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Tous droits réservés © Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA), 2010 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 15 jan. 2023 14:31 Études littéraires africaines Les enjeux du manifeste Pour une littérature-monde Éloïse Brezault Numéro 29, 2010 Manifestes et magistères URI : https://id.erudit.org/iderudit/1027494ar DOI : https://doi.org/10.7202/1027494ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association pour l'Étude des Littératures africaines (APELA) ISSN 0769-4563 (imprimé) 2270-0374 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Brezault, É. (2010). Les enjeux du manifeste Pour une littérature-monde. Études littéraires africaines, (29), 35–43. https://doi.org/10.7202/1027494ar LES ENJEUX DU MANIFESTE POUR UNE LITTÉRATURE-MONDE Le 16 mars 2007, à l’initiative de Michel Le Bris, fonda- teur du Festival « Étonnants voyageurs » de Saint Malo, 44 écrivains signent, dans Le Monde des livres, un article qui présente « l’acte de décès de la francophonie » en prônant « l’émergence d’une littérature-monde en langue française consciemment affirmée, ouverte sur le monde, transnationale »1. Ce « manifeste », intitulé « Pour une “littérature-monde” en français », a été suivi par la paru- tion d’un recueil d’essais chez Gallimard, Pour une littérature-monde2, signé par 27 écrivains de langue française et coordonné par Michel Le Bris et Jean Rouaud. À l’origine, il s’agissait d’abolir les frontières trop étri- quées de la francophonie pour l’ouvrir au monde et en finir avec la distinction institutionnelle entre littérature française et littérature francophone, cette dernière étant vouée à rester éternellement à la périphérie des Belles- lettres hexagonales. Ce manifeste propose de dénationa- liser la littérature de langue française en clamant haut et fort que « le centre, ce point depuis lequel était supposée rayonner une littérature franco-française n’est plus le centre » et que sa « capacité d’absorption qui contraignait les auteurs venus d’ailleurs à se dépouiller de leurs baga- ges avant de se fondre dans le creuset de la langue et de son histoire nationale »3 a perdu de sa force. Le centre voit donc son noyau éclater, ses idéologies s’effondrer, et la littérature française se déterritorialiser pour libérer la langue « de son pacte exclusif avec la nation »4. Pourtant, force est de constater que ce manifeste a été publié dans le supplément littéraire d’un grand journal – Le Monde des livres – et le recueil, par la prestigieuse collection NRF de Gallimard. Par l’entremise de ces deux publications, le centre tant décrié récupère et unifie une 1 On peut lire ce manifeste sur le site « Étonnants voyageurs » : http://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article1574 ; mis en ligne le 19/03/2007, consulté le 17/03/2010. 2 Le Bris (M.) et Rouaud (J.), dir., Pour une littérature-monde. Paris : Gallimard, coll. NRF, 2007, 342 p. 3 « Pour une “littérature-monde” en français », art. cit. 4 « Pour une “littérature-monde” en français », art. cit. 36) nouvelle fois les fragments d’une identité plurielle au sein d’un dispositif qui demeure centralisé. C’est également le constat du contre-manifeste de Camille de Toledo, qui affirme que les signataires du manifeste, « plutôt que de se construire ailleurs […] [et] de fonder une autre République des lettres », sont restés « prisonniers des juges qu’ils contestent »5. De quel universel parle-t-on ? Y aurait-il une contradiction insoluble entre se penser citoyen de langue française et citoyen du monde ? Toujours est-il que la contradiction a disparu dans le titre du recueil, puisque le complément « en français » n’y apparaît pas6. En effet, il reste difficile de penser la diver- sité du monde à travers le seul prisme de la langue française, même si celle-ci peut constituer, à l’image de la littérature d’outre-Manche que Michel Le Bris admire, le terreau d’une « littérature nouvelle, bruyante, colorée, métissée […] où […] se brassaient, se mêlaient les cultures de tous les continents »7. Est-il concevable de faire de la langue française une « patrie universelle exempte de tout patriotisme », un « lieu transnational dont les seuls impé- ratifs sont ceux de l’art et de la littérature »8 ? En d’autres termes, faut-il accorder à la langue française une sorte de certificat d’humanisme qui, en lui rendant ses lettres de noblesse, l’impliquerait dans un combat contre un système littéraire parisien devenu obsolète ? Ce système, pourtant, faisait déjà du français, au 19e siècle, le substrat d’une quête de l’universel, ainsi que le rappelle justement Pas- cale Casanova : « L’universel sans cesse proclamé qui fait de Paris le lieu universel de la pensée universelle […] produit deux types de conséquences : les unes imaginaires, qui contribuent à consolider la mythologie parisienne, les 5 De Toledo (C.), Visiter le Flurkistan ou les illusions de la littérature monde. Paris : Presses Universitaires de France, 2008, 111 p. ; p. 67. 