Études philoponiennes Série Philosophie 8 Études philoponiennes Philosopher à l

Études philoponiennes Série Philosophie 8 Études philoponiennes Philosopher à l’École d’Alexandrie Textes d’Étienne Évrard Réunis et édités, avec un supplément bibliographique, par Marc-Antoine Gavray Préface de Jean Meyers 2020 Introduction Ce recueil est né d’une inondation. Pas n’importe laquelle : celle du magasin à livres de l’université de Liège dont les effets fongiques ont rendu inaccessibles deux manuscrits inédits d’Étienne Évrard († 2009). Et si un collègue allemand ne m’avait jamais écrit pour en obtenir une copie, si je n’avais jamais été confronté à leur quarantaine « à durée indéterminée », sans doute ne m’y serais-je jamais intéressé de si près et n’aurais-je pas cherché à en conserver la trace. Pourquoi subitement un jeune chercheur étranger désirait-il lire ces textes que leur auteur n’avait pas publiés de son vivant ? D’ailleurs, comment pouvait-il les connaître ? Il n’en fallut pas davantage pour piquer ma curiosité. Je devais au préalable trouver d’autres exemplaires, sauvés des eaux ceux-là. Par chance, la bibliothèque des Langues anciennes avait conservé la thèse de 1957. Il suffisait de s’asseoir à une table pour en prendre connaissance… et en saisir directement l’originalité. Le mémoire de 1943 en revanche semblait avoir définitivement disparu : rien là-bas, pas plus que dans la famille ou chez les proches. J’aurais sans doute renoncé au projet d’éditer l’ensemble si l’idée ne m’était pas venue de contacter l’Académie Royale de Belgique. Après tout, n’avait-elle pas primé ce travail en 1961 ? Quelle ne fut pas ma joie de découvrir que sa bibliothèque en avait conservé une copie, certainement remaniée par rap- port à la version originale. Qu’importe, car le contenu ne devait pas s’être dété- rioré en vingt ans, contrairement au dernier exemplaire physique. J’avoue que je ne fus pas déçu, et j’imaginai aussitôt que le lecteur partagerait mon sentiment. Je me pris donc du désir de lui donner accès à ces recherches en voie d’extinction. Je ne pourrais pas en revanche raconter la genèse du travail d’Étienne Évrard, déjà parti à la retraite lors de mon entrée à l’Université. Je ne l’ai pas connu, tout au plus l’ai-je croisé au détour d’un couloir ou d’un colloque. Je n’ai aucune anec- dote à raconter, aucune confidence, aucune explication. Je voudrais néanmoins tenter de retracer un parcours, le sien, comme lui-même s’est employé à le faire au fil de sa carrière pour des auteurs anciens. Étienne Évrard entame sa relation avec Jean Philopon en 1942 — une rela- tion inachevée, mais qui n’a cessé de revivre épisodiquement. L’histoire débute alors que notre auteur, encore jeune étudiant, est invité par son maître, Marcel 12 INTRODUCTION De Corte, à travailler sur ce néoplatonicien chrétien de l’antiquité tardive1. Ce premier contact allait le marquer profondément. Quelques mois plus tard, il en sort en effet un mémoire, aujourd’hui perdu, consacré au premier livre du Contre Aristote de Jean Philopon, lui-même perdu — la première reconstruction, accom- pagnée d’une traduction dans une langue moderne, de ce traité polémique. Et cet ouvrage, son thème, l’identité de son auteur allaient accompagner Étienne Évrard durant les cinquante années qui suivirent et fournir la raison de toutes ses dis- tinctions académiques. C’est Philopon qui offre à Étienne Évrard le sujet de son premier article sur l’Antiquité : « Les convictions de Jean Philopon et la date de son Commentaire aux Météorologiques », en 19532. L’enjeu y est de contester la chronologie établie par les philologues allemands, ceux-là mêmes qui ont édité les textes du néo- platonicien au tournant des XIXe et XXe siècles, ceux qui ont fixé le cadre des études sur cette période de l’histoire de la philosophie dans leurs articles de la Realencyclopädie : Beutler, Gudeman, Hayduck, Praechter, Rabe, Reichardt et Vitelli (un peu moins allemand, certes, mais associé au projet de l’Académie de Berlin). Il en résulte une datation nouvelle, qui permet de mieux lire les thèses philosophiques de leur auteur, dans leur évolution (j’y reviens). Puis, après quel- ques divertissements consacrés à l’enseignement des langues anciennes, et du latin en particulier — après tout c’est cette langue qu’il enseignera durant toute sa carrière —, Étienne Évrard devient docteur en Philosophie et Lettres grâce à une thèse sur L’École d’Olympiodore et la composition du Commentaire à la Physique de Jean Philopon (1957). Ses interlocuteurs restent les mêmes : après avoir fixé des jalons dans l’œuvre de Philopon, il s’attaque cette fois à sa méthode, convaincu que seule une meilleure connaissance de celle-ci permettra de mesurer l’origina- lité de ses nombreux Commentaires à Aristote, tout autant que sa place dans l’École d’Alexandrie initiée par