Cahier du † 12 Aimé Césaire Une Saison au Congo Une Saison au Congo Aimé Césair

Cahier du † 12 Aimé Césaire Une Saison au Congo Une Saison au Congo Aimé Césaire par Daniel Maximin L’histoire hissée à la hauteur des mots Le regard de Daniel Maximin sur le théâtre de Césaire Mon théâtre, c’est le drame des nègres dans le monde moderne Création d’Une Saison au Congo, entretien avec Aimé Césaire, 1967 Césaire, Vitez et la Comédie-Française La mort du héros Trois exemples dans l’œuvre dramatique de Césaire Congo, une histoire par David Van Reybrouck Lettre de Patrice Lumumba à son épouse L’heure de nous-mêmes a sonné Aimé Césaire : lettre à Maurice Thorez Césaire poète par Daniel Maximin 1939 : cahier d’un retour 1941 : le regard de André Breton 1945 : le regard de Suzanne Césaire Césaire poète : regard sur Wifredo Lam … regard sur Léopold Senghor … regard sur Léon Damas … regard sur Frantz Fanon 3 4 15 20 22 30 32 34 37 39 40 43 45 46 47 48 Théâtre National Populaire Direction Christian Schiaretti 8 place Lazare-Goujon 69627 Villeurbanne cedex Tél : 04 78 03 30 00 www.tnp-villeurbanne.com 3 2 Aimé Césaire au moment de la création d’Une Saison au Congo par Jean-Marie Serreau, 1967. © CDDS Bernand / Enguerand. Aimé Césaire Poète, dramaturge et homme politique, passeur considérable du XXe siècle, il a joué un rôle essentiel dans la prise de conscience des acteurs politiques et culturels de la décolonisation avec, notamment, ses frères- poètes Léopold Sédar Senghor et Léon Damas. Né le 26 juin 1913 à la Martinique, sa mort, le 17 avril 2008 à Fort- de-France, lui a valu en France des obsèques nationales suivies dans le monde entier. J’habite une blessure sacrée / j’habite des ancêtres imaginaires / j’habite un vouloir obscur / j’habite un long silence / j’habite une soif irrémédiable... Ainsi commence le poème Calendrier lagunaire que Aimé Césaire a souhaité voir gravé sur sa tombe, en avril 2008. En cinq vers, l’essentiel est dit : le poète se veut un homme de conviction, de création, de témoignage, et de fidélité. « Bouche des malheurs qui n’ont point de bouche », dans sa Caraïbe en plein raccommodage des « débris de synthèses » des quatre continents de son origine. Dès son premier texte de 1939, Cahier d’un retour au pays natal, et tout au long de son œuvre, s’affirme la volonté de peindre la métamorphose de cette foule inerte, brisée par l’histoire, « l’affreuse inanité de notre raison d’être », et par la géographie – « îles mauvais papier déchiré sur les eaux » – en un peuple à la fin debout et libre, debout à la barre, « debout à la boussole, debout à la carte, debout sous les étoiles ». Dans son théâtre, Et les chiens se taisaient, 1946, La Tragédie du roi Christophe, 1963, Une Saison au Congo, 1966, et Une Tempête, 1969, défilent une galerie de bâtisseurs ni dieux ni diables, manifestant lucidement la renaissance de la tragédie sur les ruines de l’histoire pour l’enracinement de la liberté : « Invincible, comme l’espérance d’un peuple… comme la racine dans l’aveugle terreau. » D. M. 5 4 L’histoire hissée à la hauteur des mots Le regard de Daniel Maximin sur le théâtre de Césaire, extrait du récit Aimé Césaire, frère-volcan, à paraître en juin 2013 au Seuil Alors qu’à l’origine, pour moi, Aimé Césaire ne s’était incarné qu’en ce poème : le Cahier, voilà qu’en 1965, à l’orée de mes années d’étudiant, il s’est incarné, non pas encore en une personne, mais en une pièce de théâtre, La Tragédie du roi Christophe, mise en scène par Jean-Marie Serreau à l’Odéon, après une tournée en Allemagne, en Belgique et en Italie, avec une troupe de comédiennes et de comédiens inoubliables qui ont marqué l’histoire du « théâtre noir », entre autres Douta Seck, Bachir Touré, Toto Bissainthe, Yvan Labejof, Jenny Alpha, Darling Légitimus et ses fils. Le poète solitaire le cédait à l’homme du théâtre, le poète inconnu s’offrait à moi en paroles à plusieurs voix. La représentation à laquelle j’ai assisté manifestait à mes yeux une ouverture nouvelle qui me faisait imaginer Césaire heureux de sa nouvelle entrée en scène : dans ce lieu de l’oralité délivrée, de la parole livrée au collectif, de l’histoire prise en charge par des corps noirs bien vivants, le passé présent sans fantômes ni « mortiférés », mémoire délivrée de sa « ceinture de cadavres », profération de vitalité en multicolores puretés au-delà du sombre noir et blanc. Sans avoir jamais encore connu Césaire « en vrai », j’imaginais avec cette représentation un homme sorti de l’isolement du poète aux prises avec ses moi, pour se relier à l’aventure collective du théâtre, celle d’un répertoire