Mes remerciements pour leur coopération active vont à Pierre Merle écrivain, au

Mes remerciements pour leur coopération active vont à Pierre Merle écrivain, auteur de L'Argot fin de siècle (Seuil) Isabelle Durousseau maître de conférences à l'université de Copenhague (Danemark) Catherine Merle lycéenne de terminale à Paris Eva Toulouze lectrice à l'université de Tartu (Estonie) Gérard Clerfayt enseignant de français langue étrangère à Paris aussi à Sandrine Hérault libraire à Montréal, pour sa contribution des mots du Québec Albert Audubert grammairien et lexicographe, pour sa fructueuse relecture du manuscrit ainsi qu'à Frédérique Cantrel, Jean Benguigui, Jean-Pierre Minaudier et Pierre Verrier pour leurs aimables suggestions comme à Jean-Claude Baillieul pour sa mise au point typographique et à la Villa Mont-Noir, Résidence d'écrivains européens, pour son accueil Claude Duneton Collaboration technique Marri Amon Université de Tartu, Estonie le Guide du français familier Éditions du Seuil COLLECTION DIRIGÉE PAR NICOLE VIMARD ISBN 2-02-031486-x © ÉDITIONS DU SEUIL, AVRIL 1998 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle à Leena Capron qui m'attira en Estonie où naquit l'idée de ce livre et qui mourut de ses voyages 7 le français familier pourquoi ? La langue française comporte bien des particu- larités, mais il en est une qui la caractérise presque essentiellement, c'est une variété de registres que les autres langues ne possèdent pas à un degré équivalent. Il existe un français littéraire plus ou moins académique ou « relâché » ; nous avons un français scolaire qui ne sert pas en littérature mais seulement à l'intérieur du système scolaire et universitaire, un registre conventionnel, pourvu de ses codes particuliers qui trouve sa finalité dans la rédaction des examens et des concours. Je ne dirai rien du français administratif, curieux hybride de la langue du droit et du registre scolaire, ni du français à vocation « savante », qui est une création originale du dernier demi-siècle, à la fois intimidant et impénétrable, capable d'exprimer la pensée la plus abstraite comme l'absence totale de pensée et qui se prête merveilleusement aux plus belles supercheries intellectuelles en donnant corps et apparence aux formulations les plus creuses. Il y a surtout, à côté de ces registres qui constituent 8 LE FRANÇAIS FAMILIER pour ainsi dire la « langue d'État », le français que nous parlons tous les jours, dans toutes les occasions de la vie ordinaire, chez le boulanger ou la crémière, à la maison et dans la rue, à l'atelier comme au bureau, dans la famille ou chez des amis. Ce français s'écrit du reste dans une littérature abondante, faite des journaux et des bandes dessinées, des dialogues de films, et aussi de la production romanesque contemporaine la plus vaste et généralement succulente. C'est ce registre du quotidien, de la spontanéité, que j'appellerai ici le français familier - celui qui n'obéit à aucun code de situation particulière, honni qu'il est des paperasses administratives, et chassé du domaine scolaire du haut en bas de l'échelle éducative. Le français familier se distingue évidemment par certains relâchements de syntaxe, surtout dans sa version « parlée » ; le redoublement du sujet dans une phrase simple est de cette nature : « Ma sœur, elle va à l'école », au lieu du simple et correct " Ma sœur va à l'école », seule formulation admise précisément dans la scolarité. L'élision de la négation normale fait partie de ce phénomène : «Je veux pas de pain" au lieu de « Je ne veux pas de pain » - une irrégularité de la langue orale qui est très ancienne, car on la repère déjà aux premières années du 17e siècle dans le langage du futur Louis XIII tel que le notait le médecin Héroard. La faute est toujours repoussée, sans doute avec raison, par la langue châtiée de tous les niveaux. Cependant, c'est dans le vocabulaire courant que le registre « familier » se manifeste surtout. Par exemple, les langues européennes voisines de la nôtre ont un mot pour désigner l'« eau » : water en anglais, pour LE FRANÇAIS FAMILIER 9 toutes formes d'eau, dans toutes les circonstances imaginables ; pour boire, se laver, nager, on dira water. En espagnol, on dit agua de