© Editions Max Milo, Paris, 2005 PREMIER CHAPITRE Auteur : Gaston Kelman Titre
© Editions Max Milo, Paris, 2005 PREMIER CHAPITRE Auteur : Gaston Kelman Titre : Au-delà du noir et blanc ISBN : 978-2-264-04420-4 N°3996 Prix : 6,90 € LE PRINTEMPS DES MINORITÉS NOIRES OU L’EVEIL D’UNE CONSCIENCE « NOIRE » DERACIALISEE « Je suis sûr, autant qu’on puisse l’être, qu’une revalorisation des anciens combattants d’Afrique, correctement expliquée et médiatisée, ferait plus pour empêcher les poussées de fièvre dans les banlieues que dix bataillons de gendarmes mobiles1. » Au cours de l’année 2003, le débat sur les minorités visibles – néologisme édulcorant pour désigner les Noirs et les Arabes – s’intensifie. Les observateurs commencent à admettre l’existence d’un problème racial en France, là où l’on ne parlait que d’un problème social, problème social que la France allait d’ailleurs dissoudre dans l’intégration républicaine comme elle l’avait fait pour les courants migratoires blancs. Le chef de l’État lui-même s’en fait l’écho, et comme à son habitude, dans des envolées lyriques péremptoires (et des trémolos dans la voix), souhaite que les choses changent et promet qu’elles vont changer, même s’il faut pour cela ressusciter Victor Schœlcher, Gaston Monnerville et Félix Éboué. Sarkozy, le bouillant ministre de l’Intérieur, pense alors – qui l’eût cru, il y a encore peu de temps, de la part d’un ministre de la République, fût-il lui-même fils d’immigré ? – que la discrimination positive doit être appliquée aux minorités ethniques visibles en France. Un réel bouleversement dans les mentalités, quand on sait que l’expression même de discrimination positive, apparue dans les années 1980, a été diabolisée parce que la France rejetait ce dispositif anglo-saxon. C’est ce qui explique le fait que l’innocente affirmative action américaine, la simple positive action anglaise, se soient transformées en cette gauloise pomme de discorde, en cet oxymoron dévastateur : la discrimination positive. Cependant, la littérature sur l’intégration de ces visibles minorités reste dominée par la problématique maghrébine. Le voile islamique, dont les statistiques les plus pessimistes disent qu’il est porté par à peine quelques centaines de filles et qui souvent ne traduit qu’une banale crise d’adolescence, devient le thème dominant de l’intégration dont il occupe et occulte le débat depuis quinze ans2. La chose est si vitale pour la nation France que l’on est obligé de légiférer. Alors, soudain, c’est le branle-bas de combat. De patibulaires mollahs descendent des minarets, prennent des positions fracassantes sur les médias. L’international s’en mêle. Des exégètes, beaux comme les princes arabes de cinéma, collier de barbe compris, dont on feint de ne pas percevoir la dangerosité du langage fourchu, nous arrivent des pays voisins ; quand ce n’est pas tout simplement le ministre d’État qui va en consulter certains à domicile, à l’ombre des pyramides et des minarets nord-africains. Les livres sur ce thème se comptent par dizaines. Les éditeurs font assaut d’originalité et nous dénichent d’inattendues penseuses de l’Islam. Il n’est pas jusqu’aux jouvencelles d’Aubervilliers, les frangines Alma et Lila, de parents judéo-chrétiens, porteuses patentées et farouches défenderesses du voile, qui n’aient leur 1Mohamadou Dia, J’ai fait un rêve…, op. cit., p. 119. 2Les premiers débats sur le voile remontent à 1989. 2 mot à dire. Deux jeunes femmes, l’une voilée, l’autre pas3 , nous dévoilent leur pensée théologique profonde sur l’Islam, cet Islam qui est l’objet d’un imparfait et insoutenable amalgame. Islam, islamisme et immigration maghrébine renvoient, pour beaucoup, à la même réalité. L’apogée de cet amalgame apparaît quand le ministre de l’Intérieur promet à la France laïque un préfet musulman. Plus tard, en Irak, des illuminés exigeront de la France qu’elle retire la loi sur le voile, et pour l’y contraindre, retiendront deux journalistes français en otages. La loi sur les signes ostensibles d’appartenance religieuse à l’école est devenue la loi contre le voile islamique, puis loi contre l’Islam. Comment peut-on ainsi mettre l’Islam en pointe pour une loi qui concerne toutes les religions ? Car après les contorsions de l’actualité, c’est la seule chose que l’histoire retiendra. La loi de 1905 sur la laïcité était-elle contre l’Église catholique ? Certainement ! Aujourd’hui, longtemps après le calme revenu, c’est une loi pour la République. Que les islamistes et autres extrémistes de tous bords saisissent ce prétexte pour semer la zizanie, cela se comprend. Mais que la presse française parle, elle aussi, de la loi sur le voile (Le Point du 2 septembre 2004), voilà qui démontre le degré de confusion et de fébrilité sur la gestion des apports de l’immigration et de l’Islam en particulier. Livres noirs L’année 