à créer pour donner la parole à tant de grands comédiens noirs en souffrance de répertoire, tant de comédiennes soumises trop souvent aux rôles d’utilités ou de servantes (même en révolte, comme chez Genet). Cette représentation jubilatoire sur scène et dans la salle emportait dans sa profération publique tout l’essentiel de ce qui le portait jusqu’ici, c’est-à-dire la poésie et la politique, ici intimement mêlées, l’histoire hissée à la hauteur des mots, le récit d’un peuple vainqueur à main nue de l’esclavage, à coups de paroles et de poings nus : la prophétie poétique confrontée au réalisme de l’histoire. Grâce au théâtre, l’engagement politique collectif se confondait avec l’engagement intime de l’homme même, perçu jusqu’ici dans sa seule poésie. Ce qu’il confirmait ainsi,, après le spectacle, à un journaliste algérien : « Mais, attention à la notion d’engagement : engagement ne signifie pas pour l’artiste être engagé dans un parti politique, avoir sa carte de membre, et son numéro. Être engagé, cela signifie, pour l’artiste, être inséré dans son contexte social, être la chair du peuple, vivre les problèmes de son pays avec intensité, et en rendre témoignage. C’est cela l’engagement. Toute œuvre d’art, d’ailleurs, à condition d’être profonde, porte témoignage, et elle ne le peut que si elle est vraiment vécue, sous-tendue par tout le drame intérieur de l’écrivain, qui résulte de l’engagement. » Le passage au théâtre du poète et la vision de cette troupe, enthousiaste et fière au salut final, debout et libre, réalisaient pour moi le vœu final du Cahier : à moi mes danses, la danse brise-carcan, la danse saute-prison, la danse-il-est-beau-et-bon-et-légitime-d’être-nègre, et la grande retrouvaille du Nous, tous les Nous furieux et embrassés, liés en fraternité âpre. […] Aimé Césaire ici a commencé par le vrai commencement, c’est-à-dire par la Révolution antillaise, sœur jumelle de la Révolution française, avec tous ses héros haïtiens : Toussaint, Dessalines, Christophe, et leurs frères martyrs de Guadeloupe : Delgrès, Ignace, la Mulâtresse Solitude. Le roi Christophe a marqué les esprits d’emblée, car cette pièce a su mêler l’histoire plus ancienne des origines du monde moderne en 1789 à l’actualité la plus immédiate des premières années de la décolonisation. 7 6 […] Ce que donne à voir la pièce, ce n’est pas une caricature bouffonne de la Révolution dans une île bananière, c’est la tragédie de la dernière chance de mise en œuvre du texte de la Déclaration des droits de l’homme, déjà bafouée à Paris, réfugiée en Guadeloupe et à Saint-Domingue. Les personnages de la pièce ne sont donc pas déguisés en caricatures de la noblesse de Versailles, ils revêtent leur ancienne nudité d’esclaves des signes extérieurs de la plus haute humanité, et leurs titres militaires ont été conquis au combat dans les armées de la Révolution, tant en Europe qu’aux Antilles. La richesse d’habillement manifestant le niveau atteint par la liberté conquise de se vêtir à sa guise, avec beauté et dignité. Comme la surabondance vestimentaire des trois jours de liberté du carnaval marquait, pour les esclaves, seuls maîtres des rires, maîtres des danses, le défi de leur résistance affichée, même pour ces seuls trois jours de liberté richement vêtue avec les habits des colons. L’un des premiers actes de sa majesté christophienne, Pacha grotesque aux yeux des bourgeois mulâtres de Port-au-Prince, prend tout son sens pathétique dans ce contexte où le ridicule s’exclut face à l’urgence de revêtir de couleurs de dignité et de beauté les corps noirs vainqueurs de la nudité imposée : la création d’une cour, les dénominations nobles nouvelles, les costumes, les titres militaires, le cérémonial du protocole, toutes formes nouvelles conquises et revendiquées par Christophe pour ces hommes et ces femmes libérés de l’esclavage. « Jadis on nous vola nos noms. De noms de gloire je veux couvrir vos noms d’esclaves, de noms d’orgueil nos noms d’infamie », proclame Christophe. Et cela, par la conjonction de leur combat véritablement universaliste pour la liberté, érigée par eux aussi en premier « droit de l’homme », avec celui de la première révolution internationaliste inventant en France la citoyenneté pour aller au-delà de la couleur, de la naissance et de la condition. L’invention d’une cour par le roi Christophe a précédé celle du futur empereur Napoléon, et ni l’une ni l’autre ne sont caricaturales, mais manifestent dans leur forme et leur fond uploads/Litterature/ 12-13-une-saison-au-congo-cahiertnp-n12-telecharger.pdf

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