EXEGESE ET HERMENEUTIQUE A. LYNXE « Les sages et les saints véritables aimanten
EXEGESE ET HERMENEUTIQUE A. LYNXE « Les sages et les saints véritables aimantent tous les hommes de bonne volonté jusqu’à Dieu, et c’est en cela qu’ils sont les fils uniques et les serviteurs fidèles de leur Seigneur ». 1 L’herméneute est le plus précieux des hommes. Sans lui, tout texte hermétique demeure inaccessible ; la révélation même du salut disparaît avec lui. Avant de développer ce sujet, il convient de retracer l’étymologie des mots hermétique et herméneutique. * * * Les auteurs des textes hermétiques n’ont qu’un seul maître : Hermès. Jamblique écrit au début de ses Mystères d’Egypte : « Le dieu qui guide les PAROLES, Hermès, a depuis longtemps et à juste titre, la réputation d’être commun à tous les prêtres. Préposé à la vraie science des dieux, il est UN et le même en tous. C’est pourquoi nos ancêtres dédiaient les inventions (heurèmata) de leur sagesse à Hermès, en mettant son nom sur leurs propres écrits ». 2 C’est dans cette optique qu’on peut comprendre ce que dit Reuchlin : « Mercure (c’est-à-dire Hermès), qui embrassa tout ce qui concerne les cérémonies sacrées, a écrit, dit-on, à lui seul, trente-six mille cinq cent vingt-cinq livres ». 3 Morien donne les détails suivants : « L’esprit divin d’Hermès embrassa pleinement toutes les parties de la philosophie. Or après avoir consacré ses efforts pendant de longues 1 L. Cattiaux, Le Message Retrouvé, éd Les Amis de Louis Cattiaux, Bruxelles, 1996, XIV, 63, p. 145. 2 Jamblique, les Mystères d’Egypte I, 1. Sur le lien étymologique entre heurèma (trouvaille) et Hermès, voir la note 47. 3 Reuchlin, DeVerbo Mirifico, II, 1. 1 années, à trouver et à produire le magistère supérieur, il fut enfin le premier à le trouver et à le produire. Il composa un livre sur le magistère, qu’il considéra comme le sien propre, et qu’après son départ, il laissa à ses disciples en héritage. Après son départ, ses disciples étudièrent pendant longtemps ce livre et ses prescriptions, afin de pouvoir atteindre sa réalisation. Et après avoir atteint sa réalisation, ils livrèrent à son sujet, des prescriptions diverses et même innombrables. Ils le firent pour éviter que ceux qui après eux, atteindraient cette science, ne la découvrissent aux insensés comme une chose vulgaire ». 4 L’origine des écrits hermétiques est ainsi clairement définie. Quand à Hermès lui-même, il représente la PAROLE (logos en grec),notamment celle de l’herméneute. Platon écrit à ce sujet : « Eh bien ! Hermès semble avoir un rapport avec la PAROLE. L’activité de l’herméneute (hermènea), celle du messager, de celui qui se dérobe et qui trompe en parlant, du marchand qui parle sur la place publique : toutes ces activités relèvent de la puissance de la PAROLE ». 5 « Or comme nous le disions plus haut, le verbe eirein (parler) désigne l’usage de la PAROLE. D’autre part, le mot emésato (il médita) qu’Homère emploie à maint endroit, exprime l’ingéniosité. C’est donc à partir de ces deux mots que le législateur composa le nom du dieu qui médita le parler et la PAROLE, comme pour nous signifier : « O homme, celui qui médita le parler erein emèsato), vous feriez bien de l’appeler Eiremès » Mais à présent, nous croyons enjoliver ce nom en l’appelant Hermès ». 6 Ajoutons le commentaire de saint Isidore : « On interprète comme la PAROLE (sermo). En effet, on l’a appelé Mercurius comme pour dire qu’il court au milieu (medius currens), parce que la PAROLE court au milieu des hommes 7. On l’a appelé aussi, en grec, Hermès parce que la PAROLE, ou l’interprétation qui concerne toujours la PAROLE, se dit hermèneia (herméneutique). Il préside aux affaires des marchands, parce que la PAROLE se fait l’intermédiaire entre vendeurs et acheteurs. 4 Morien, Sur la composition de l’alchimie, Cfr Manget, Bibliotheca chemica curiosa, éd. Arnaldo Forni, 1976, t. I, p. 510. 5 Hermès est en effet le dieu de l’éloquence sous toutes ses formes, et par conséquent, des orateurs, des messagers, des fourbes, des beaux parleurs, des marchands, etc. 6 Platon, Cratyle, 407e5 – 408b3. 