même, prolongation directe du latin aqua, ainsi qu'en italien acqua, en allemand Wasser ; en flamand, on ne cherche pas non plus midi à quatorze heures : water, l'eau, un point c'est tout. En français, nous avons bien entendu notre eau pour toutes les sauces, l'eau sale ou propre, l'eau de rivière ou d'étang, du robinet, l'eau de pluie qui nous mouille, l'eau bénite pour asperger les fidèles, l'eau salée de la mer - on fait tout avec Veau, on la boit, pure ou mélangée à d'autres substances ; on lave le linge, que sais-je ? on s'y noie !... Mais là où la différence intervient avec les autres langues, c'est que tout à coup quelqu'un vous dira sans prévenir, comme la chose la plus naturelle du monde : - J'ai soif, passe-moi un grand verre de flotte. - Un verre de quoi ? - De flotte... Ah ! excuse-moi, un verre d'eau. L'interlocuteur étranger se sent tout éberlué que l'eau puisse être désignée par un mot qu'il n'a jamais entendu - auquel il n'a jamais prêté attention en tout cas -, qui n'apparaît dans aucun des manuels qu'il a lus. Comme s'il s'éveillait d'un rêve, il s'aperçoit - on lui explique alors - que tout le monde autour de lui connaît et emploie ce mot nouvellement venu à son oreille. Soudain, on lui parle complaisamment de la flotte qui est tombée la nuit dernière : « Il a flotté toute la nuit ! »... « C'est agaçant toute cette flotte ! » ajouté son voisin. Et c'est la pluie que l'on désigne ainsi ! Un peu revenu de sa surprise, et rompu dorénavant 10 LE FRANÇAIS FAMILIER aux subtilités de l'eau à double dénomination, l'étudiant japonais, balte, grec, écossais ou sud- américain verra arriver l'été, la chaleur, le besoin de se baigner, à la mer ou à la piscine, et un beau jour quelqu'un lui dira : - Tu viens ? On va à la baille. - À la quoi ? - On va nager... se mettre à la flotte. Tu veux venir ? - Oui, mais tu viens de dire... la ba... ? - Ah ! la baille c'est l'eau : on va à la baille, on va se baigner. La baille c'est l'eau?... Le doute alors revient, jaillit dans le cerveau de notre étudiant malheureux qui a le sentiment exécrable que les Français sont des hypocrites, des sales menteurs qui vous enseignent une langue en souriant, et en emploient une autre entre eux, en cachette, pour vous narguer... Ah ! que leur réputation de fausseté, de rouerie, est bien justifiée ! se dit l'infortuné. Au bout de plusieurs mois de séjour en France, une année, peut-être davantage, le jeune homme désespère vraiment de savoir un jour cette langue glissante comme une savonnette, que l'on ne saurait jamais tenir, saisir, maîtriser. C'est le moment où la jeune fille au pair, qui s'est appliquée de bonne foi à saisir les nuances de la cuisine et du langage enfantin des petits diables dont elle a la charge, entend ceci : - Je me jetterais bien un coup de jaja derrière la cravate... (ou de picrate, de pinard, de rouquin !) - Oui, renchérit le voisin, avec un bon calendos et un bout de brignolet, ce serait le pied ! LE FRANÇAIS FAMILIER 11 Et la pauvre jeune personne ne comprend rien à tout cela. Elle rougit de rage. Elle a pourtant étudié, suivi régulièrement les cours du soir, noté les mots sur un petit carnet à son usage - on la complimente du reste, on lui répète qu'elle parle très bien français : oh là là ! magnifique !... Et voilà des gaillards narquois qui rient à ventre déboutonné de son désarroi. « Mon dieu ! » se dit la fille au pair, dans une de ces langues du globe chère à son cœur : « Je veux rentrer à la maison ! » Le but essentiel du présent ouvrage, sa vocation première, est de rassurer les filles au pair. Mais aussi de sauver de l'embarras les mères en visite, les pères en perdition, et généralement les étudiants des niveaux supérieurs de toutes les universités du monde où l'on nous fait l'honneur d'enseigner le français. Ils pourront ici faire le point sur ces mots cachés qui servent, cela est vrai, à la connivence entre adultes, de la même manière que des gens d'une même région se servent d'un accent ou d'un dialecte partagé... Ils pourront s'initier en toute tranquillité à ce français familier -j'ai envie de dire : à ce français de doublure, qui dès lors ne les uploads/Litterature/ fle-guide-du-francais-famillier.pdf

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