le Grand Prix de littérature. Extrait de la publication NOTE DE L’ÉDITEUR La fin de la IIIe République avait paru en mai 1968 dans la collection «Trente journées qui ont fait la France». Ce livre reparaît aujourd’hui dans la collection «Témoins», qui n’existait pas à l’époque et semble son cadre le meilleur. Il est inutile de préciser que le texte d’Emma- nuel Berl demeure inchangé. Toutefois, le passage du temps et celui d’une collection à une autre, plus personnelle, a conduit à lui donner de nouvelles annexes, établies, comme les notes, par Bénédicte Vergez-Chaignon. Je remercie Bernard de Fallois, l’éditeur et pré- sentateur des Essais d’Emmanuel Berl, d’y avoir ajouté une préface. PIERRE NORA (2007) Extrait de la publication Extrait de la publication BERL, L’ÉTRANGE TÉMOIN par Bernard de Fallois «L’Histoire de France est pour les Français un énorme magasin de rancunes, un arsenal d’argu- ments qu’ils se jettent à la tête les uns des autres.» S’il est vrai que nous avons tendance, comme le dit Emmanuel Berl, à nous diviser toujours en deux camps hostiles, on peut être assuré que ce livre n’encouragera pas une aussi fâcheuse habi- tude. Il risquerait plutôt de déplaire aux deux camps, aux partisans du maréchal Pétain comme à ses adversaires — ce qui serait une façon, pour une fois, de les mettre d’accord. On peut difficilement mettre en doute l’impar- tialité de l’auteur. Sur les bancs de l’Assemblée, on trouve quelques rares parlementaires qui, n’ayant pas envie d’ad- hérer à un parti politique, préfèrent siéger sous l’étiquette «non-inscrits». Berl est le «non-inscrit» des historiens français. Publié pour la première fois en 1968 dans une collection intitulée «Trente journées qui ont fait la France», son livre est réédité aujourd’hui chez le Extrait de la publication 12 La fin de la IIIe République même éditeur, mais dans une autre collection. Est-ce à cause du sujet? Est-ce à cause de l’au- teur? Ou y a-t-il une autre raison? Il est vrai que la journée choisie pouvait diffici- lement être considérée comme une de celles qui ont «fait la France». Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale fut convoquée au Grand Casino de Vichy. Le gouver- nement, après avoir quitté Bordeaux pour Cler- mont-Ferrand, venait de s’installer dans cette petite ville d’eaux. On avait entendu la veille le discours d’Édouard Herriot, président de la Chambre, et celui de Jules Jeanneney, président du Sénat. On écouta celui de Pierre-Étienne Flandin, auquel répondit Pierre Laval. On étudia le projet de loi présenté par le gouvernement et le contre-projet présenté par les Anciens Combattants. Puis on passa au vote. À une écrasante majorité — 569 sur 649 votants —, les députés et les sénateurs approu- vèrent la motion de Pierre Laval donnant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Le moment était historique. Le Parlement venait d’abolir le Parlement. La IIIe République avait voté la mort de la République. Paradoxe ultime: la Chambre qui venait de se saborder ainsi était largement celle-là même qui avait été élue en avril 1936, la Chambre du Front populaire. En demandant à Emmanuel Berl d’écrire le récit de cette dernière séance, l’éditeur faisait en quelque sorte coup double. Il poursuivait une belle entreprise éditoriale, dans laquelle il se proposait de nous faire revivre, Extrait de la publication Berl, l’étrange témoin 13 du baptême de Clovis à la Libération de Paris, les grandes heures de l’Histoire de France. L’idée était séduisante, et bien faite pour plaire à un pays qui a le goût des commémorations, cultive les anniversaires, les célèbre régulièrement, en crée de nouveaux chaque fois qu’il en a l’occasion. C’est un trait du narcissisme français. Mark Twain disait plaisamment qu’on pourrait donner une idée assez juste d’un discours poli- tique dans notre pays en commençant ainsi: «Si l’homme du 2 décembre n’avait pas existé, le 27 février fatal n’aurait pas eu lieu, le 30 janvier n’aurait pas fait couler tant de larmes amères, le 18 septembre aurait été épargné à la France. Mais nous devons nous consoler de ce triste spectacle en songeant que, si le 2 décembre n’avait pas eu lieu, il n’y aurait pas eu non plus de 13 mars.» Pourtant, quelle que soit notre passion des «dates historiques», celle du 10 juillet 1940 ne