543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page1 Esquisse d’ego-histoire

543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page1 Esquisse d’ego-histoire 543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page2 Pierre Nora Esquisse d’ego-histoire suivi de L’historien, la mémoire et le pouvoir Précédé de L’histoire selon Pierre Nora par Antoine Arjakovsky DESCLÉE DE BROUWER Collège des Bernardins 543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page4 L’HISTOIRE SELON PIERRE NORA Antoine Arjakovsky www.ddbeditions.com © Desclée de Brouwer, 2013 10, rue Mercœur, 75011 Paris ISBN: 978-2-220-06511-3 543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page6 Monsieur l’Académicien, Cher Pierre Nora, V otre venue, en ce jour, au Collège des Bernardins appelle à un hommage. D’abord, parce que nous sommes heureux que l’historien des lieux de mémoire de la France rencontre l’un des hauts lieux de la mémoire ecclésiale française, un lieu qui a traversé toute l’histoire de France depuis sa fondation en 1253 par Étienne de Lexington jusqu’à sa réouverture en 2008 par Mgr André Vingt-Trois, un lieu qu’ont connu le pape Benoît XII, Charles de Montalembert, ou encore le pape Benoît XVI, un lieu dont le symbole mémoriel est celui de la rencontre entre la foi et la raison. 9 543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page8 Vous avez été conscient très tôt que la pensée humaine ne sera plus jamais la même après la Shoah. À Paul Ricœur qui, dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, vous rendait hommage tout en regrettant que vous ne mettiez pas suffisam- ment de distance entre l’histoire qui s’écrit et l’histoire qui se fait, vous avez répondu que le philosophe de l’histoire ne pouvait lui-même s’extraire de son contexte historique: « Platon, écriviez-vous, n’est là – dans l’œuvre de Ricœur – qu’à cause d’Auschwitz. Qui pour- rait croire que ce qui motive en profondeur cet appel à une histoire intemporelle des idées n’est pas l’étreinte d’une autre histoire qui pèse d’un poids si lourd sur la conscience contem- poraine? » Le 6 mai 1967, un mois avant la guerre des Six-Jours, alors qu’Israël faisait l’ob- jet d’une pression croissante des États arabes, vous avez voulu vous engager pour défendre l’État d’Israël et êtes parti pour Tel Aviv. Mais vous avez aussi suivi le cursus honorum de la République. Vous êtes agrégé d’histoire de l’Université et membre de l’Académie fran- çaise. Selon François Dosse, qui vous a consa- cré l’an dernier une monumentale biographie, votre double appartenance a fait votre génie. Pour lui, mais vous-même l’avez reconnu à 11 Ensuite, parce que vous avez été le premier en 1982 à publier dans votre revue Le Débat un entretien important avec Mgr Jean-Marie- Lustiger, à peine quelques mois après sa nomi- nation comme archevêque de Paris. Et vous savez, pour avoir fréquenté régulièrement votre collègue académicien, combien ce lieu doit au cardinal Lustiger. Enfin, parce que vous intervenez chez nous aujourd’hui pour nous aider à mieux compren- dre les rapports entre « Histoire et mémoires de la Shoah », titre du séminaire que nous avons lancé, Thierry Vernet et moi, cette année, dans le cadre du Pôle de recherche des Bernardins. Or, à bien des égards, c’est une bonne part de votre propre vie et de votre propre œuvre qui peut se comprendre à partir de cet événement tragique que fut la destruc- tion du peuple juif par le pouvoir nazi au cours de la Seconde Guerre mondiale. Vous êtes né, en effet, dans une famille française de religion juive et vous avez, à plusieurs reprises au cours de votre vie, été marqué par cette double appartenance. Pendant la guerre, alors que vous n’aviez qu’une dizaine d’années, vous avez dû vous réfugier dans le Vercors. Cet événement vous a profondément marqué. 10 543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page10 France, mais aussi du monde si on tient compte des nombreuses traductions dont ont fait l’ob- jet vos Lieux de mémoire. Bien que vous vous trouviez au cœur de la vie des sciences humai- nes en France depuis plus d’un demi-siècle, il y a bien, en ce moment précis de notre histoire intellectuelle, un « moment Nora », comme le dit avec justesse François Dosse. Permettez- moi de me livrer à un exercice de micro- histoire, en scrutant ces deux livres que vous avez publié l’an passé, Historien public et Présent, nation, mémoire, en y ajoutant la biographie de François Dosse, ainsi qu’un ou deux autres de vos articles qui devraient paraître dans le volume que vous annoncez: Recherches de la France, et d’en tirer quelques conclusions plus générales qui nous intéressent au plus haut point dans le cadre de notre séminaire1. Comme cette actualité est autobiographique, comme il s’agit de votre propre « ego-histoire » au