Enseigner la lecture : une question de méthode ou à chacun sa pratique ? lundi
Enseigner la lecture : une question de méthode ou à chacun sa pratique ? lundi 3 février 2014, par Janine Reichstadt Le Monde du 20/12/2013 a publié une tribune offensive et percutante de Stanislas Dehaene qui dénonce l’inertie de l’éducation nationale devant l’inégalité profonde des acquis des élèves en lecture. Et pour développer son argumentation il s’appuie sur l’enquête de Jérôme Deauvieau dont on peut lire le rapport sur ce site du GRDS, ainsi que sur les résultats des recherches qu’il mène sur l’imagerie cérébrale. Ces recherches lui permettent d’affirmer que « tous les enfants apprennent à lire avec le même réseau d’aires cérébrales, qui met en liaison l’analyse visuelle de la chaîne de lettres avec le code phonologique » et donc « qu’entraîner le décodage graphème- phonème est la manière la plus rapide de développer ce réseau ». En réponse à la tribune de Stanislas Dehaene, et pour fustiger l’enquête de Jérôme Deauvieau qui montre que la méthode syllabique a une efficacité nettement supérieure à la méthode mixte, Roland Goigoux considère qu’ « opposer méthode syllabique et méthode globale est archaïque ». Faut-il relever le fait qu’il n’est pas question dans l’étude de méthode globale mais de méthode mixte ? Quoi qu’il en soit, l’essentiel porte sur le refus de considérer que la notion de méthode puisse avoir quelque valeur heuristique en la matière. La critique de ce refus nécessite quelques éclaircissements car les enjeux sont d’une importance toute particulière (voirici les échanges Dehaene/Goigoux/Lelièvre/Deauvieau). Rejet ou convocation de la notion de méthode ? Les termes du rejet Refuser d’envisager l’apprentissage de la lecture sous l’angle des méthodes n’est pas nouveau. Dans le glossaire de leur ouvrage La lecture (Le Cavalier Bleu, 2010), à « Méthodes de lecture », Jacques et Eliane Fijalkov écrivent : « il n’existe plus aujourd’hui à proprement parler de méthodes de lecture, mais des matériels différents pour enseigner la lecture. En effet, les références classiques en la matière (méthode analytique, synthétique…), de l’avis de tous les observateurs de la scène pédagogique, sont aujourd’hui dépassées. L’expression « méthodes de lecture », devenue désuète, gagnerait à être remplacée par celle de « matériel pédagogique ». » En 2008 François Dubet déclarait : « …la querelle sur les méthodes est une faute majeure. La recherche nous apprend que la qualité d’un maître, c’est le maître, quand il se sent à l’aise dans sa méthode » [1]. Il aurait donc quand même une méthode ! Dans l’ouvrage collectif coordonné par Roland Goigoux, Enseigner la lecture au cycle 2 (Nathan, 2002), nous pouvons lire ceci : « Ce ne sont pas des « méthodes » qui sont à l’œuvre dans les classes mais des pratiques pédagogiques, influencées par divers modèles didactiques et par de nombreux autres paramètres : la valeur éducative des enseignants, leur capacité à ajuster leur pédagogie aux compétences effectives et aux rythmes d’apprentissage des élèves, leur désir de permettre à chacun d’apprendre, leur croyance que c’est possible, etc. » Compte tenu de ces considérations, un texte qui leur est postérieur jette le trouble puisque Roland Goigoux avance : « Les méthodes intégratives se distinguent donc à la fois des méthodes syllabique et mixte, qui se consacrent exclusivement au déchiffrage des mots (B+A=BA) et de la méthode globale qui retarde ou rend aléatoire l’étude des relations entre lettres et sons. » [2] Intégratives, syllabique, mixte, globale, les méthodes semblent ici reconnues dans leur existence et leurs effets… Enfin, dans la critique de l’enquête de Jérôme Deauvieau à laquelle il se livre, s’il reconnait que les pratiques enseignantes peuvent avoir des caractéristiques communes plus ou moins efficaces, Roland Goigoux refuse de les observer en utilisant la variable « méthode » qu’il juge « trop grossière et mal définie ». Il entend substituer la pluralité des indicateurs des pratiques concrètes aux « déclarations de principe ». S’il ne s’agissait que de simples déclarations de principe on ne pourrait que le suivre. Mais s’agit-il de cela ? La méthode convoquée Du grec methodos, de meta, la recherche, la poursuite et de odos, le chemin, la voie, le mot « méthode » indique l’idée d’un ensemble de façons de procéder, de démarches qui s’inscrivent dans une logique, une cohérence que l’on suit dans un domaine donné afin d’obtenir un résultat déterminé. Ces démarches ne sont donc pas hasardeuses, elles poursuivent une finalité identifiée, elles anticipent un résultat, ce qui suppose une réflexion préalable sur le contenu auquel elles s’appliquent. La méthode n’est donc pas indépendante des objets sur lesquels elle porte et de la finalité qu’elle