2003 s’est achevée avec une France toujours étrangement muette sur l’autre composante problématique des minorités ethniques visibles, le Noir. Nul ne s’imagine un seul instant que le ministre pense à un Mélanoderme, quand il brandit la promesse (ou peut-être le spectre, la menace, en tout cas pour certains) du préfet musulman. Et bien évidemment, il ne mesure pas la légèreté, sinon la perfidie consciente ou involontaire de ses propos, qui pourraient fort logiquement inciter les adeptes du vaudou dahoméen, de l’hindouisme cachemiri, du taoïsme cantonais, du bouddhisme tibétain, ou encore du kimbanguisme congolais, de l’animisme bamiléké, à réclamer eux aussi leur préfet confessionnel. L’histoire française semble faire du sur-place et l’on se croit revenu aux temps peu glorieux des colonies françaises et de l’Algérie en particulier, avec leurs quotas de cadres ethno-racialo-confessionnalo-indigènes. Le débat sur les Noirs est totalement absent des préoccupations de la société. En ces temps de vaches maigres, même le mythe de Fatou la Malienne, les mariages forcés, la polygamie ne font plus recette ou alors restent cantonnés en de rachitiques débats dans les maisons de quartier et les locaux associatifs des banlieues typées, où quelques rares et téméraires militantes les abordent encore entre deux rasades de bissap ou de gingembre arrosant un incandescent pastel ou un torride tieb ; rien que du réchauffé en somme. Puis soudain, les choses se mettent à bouger. Au début de l’année 2004, le monde éditorial français est secoué par des événements concomitants peu banals. La secousse est certes encore légère, et n’a rien à voir avec le raz-de-marée éditorial soulevé par l’islamisme et ses foulards. Mais ne faisons pas comme le héron gourmet de La Fontaine. Suivons plutôt les sages conseils de Philippe Delerm et ne boudons pas nos gorgées de bissap associatif ni aucun autre plaisir minuscule. En ce début d’année 2004, deux approches sur la situation des Noirs en France vont s’affronter avec un inégal succès éditorial, un accueil et des publics adeptes, à la différence bien tranchée4. Les enfants de Pharaon… Une école qui revendique l’héritage de Cheikh Anta Diop – la négrité de l’Égypte pharaonique et de l’invention de la civilisation – poursuit un étrange discours sur la grandeur antique du Noir 5. Nourris à la pensée afrocentriste apparue aux États-Unis dans les années 1960, ces adeptes de la tendance négrocentriste semblent évoluer dans une mouvance mystico-folklorique. Certains, d’origine antillaise, changent leurs noms comme Asante, un de leurs mentors négro-américains actuels, le conseille. « Asante incite ses lecteurs à se concentrer sur une série de rituels qui leur permettront de retrouver leur africanité. 3Dounia Bouzar et Kada Saïda, L’une voilée, l’autre pas, Albin Michel, Paris, 2003. 4La production éditoriale noire en France est très importante, qui confirme le talent « artistique » que les pères de la Négritude avaient initié. On peut citer la valeur confirmée de Marie Ndiaye, la percée exceptionnelle de Fatou Diome, la production de la prolifique Calixthe Beyala, les romanciers comme Eugène Ebode, Abdouramane Waberi, Alain Mabankou…, de la poésie, des essais centrés sur les problématiques de développement dans les pays africains. Mais cette littérature, même quand elle est franco- française comme c’est le cas pour Marie Ndiaye, n’entre pas dans le champ historique ou social du débat sur la place des Noirs dans la société française. 5Jean-Philippe Omotunde publie au début de l’année 2004, aux éditions Menaibug, le troisième volume de ses recherches sur l’histoire nègre (La Traite négrière européenne : vérité et mensonges), dont les deux premiers sont parus chez le même éditeur en 2001 (Origine négro-africaine du savoir grec) et en 2002 (Racines africaines de la civilisation européenne). 3 Cela passe par le changement du nom, de la façon de se vêtir 6… » Ils revêtent de nouvelles et ostentatoires identités africaines, ressuscitent un galimatias fait des balbutiements rafistolés du Black consciousness du début de la deuxième moitié du XXe siècle aux USA. Leur rhétorique est la copie conforme, la traduction française de leur modèle négro-américain. Manichéenne en diable, d’un autre âge et pour une autre réalité, elle couvre le Blanc d’anathème, pare le Noir de noblesse et de dignité, refait un monde bicolore avec les Blancs d’un côté et les Noirs de l’autre. L’un d’eux nous apprendra, au cours d’une émission de la radio Africa N˚ 1 sur les modèles des adolescents noirs en France, que le modèle qu’il souhaite pour son fils né sur les bords de Seine, d’un père d’origine camerounaise, ce modèle c’est Marcus Garvey7. Il est vrai qu’il a lâché ce nom comme on lâche un pet, un rot ou toute autre incongruité uploads/Litterature/ gaston-kelman-au-dela-du-noir-et-blanc.pdf