sens noble du terme, je commencerai par dire quelques mots sur votre parcours intellec- tuel. Puis j’essaierai d’expliquer en quoi votre 13 demi-mot, les Lieux de mémoire, votre principal fait d’arme d’historien, ont été un événement historiographique principalement en raison de la déconnexion que vous avez opérée entre l’histoire et la mémoire nationale. Seul un historien professionnel de la République et un digne fils du « peuple de la mémoire » pouvait être en mesure de convaincre les Français, si attachés à leur histoire qu’ils n’étaient en réalité attachés qu’à la seule mémoire officielle de l’État républicain. Vous leur avez montré patiemment et avec un amour sans faille pour la France que leur mémoire nationale était bien plus ample que leur mémoire politique, et que la France était bien plus riche de diversi- tés qu’ils ne pouvaient s’en douter au début des années 1980. C’est pourquoi la question prin- cipale que nous vous posons aujourd’hui est de nous éclairer sur cette synthèse qui s’est nouée tout au long de votre carrière d’historien, d’in- tellectuel et d’éditeur entre votre identité juive et votre identité française. Pour introduire votre exposé qui devrait nous préciser ce point, permettez-moi de présenter brièvement certains grands traits de votre œuvre si décisive pour l’histoire de 12 1. Pierre NORA, Historien public, Paris, Gallimard, NRF, 2011. – Pierre NORA, Présent, Nation, Mémoire, Gallimard, NRF, « Bibliothèque des Histoires », 2011. – François DOSSE, Pierre Nora. Homo historicus, Paris, Perrin, 2011. 543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page12 individuelles. Elle est, je le cite, de « mettre l’histoire au cœur de la culture et de l’identité française2 ». C’est ce que Pierre Nora a fait lui- même tout au long de sa vie. Pierre Nora a poursuivi une activité paral- lèle d’intellectuel engagé, d’universitaire et d’éditeur. Son engagement d’intellectuel a commencé par la publication de son livre Les Français d’Algérie en mars 1961, le même mois que sa recension du livre de Léon Poliakov sur L’histoire de l’antisémitisme. À la différence de Jacques Derrida ou d’Albert Camus, Pierre Nora n’a pas cru dans les chances de conti- nuation d’une Algérie française. Mais, comme Léon Poliakov, il a été conscient que le travail intellectuel de sa génération était de décons- truire tout ce qui dans la civilisation occiden- tale a pu conduire à l’idéologie totalitaire, qu’elle soit d’origine communiste ou national- socialiste. C’est pourquoi, en tant qu’éditeur, il a publié des livres qui ont fait date: L’Aveu d’Arthur London en 1968, dirigé contre les procès communistes en Tchécoslovaquie, Penser la révolution française de François Furet en 15 travail d’historien est profondément original et créateur, en quoi, malgré ce qu’a pu en dire François Dosse, vous avez réellement « fait œuvre ». Une œuvre qui, à titre personnel, m’a profondément marqué puisque, après avoir suivi votre séminaire à l’EHESS en 1991-1992, j’ai travaillé sur la notion de génération intel- lectuelle et qu’aujourd’hui, je viens d’achever un ouvrage sur l’histoire de l’historiographie chrétienne. Un nouveau type d’historien républi- cain Pierre Nora a intitulé Historien public son livre paru dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. De fait, à bien des égards, Pierre Nora est le prototype de l’historien républi- cain, mais selon une conception nouvelle de la chose publique. La « chose » qui unit les Français pour Pierre Nora, c’est leur histoire. Mais cette histoire n’est vivante que si elle intègre la diversité des mémoires qui rassem- ble le peuple français. Donc la mission de l’historien n’est pas de construire une mytho- logie qui unifie en écrasant les consciences 14 2. Pierre Nora, Historien public, op. cit., p. 4 de couverture. 543 - Esquisse d’ego-histoire_543 08/03/13 16:19 Page14 dans le monde occidental depuis les années 1960, la Shoah était devenue le pilier moral d’un nouveau type de religion séculière: « La Shoah, écrit-il, a puissamment historisé le judaïsme en se sacralisant elle-même. Elle a mis l’accent sur sa dimension éthique, qui va de pair avec la généralisation contemporaine des droits de l’homme, idéologie post- soixante-huitarde qui se fait elle-même de plus en plus prégnante à partir des années 1970-1980. Or l’idéologie des droits de l’homme est très importante pour comprendre l’actuelle fixation sur Vichy3. » Élu en 1977 directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, spécialisé dans l’étude de l’historiographie et du senti- ment national, Pierre Nora s’est surtout consa- cré, dans le cadre d’une « histoire du présent », à l’élaboration d’une problématique générale de uploads/Litterature/ esquisse-d-x27-ego-histoire.pdf

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