7 De même, sur le Verbe des chrétiens, il est dit : « Transiens per medium eorum ibat » (Il passait et allait au milieu d’eux) Luc, IV, 30. Sur cette sentence, cfr E. d’Hooghvorst, Le Fil de Pénélope, t. II, éd. La Table d’Emeraude, Paris, 1998, p. 29 2 On le représente avec des ailes, parce que les mots se répandent en discours avec assez de rapidité. On le représente agile et errant : les ailes sur sa tête et à ses pieds signifient que la PAROLE devient volatile et traverse l’air. On l’a appelé messager parce que par la PAROLE, on exprime tout ce qu’on pense. On l’appelle maître de la fourberie, parce que la PAROLE trompe l’esprit de ceux qui écoutent. Il tient un bâton au moyen duquel il sépare les serpents, c’est-à-dire les venins. Car on apaise ceux qui guerroient et se disputent, par le discours des interprètes… Or en grec, on dit Hermès, d’après le mot hermèneia (herméneutique) ; en latin, on parle d’interpres (interprète »). 8 Notons encore qu’en grec herma signifie une Pierre, notamment la pierre de fondation. Nous verrons plus loin que c’est sur cette pierre que se fondent les vrais herméneutes. * * * Ainsi, le dieu Hermès est à l’origine, à la fois des textes hermétiques et de leur herméneutique. La PAROLE a en effet, deux aspects : la parole fixe, fixée par la lettre morte, incompréhensible et obscure en elle-même : hermétique ; et la parole volatile, prononcée en un souffle et de vive voix, éclairant l’autre : herméneutique. C’est dans ce sens qu’on peut comprendre ce que dit saint Paul : « La lettre est morte ; c’est l’esprit qui vivifie ». 9 En fait, saint Paul fait allusion aux deux aspects de la Torah dans la tradition juive, la Loi de Moïse : 10 « Mais il y a une Torah écrite et une Torah non écrite. Cette dernière est appelée Torah sur la bouche. C’est la tradition orale héritée elle aussi du Sinaï et qui vivifie l’Ecriture en lui donnant son sens véritable. Elles sont l’une à l’autre ce que l’esprit est au corps de la lettre ». 11 Dans le judaïsme, la Torah écrite est représentée par les écrits de l’Ancien Testament ; la Torah orale, par les commentaires formulés de vive voix par les rabbins au cours des siècles 12. Avec le temps, ces commentaires 8 Isidore, Etymologies, VIII, 45 – 49. 9 II Corinthiens III, 6. C’est l’occasion de rappeler qu’il existe un hermétisme chrétien. Le Verbe, comme Hermès, c’est la parole, en grec : logos. A propos des verset 12 – 16 du même chapitre de II Corinthiens, E. d’Hooghvorst écrit que « le fondement hermétique de la religion est tout aussi ignoré » (op. cit., t. II, p. 158). 10 Loi, en latin : lex, legis, est de la même origine que le grec logos, parole. 11 E. d’Hooghvorst, Le Fil de Pénélope, éd. La Table d’Emeraude, Paris, 1996, p. 232. 12 On trouve un remarquable parallèle chez les anciens Romains, où il est dit (Cicéron, Lois III, 2) : « Le peuple est dirigé par des magistrats, et on peut dire en vérité, que le magistrat est la loi qui parle, tandis que la loi est un magistrat muet ». 3 furent rassemblés par écrit, notamment dans le Talmud et les Midrashim. Ils devinrent ainsi à leur tour, une tradition figée nécessitant une exégèse ultérieure. Du point de vue chrétien, le Nouveau Testament est venu éclairer et vivifier l’Ancien. Les PAROLES (ou PARABOLES) de Jésus, notamment, expliquèrent les écrits des prophètes : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir » 13. Consigné dans les différents Evangiles, l’enseignement de Jésus réclamait à son tour, l’exégèse orale et l’apostolat de saint Paul et des autres disciples. Leurs épîtres en devinrent le reflet écrit. * * * Il apparaît que tout enseignement oral, par le fait même d’être mis par écrit, s’obscurcit automatiquement et se ferme hermétiquement ; il se revoile. Tout texte hermétique présente un caractère constamment ambigu. D’où la nécessité d’une herméneutique renouvelée : « L’herméneutique est l’art d’interpréter les textes sacrés qui expriment à mots couverts, les vérités révélées, ou revoilées. Il en est de même d’ailleurs pour les textes de science hermétique ou cabalistique qui prolongent en quelque sorte, la révélation. (…) Nous voyons ici une allusion à la fameuse lettre Y dont les deux cornes, l’une vers la gauche, l’autre vers la droite, symbolisent la discrimination nécessaire à la compréhension des textes, car la même lettre de l’enseignement écrit a toujours deux sens dont l’un est sinistre ou de gauche, et l’autre, de droite, montre la voie du savoir ». 14 Et à propos du VIe chant de l’Enéide, où la Sibylle guide Enée et le met sur la bonne voie : « … uploads/Litterature/ exegese-et-hermeneutique.pdf