6 Il est maintenu, par contre, dans le titre de la contribution de Michel Le Bris : « Pour une littérature-monde en français », dans Pour une littérature-monde, op. cit., p. 23-53. 7 Le Bris (M.), « Pour une littérature-monde en français », art. cit., p. 32. 8 Casanova (P.), La République mondiale des lettres. Paris : Seuil, 1999, 491 p. ; p. 49. Les enjeux du manifeste Pour une littérature-monde (37 autres réelles – l’afflux d’artistes étrangers […] qui vien- nent faire leurs “classes” à Paris […] »9. Pourquoi donc les signataires du manifeste ne se retrou- vent-ils plus dans cet universel ? Cette question, éludée dans le manifeste, est abordée indirectement par les auteurs de Pour une littérature-monde, qui entretiennent des rapports différents avec la langue française. En parti- culier, qu’est-ce qui amène des auteurs non francophones comme Orner, Svit, Djavann ou Almassy à écrire en français ? Svit affirme qu’elle n’est pas la même personne en slovène et en français : « Je suis plus frontale en français, obligée de savoir ce que je veux dire et y aller franchement. […] Je dois aller à l’essentiel »10 ; la situation d’insécurité en français (« Chaque phrase est une aven- ture »11) semble également sublimée par une volonté de rompre toute attache avec le pays quitté et d’habiter constamment dans un entre-deux qui n’appartient qu’à l’auteure elle-même : « On n’a pas une cause nationale à défendre. On n’est à personne. Les écrivains appartiennent à la littérature »12. Utopie de liberté totale de l’écrivain en situation minoritaire ? Que la relation à la langue soit personnelle et donc variable d’un auteur à l’autre, le fait est également illustré par la situation plus complexe des écrivains issus des anciennes colonies françaises, qui sont conscients des rapports de force entre le centre et la périphérie13. Cette conscience des inégalités est peut-être ce qui explique la volonté de dominer à tout prix la langue, pour accéder ainsi à cet universel tant revendiqué. Cette domination peut toutefois s’exercer selon deux modes contradictoires, 9 Casanova (P.), La République mondiale des lettres, op. cit., p. 50. 10 Svit (Br.), « Moitié française moitié je ne sais pas », dans Pour une littérature-monde, op. cit., p. 255. 11 Svit (Br.), « Moitié française moitié je ne sais pas », art. cit., p. 255. 12 Svit (Br.), « Moitié française moitié je ne sais pas », art. cit., p. 256. 13 Pour Gary Victor, le concept de littérature-monde est « essentiel », car il permet de « dépasser le pouvoir du Nord qui s’est bâti à la fois sur sa suprématie économique et sur son appropriation de tous les outils de communication, dont la principale résultante est justement l’aliénation culturelle de la périphérie qui arrive à ne plus fonctionner qu’en fonction de la demande et du regard du centre » (« Littérature- monde ou liberté d’être », dans Pour une littérature-monde, op. cit., p. 317-318). 38) selon qu’il s’agisse de faire siennes ou au contraire de faire éclater les normes langagières14. Ainsi, Nimrod, fervent défenseur de la littérature, affirme que « l’Africain écrit comme tout le monde »15 ; la littérature africaine, dès lors, ne saurait se ramener à un exotisme de pacotille, qui n’a d’authenticité qu’aux yeux d’un public avide d’une Afrique imaginaire, issue de la mentalité coloniale. Sa revendication de l’universel veut mettre à mal l’image, déformée par toute une tradition exotisante, que le grand public se fait de l’écrivain africain. À l’inverse, on sait que bien des créateurs ont choisi de dominer la norme en la subjuguant, voire en la violentant, adoptant dès lors inévitablement des traits de spécifica- tion, d’irrégularité ou de dissidence. Il y a là deux rapports distincts, et même contradictoi- res, avec la langue, mais les deux démarches n’en sont pas moins réunies sous un même label globalisant qui ne rend pas compte de leur différence et qui continue d’associer, à travers le concept de « monde », uploads/Litterature/ enjeux-du-manifeste.pdf

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