Milieux bibliques M. Thomas römer, professeur cours : Le LIvre de L’exode : myt
Milieux bibliques M. Thomas römer, professeur cours : Le LIvre de L’exode : mythes et hIstoIres (1re partIe) Ce cours a pour but d’examiner la mise en forme du mythe de l’exode ainsi que les contextes sociohistoriques et idéologiques qui ont marqué de leurs emprunts ce texte fondateur de la Bible hébraïque (BH) et, par la suite, du judaïsme a. La leçon introductive avait pour titre « Entre autochtonie et allochtonie : l’invention de l’Exode ». Pour dire son identité, chaque groupe ou peuple a recours à des mythes fondateurs. Un groupe peut d’ailleurs en avoir plusieurs. Ces mythes racontent souvent comment un groupe ou un peuple s’est formé et comment il a reçu sa terre. Par rapport à la possession de la terre, il existe deux types de récits d’origine : un mythe d’autochtonie selon lequel les ancêtres ont toujours été sur la terre revendiquée, qu’ils sont « nés de la terre », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Nicole Loraux 1, et un mythe d’allochtonie, de colonisation, selon lequel les ancêtres sur ordre divin ont quitté leur territoire d’origine pour s’installer dans un autre pays. Dans la Grèce, les deux types de mythes fondateurs peuvent cohabiter, et il en est de même dans la Bible hébraïque. Ainsi la figure primitive d’Abraham (cf. nos cours sur Abraham en 2008 et 2009) était un ancêtre autochtone, comme le montre peut-être encore un texte comme Es 51,1-2 où l’ancêtre est comparé à un rocher. Un autre concept d’autochtonie se trouve dans les premiers chapitres des livres des Chroniques qui semblent vouloir passer sous silence l’exode et la conquête du pays. Dans la BH, les mythes d’autochtonie sont construits à l’aide de généalogies, comme le montre particulièrement le livre des Chroniques et aussi les récits patriarcaux de la Genèse où les relations entre différents groupes sont expliquées par leur degré de parenté qui est légitimé par un système généalogique. a. Le cours est disponible sous forme audio et vidéo sur le site internet du Collège de France : http://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/course-2013-2014.htm [NdÉ]. 1. N. Loraux, Né de la terre : mythe et politique à Athènes, Paris, Seuil, coll. « La librairie du xxe siècle », 1996. 412 THOMAS RöMER Au contraire, dans le mythe exodique, les généalogies disparaissent, seul le chapitre Vi du livre de l’Exode donne une généalogie de Moïse et d’Aaron insérée tardivement dans la narration. Dans la construction du Pentateuque, c’est le mythe exodique qui l’a emporté clairement, car le Pentateuque correspond en quelque sorte à la biographie de Moïse, le héros de l’exode, dont la naissance et la mort délimitent l’ensemble des livres de l’Exode au Deutéronome. À noter cependant que, dans la construction du Pentateuque, la conquête du pays promis n’est plus relatée, elle l’est dans le livre de Josué, raison pour laquelle on a souvent postulé l’existence d’un Hexateuque. Apparemment, pour les derniers éditeurs de la Torah, c’est l’exode qui est plus important que la prise de possession du pays, laquelle est en quelque sorte reléguée dans un livre qui, dans le judaïsme, aura un statut canonique moins important que la Torah. Ceci signifie que le mythe de l’exode, dans le cadre du Pentateuque, est en quelque sorte tronqué, car il ne relate pas (plus), comme le récit de colonisation, la prise de possession du pays. Théories diachroniques concernant la formation du livre de l’Exode Il ne fait pas de doute que le livre actuel est le résultat d’un long processus. La théorie documentaire traditionnelle, toujours en vogue dans de nombreuses universités américaines, n’est pas le meilleur modèle pour retracer la naissance du livre de l’Exode. À partir d’une analyse d’Ex 3-4 et d’Ex 16, le modèle suivant a été élaboré et sera à tester durant le cours. À la base du livre de l’Exode se trouve un récit qu’on peut appeler avec Blum et d’autres une Vita Mosis, ainsi que la collection de lois, appelée « code d’alliance ». Ces ensembles ont été intégrés dans la composition D, une édition deutéronomiste de l’Exode qui renforce le rôle de Moïse en faisant de lui le premier prophète d’Israël. Pour D, les plaies qui rappellent les malédictions de Dt 28 sont des punitions de Yhwh pour sanctionner le Pharaon qui ne veut pas laisser partir les Hébreux. Les prêtres élaborent des textes, comme Ex 2,23-25 ; Ex 6 ; ainsi qu’une version des plaies qui sont davantage des prodiges et qui affirment la supériorité de Yhwh face au Pharaon et aux dieux qu’il représente. C’est Yhwh