son maître Ammonius. En 1961, désormais assistant à l’université de Liège, Étienne Évrard revient à son point de départ. Peut-être avait-il besoin des deux détours précédents pour répondre à des questions qui devaient surgir dans le mémoire de 1943 : quelle évolution les thèses de Jean Philopon sur la nature et l’éternité du monde ont- elles suivie, et comment se jouaient-elles dans ses traités ? Fort d’une chronologie et d’une méthode, Étienne Évrard reprend le Contre Aristote avec le projet de le reconstituer, de le traduire et de le commenter dans son intégralité. Ce travail lui vaut un prix de l’Académie Royale de Belgique, certainement en raison de son caractère inédit. Il n’en est pas moins intitulé Philopon. Contre Aristote, de l’éter- nité du monde, fragments des livres I et II. À plusieurs égards, l’œuvre paraît ina- chevée : en attestent des embryons de traduction de la suite, des renvois à des 1. Je renvoie à son propre témoignage de 1985, p. 345. 2. Comme l’atteste sa bibliographie publiée dans ÉVRARD Étienne, Stephania selecta. Recueil d’articles édités par Joseph DENOOZ et Gérald PURNELLE, Liège, C.I.P.L, 2002, pp. 197-206. INTRODUCTION 13 fragments numérotés mais non repris, une description de l’ensemble du traité alors que le commentaire s’achève avec le deuxième livre. Sans doute le point d’arrêt définitif de ce projet fut-il donné bien plus tard par la parution de la reconstitution du traité de Philopon (avec traduction anglaise) réalisée par Chris- tian Wildberg, suivie peu après par une étude des fragments1. L’état du texte publié ici pour la toute première fois s’avère néanmoins une contribution impor- tante à l’étude de ce texte que le chercheur allemand n’a pas épuisée. Conservant son rythme quadriennal, Étienne Évrard écrit en 1965 une note en réaction à un article de L.G. Westerink : « Jean Philopon, son Commentaire sur Nicomaque et ses rapports avec Ammonius (À propos d’un article récent) ». Un dialogue s’engage alors avec les éditeurs de la Théologie platonicienne, Henri- Dominique Saffrey et Leendert Gerrit Westerink, dont le travail a bouleversé notre regard sur la philosophie grecque tardive. Tous deux confirment les résul- tats des premières études d’Étienne Évrard sur la chronologie2. Malheureuse- ment, cet échange s’interrompt presque aussitôt, car notre latiniste de carrière se découvre alors une passion pour les humanités numériques et les possibilités qu’offre l’informatisation des textes. Il faut ainsi attendre une vingtaine d’années pour le voir reprendre les chemins de la philosophie grecque : « Philopon, la ténèbre originelle et la création du monde » (1985) et quelques dix ans plus tard « Aristote, Philopon, Simplicius et Thomas d’Aquin sur l’éternité du monde » (1996). Ces articles reviennent aux préoccupations du mémoire de 1943, bouclant la boucle. Le premier examine la postérité des thèses du Contre Aristote dans les écrits tardifs de Philopon, en guise de coda aux travaux sur la chronologie. Le second se penche sur la réception des arguments contre l’éternité du monde, confrontant leur utilisation par Simplicius et Thomas d’Aquin. Si elles semblent plus anecdotiques, ces deux études se révèlent pourtant essentielles à apprécier le projet général d’Étienne Évrard, qui fut de saisir ce passage du paganisme au christianisme et son rôle global dans le développement de la philosophie posté- rieure. Car pour mesurer l’impact de ses travaux et l’intérêt de les publier aujour- d’hui, il n’est pas inutile de revenir sur l’ambition, la méthode et les résultats envisagés par leur auteur. Voici le regard qu’il portait sur son propre travail au moment de conclure son doctorat : 1. Philoponus. Against Aristotle on the Eternity of the World, tr. Christian WILDBERG, London, Duckworth, 1987 ; WILDBERG Christian, John Philoponus’ Criticism of Aristotle’s Theory of Aether, Berlin – New York, De Gruyter, 1988. Évrard y fait référence dans son article de 1996 (p. 355, n. 7), non sans la nostalgie de rappeler au préalable son propre travail de 1943. 2. On lira le compte rendu de SAFFREY Henri Dominique, « Évrard (É.). Les Convictions reli- gieuses de Jean Philopon et la date de son commentaire aux “Météorologiques” », Revue Des Études Grecques, 1955, vol. 68, fasc. 323, pp. 399-400, qui se réfère aussi aux travaux inédits d’Étienne Évrard sur Philopon. 14 INTRODUCTION Peut-être s’étonnera-t-on d’un si long travail consacré à de si minces personnages. Certes Philopon, Olympiodore et leurs émules sont loin d’être des penseurs importants. Mais leur rôle dans l’élaboration, la systématisation et la transmission des philosophies antiques n’est pas négligeable. Or, une étude pré- cise de leur action exige des recherches uploads/Litterature/ evrard-introduction-et-table-des-matie-res.pdf

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