s’est pas inscrite durablement dans la mémoire nationale. Peut-être parce qu’elle n’était pas glorieuse, n’ayant même pas pour elle la sombre grandeur de certaines de nos défaites? Peut-être aussi parce que ceux qui y partici- pèrent ne tenaient pas tellement à ce qu’on en gardât le souvenir? Peut-être enfin parce que, pour la plupart des gens, le sort de la IIIe République n’avait plus aucune importance. Depuis une quinzaine de jours, très exactement depuis que l’armistice avait été signé, la question du régime ne se posait plus. En d’autres circonstances, cette crise aurait occupé les esprits. Par comparaison avec ce qui Extrait de la publication 14 La fin de la IIIe République venait de se passer, elle était insignifiante. Même pour les promeneurs qui devisaient dans les jardins du Grand Casino, ce n’est pas autour de cela que tournaient les conversations. On s’intéressait au sort des prisonniers — deux millions —, au retour des réfugiés — entre six et sept millions. On com- mentait le drame de Mers el-Kébir. On se deman- dait s’il était possible et prudent de rentrer à Paris. Mais savoir si telle motion l’emporterait sur telle autre, et comment serait confirmé le pouvoir du Maréchal, n’intéressait personne. La IIIe République est morte sans gloire et dans l’indifférence générale. Ajoutons ce que tout le monde sait: que les Français n’ont jamais beaucoup aimé leur Répu- blique. Pour une grande partie d’entre eux, elle n’avait de République que le nom. C’était une Répu- blique «bourgeoise», qui ne servait que les inté- rêts de quelques-uns. Pour beaucoup d’autres, elle était faite de ces «politichiens», qui depuis long- temps leur inspiraient — comme Charles Maurras et Charles de Gaulle ne se sont pas gênés pour le dire (et Clemenceau aussi, à la fin de sa vie) — une défiance constante et un total mépris. Ce sentiment très vif l’était encore plus au mois de juillet 40, où l’on ne manquait pas d’attribuer au régime le désastre qui venait de se produire. Mais tout cela, l’éditeur ne l’ignorait pas. Ce qui ferait l’intérêt du livre, pour lui, c’était moins cette journée du 10 juillet que l’habituelle question des historiens: «Comment en sommes-nous arrivés là?», et la personnalité de celui qui allait répondre à cette question, c’est-à-dire Emmanuel Berl. Berl, l’étrange témoin 15 * Le livre parut en 1968 (en mai 68!) et ne fit pas grand bruit. Les esprits étaient ailleurs. L’auteur, un peu oublié. De Berl, en 1968, que sait-on? Presque rien. Une rumeur. Un soupçon. Le très brillant et très répandu journaliste de l’entre-deux-guerres, qui connaissait tout le monde et que tout le monde connaissait, dans la littéra- ture aussi bien que dans la politique, le mari de Mireille, l’ami de Sacha Guitry, le petit-cousin de Proust et de Bergson, a quitté la scène depuis long- temps. Il a maintenant soixante-quinze ans. Il habite toujours dans son Palais-Royal inchangé. Mireille et son piano sont dans la pièce voisine, mais Cocteau n’est plus là, qui vivait au-dessous, ni Colette, qui vivait en face. Cocteau, Colette: vers et prose, deux phares ultimes, les derniers à scin- tiller dans l’ombre qui commence à s’étendre sur cet autre jardin déserté, les lettres françaises. Un fossé sépare Berl des jeunes gens nés au len- demain de la guerre et à qui les titres des grands journaux de l’avant-guerre, Gringoire, Candide, Marianne, Vendredi, ne disent plus rien. Le désin- térêt du passé est un des signes de la nouvelle génération. La sienne a été mise hors jeu. Il le sait et ne se plaint pas. On pourrait dire de lui ce qu’il a dit de Chamfort, son double fraternel des temps trou- blés, Chamfort à qui il ressemble tant, l’amertume Extrait de la publication 16 La fin de la IIIe République en moins (mais c’est beaucoup!): «Il a accepté et organisé sa solitude.» Paris, frivole, ne le connaît plus. C’est à peine si, quand on interroge à son sujet, on s’entend répon- dre: «Berl? Ne serait-ce pas ce journaliste qui, quoique juif, a écrit les discours de Pétain?» Mais pour ceux qui en savent un peu plus, le personnage est infiniment plus important. C’est d’abord un des essayistes les plus brillants et l’un des meilleurs écrivains uploads/Litterature/ emmanuel-berl-la-fin-de-la-iiie-republique.pdf

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