même qui endurcit Pharaon, qui n’est rien d’autre qu’une marionnette pour que Yhwh manifeste sa gloire aux yeux des Égyptiens. Le passage de la mer est pour P un passage qui rappelle le récit de la création en Gn 1. P se poursuit en Ex 16 et surtout dans le récit de la construction du sanctuaire mobile en Ex 25-32 et 35-40. Ensuite interviennent plusieurs rédactions en vue de constituer un Hexa- ou Pentateuque. Ce modèle est partiellement compatible avec d’autres hypothèses récentes, notamment avec le commentaire de Utzschneider et Oswald qui distinguent : un ancien récit de l’exode (de Ex 1,11 à 14,30-31*) ; un récit « Israël à la montagne de Dieu » (Ex 3-4* ; 18-24*) qui intègre le Code d’Alliance ; l’histoire dtr (Ex 3 jusqu’à 2 Rois 25) ; la composition sacerdotale (jusqu’à Jos 24), ainsi que la « Torah composition », à savoir différentes rédactions qui font de l’Exode un des livres de la Torah. R. Albertz propose un modèle un peu plus complexe, mais qui distingue également entre un récit de base, des rédactions « P » (sacerdotales), une rédaction dtr, et des rédactions tardives voulant construire un Hexa- ou un Pentateuque. Et même l’analyse extrême de C. Berner qui décèle dans le livre de l’Exode une quantité innombrable de couches littéraires et d’autres Fortschreibungen MILIEUX BIBLIQUES 413 reste compatible, en ce qui concerne la distinction de base entre trois grandes étapes de la formation du livre : pré-P, P, post-P. Le récit de base du Viie siècle avant notre ère n’est cependant pas une invention sortie de l’imagination de ses auteurs. Il se base sur une tradition plus ancienne qui provient probablement du royaume du Nord, comme le montre l’analyse de 1 R 12 et d’Os 12. La tradition de l’exode a été véhiculée d’abord dans les sanctuaires du Nord (Israël) avant d’arriver en Juda, sans doute après la disparition du royaume d’Israël en 722 av. notre ère. Sur le plan littéraire, il est très difficile de reconstruire les contours de cette tradition. Moïse a-t-il déjà été lié à cette tradition ? Quels souvenirs historiques véhiculait-elle ? L’exode, tel qu’il est relaté dans la Bible, n’est nullement attesté par les documents égyptiens. La première mention d’Israël se trouve dans un document égyptien de la fin du xiiie siècle avant notre ère, la stèle de Merneptah. La mention du nom d’Israël sur cette stèle ne présuppose nullement un « exode » ni une émigration de ce groupe du pays d’Égypte. Rien n’est dit d’une provenance en dehors de la Palestine. On a parfois envisagé un lien entre l’exode et l’expulsion des Hyksos. On trouve le mot Hyksos pour la première fois dans une représentation du xixe siècle dans le tombeau d’un notable égyptien à Béni Hassan. On y voit un groupe de personnages « asiatiques » ramenés en Égypte par un groupe de soldats égyptiens et le chef du groupe sémitique est désigné comme un « hyksos » (« Maître des pays étrangers »). Apparemment, ils étaient amenés en Égypte pour y travailler. Ensuite, aux xViie et xVie siècles, le terme est appliqué à la dynastie des Hyksos qui régna dans le Delta à Avaris, la nouvelle capitale. Ces rois, dont on ignore le nombre exact, étaient d’origine sémite. Les princes de Thèbes parvinrent à vaincre les Hyksos sous Ahmosis (1539-1514). Cet événement serait-il à la base des traditions sur Moïse et sur l’exode, comme on le pense parfois ? Ceci n’est guère plausible d’une manière directe. L’écart chronologique avec l’émergence d’une ethnie nommée « Israël » en Palestine aux alentours du xiie siècle est bien trop grand. En outre, les Hyksos sont des gouverneurs, et non une population située au bas de l’échelle sociale. Il est donc difficile d’identifier leur règne avec la situation d’asservissement des Cananéens que présuppose le récit de l’Exode. Cependant le souvenir de cette période était peut-être suffisamment fort pour avoir laissé quelques traces dans la Bible. À noter que les textes bibliques indiquent 400 ans pour la durée du séjour des Israélites en Égypte (Gn 15,13) ou même 430 ans (Ex 12,40) ; ces chiffres ont d’abord une valeur symbolique et sont sans pertinence directe pour l’historien ; ils peuvent cependant refléter l’idée d’une longue durée qui ne correspond pas à la mise en récit du livre de l’Exode, lequel situe les événements qui mènent à l’exode dans le contexte de la vie de Moïse et dans la succession de deux pharaons. Un autre lien possible avec la tradition uploads/Litterature/ exode-mythe-et-histoire 1 .pdf
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- Publié le Apv 11, 2021
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