se donne : l’ordonnancement des différents moments par lesquels elle passe est intrinsèquement lié à la connaissance approfondie de ces objets. A ce sujet Bernard Rey précise : « Ce qui est trompeur, c’est que le terme de méthode est souvent utilisé dans le sens de « technique » ou « recette ». Nous appellerons « recette » ou « technique empirique » un ensemble de démarches qui conduisent à un but, mais que le sujet applique sans avoir compris pourquoi elles sont adéquates à ce but. (…) Agir méthodiquement, c’est non seulement obéir à une règle, mais être capable d’en rendre raison, c’est-à-dire de comprendre en quoi cette succession d’opérations, dans cet ordre, conduit nécessairement au but poursuivi. » [3] Comment ne pas s’emparer de ces éléments de définition dans le cadre de l’apprentissage de la lecture et de la formation des maîtres ? Cette formation n’a-t-elle pas pour fonction de permettre aux maîtres d’être en capacité de « rendre raison » le mieux possible des dispositifs sur lesquels ils se fondent, de la construction de leurs pratiques d’enseignement ? Faute de prise en compte de cette dimension essentielle du métier, on ne peut que demeurer prisonnier de « recettes », de « techniques empiriques ». La méthode appartient à du commun, à ce qui préside à la définition du processus d’une activité dans ce qui la spécifie et la rend transmissible. Elle diffère donc de ce qui s’exprime dans les particularités, les différences, la diversité des pratiques et des personnes, sans pour autant nous inviter à ignorer cette diversité, à ne pas l’observer, ne pas en tenir compte. Mais l’observation de pratiques différentes construites à partir de supports variés, n’invalide en aucune façon la possibilité de mettre au jour des lignes de force, des logiques pouvant être pensées dans la catégorie de méthode. C’est à ces lignes de force, ces logiques qu’appartient la façon dont on se détermine par rapport au déchiffrage dans l’apprentissage de la lecture. Le sens et l’enjeu du déchiffrage Une union décisive La lecture compréhensive représente la finalité de l’apprentissage de la lecture. Pour parvenir à cette fin, la méthode doit donc s’interroger sur la nature même du savoir-lire, objet de la méthode, afin d’élaborer les démarches susceptibles de garantir la construction de ce savoir. Aucune lecture ne s’émancipe du déchiffrage parfaitement nécessaire à toute entrée dans le sens. Fait remarquable, c’est ce statut incontournable du déchiffrage qui est au cœur de la dispute et cristallise les oppositions sur l’apprentissage de la lecture. En quoi plus précisément ? Plus haut, nous avons déjà pu lire que Roland Goigoux considérait que les méthodes syllabique et mixte « se consacrent exclusivement au déchiffrage des mots (B+A=BA) ». Dans le même article il repoussait « la méthode syllabique, symbole des "bonnes vieilles valeurs" », en raison de la conception d’un enseignement par étapes qu’elle représente selon lui. Apprendre « à identifier les mots écrits avant d’être mis face à des problèmes de compréhension de textes, maîtriser les mécanismes de bases avant d’accéder à la culture écrite », définirait selon lui la démarche des partisans de la syllabique. Et il poursuit : « Ceux qui réclament aujourd’hui le retour des méthodes syllabiques (…) veulent réduire l’enseignement de la lecture au seul déchiffrage », en ajoutant, non sans perfidie : « car ils savent que les familles de ces élèves [de milieux sociaux favorisés] peuvent transmettre elles-mêmes toutes les autres connaissances. » Autrement dit, par définition, la syllabique abandonnerait ses autres publics à l’indigence intellectuelle ! Cette façon de concevoir la possibilité de réduire l’enseignement de la lecture au seul déchiffrage, d’en faire une étape, un avant, un enseignement exclusif du B+A=BA, relève d’une pure bévue linguistique. Déchiffrer correctement tous les graphèmes du mot « cheval » donne spontanément, immédiatement la signification du mot, sauf si à l’oral on n’en connait pas le sens. Il n’est donc pas pensable de dire qu’il serait possible de procéder en deux temps et que l’enseignement de la lecture pourrait se réduire au seul déchiffrage. Il n’y a pas un premier temps, un « avant » comme le postule Roland Goigoux, où l’on apprendrait exclusivement à déchiffrer, à articuler les correspondances entre les graphèmes de « cheval » et les phonèmes qu’ils transcrivent, qui ne seraient que de simples bruits sans signification. L’instantanéité de la saisie du rapport entre le son décodé et le sens, qui s’opère ici, est due à l’union absolue, infrangible entre le signifiant et le uploads/Litterature/ enseigner-la-lectur-1.pdf
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- Publié le Sep 15, 2022
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