S A C H A G U I T R Y HISTOIRES DE FRANCE L E L I V R E C O N T E M P O R A I N
S A C H A G U I T R Y HISTOIRES DE FRANCE L E L I V R E C O N T E M P O R A I N Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous pays. © Le Livre Contemporain, 1939 116, rue du Bac, Paris *7 e) Dans son film intitulé Napoléon, Monsieur Sacha Guitry fait dire à Talleyrand, répondant à Monsieur de Blancmesnil, que si David a placé au centre de sa toile représentant la céré- monie du Sacre, la Mère de l'Empereur notoirement à Rome ce jour-là, c'est qu'il était un artiste et non un historien. Il ne faut point oublier ce mot si l'on veut connaître de ce livre toutes les joies qu'il propose. a Les phrases qui sont imprimées en lettres italiques dans cet ouvrage ne sont pas attribuées aux personnages qui les prononcent — elles ont été réellement dites ou écrites par eux. S. G. LES GAULOIS Ce tableau se passe à quelques kilomètres de Bibracte, c'est-à- dire d'Autun — et cela, fort peu de temps avant l'invasion de la Gaule par les Romains. Le décor représente un coin choisi au pied d'une colline, à l'orée d'un bois. Rochers, grands arbres, ombre douce... A droite, une habitation qui n'est pas terminée. Au lever du rideau, tous les personnages sont en scène, hormis le Vieux Tribun. Le Guerrier est debout, armé, cuirassé, casqué et adossé à un arbre. Le Mari, sur une échelle, ajoute des roseaux au toit de sa maison. L'Ouvrier l'aide dans ce travail. L'Artiste, assis sur une pierre, façonne un vase de terre et le sculpte. La Femme, avec l'Amant, bavarde, tous deux couchés dans l'herbe. C'est le matin et il fait beau. L E M A R I S'adressant au Guerrier. Non, non, non, non... mille fois non, assez de guerres! L ' A M A N T " Il a raison, assez de guerres. Ï3 SACHA GUITRY L E M A R I Autres temps : autres mœurs, mon ami!... Nous ne sommes plus des sauvages, voyons!... Il ne faut pas que la Gaule continue de se battre à tout bout de champ comme elle le fait depuis tant d'années. Ce ne serait plus une vie, raison- nablement ! L ' A M A N T Que nous ayons voulu établir les frontières de notre pays, quoi de plus naturel. Mais elles sont établies maintenant... L E M A R I Nous avons même eu la sagesse de limiter la Gaule à ses frontières naturelles : au sud, les Pyrénées... à l'est, les Alpes et le Rhin. L ' A M A N T Or, ces frontières-là, qui songerait à nous les contester désormais?... Personne! L E GUERRIER Personne ? Les Ibères nous les contestent au sud, les Romains à l'est et les Germains aussi! L E M A R I Ce n'est pas vrai! L E GUERRIER Comment, ce n'est pas vrai ? L ' A M A N T Mais non, ce n'est pas vrai. LES GAULOIS L E M A R I T u t'imagines toujours que nos voisins ne songent qu'à nous envahir. L E GUERRIER J'en ai la conviction... L ' A M A N T Et parce que tu en as la conviction, sans en avoir la preuve, tu adoptes une attitude constamment provocante. L E GUERRIER Provocante ?... Parce que je suis armé, je suis donc provo- cant ? L ' A M A N T Je retire le mot s'il te désoblige, mais tu ne nieras pas que tu es susceptible. L E GUERRIER Très susceptible, j'en conviens. L E M A R I Trop susceptible même! L E GUERRIER On ne l'est pas assez quand on ne l'est pas trop!... Mal- heureux qui vivez dans un rêve, follement convaincus qu'on vous aime au dehors... L E M A R I Mais bien sûr qu'on nous aime ! L E GUERRIER Ah ! vous croyez que deux pays peuvent s'aimer ? SACHA GUITRY L ' A R T I S T E Certainement. L E GUERRIER Oui, oui... comme le renard aime la poule quand il a faim!... D'ailleurs, vous vous bercez de folles illusions et vous me faites sourire quand vous parlez des frontières de notre pays!... Mais notre pays, notre véritable pays, nous en faisons le tour en dix-huit heures de marche ! Tous le regardent avec surprise et fureur. Mais oui, mais oui, mais oui... et qu'on le veuille ou non! Même je vais plus loin, — c'est-à-dire : moins loin ! — notre pays, c'est notre ville, c'est Bibracte ! T O U S Oh! Oh!... L E M A R I Mais c'est monstrueux ce que tu dis là!... Voyons, tu es un Gaulois... L E GUERRIER Non, je suis un Éduen! Et nos vraies frontières, ce sont les remparts de notre cité. Je n'en connais pas d'autres ! L E M A R I Comment voulez-vous qu'on discute avec un entêté pareil. L E GUERRIER Mais je ne vous demande pas de discuter avec moi. Je suis venu vous avertir qu'une guerre avec nos voisins était devenue inévitable et qu'il fallait vous apprêter. Si vous ne voulez pas tenir compte de mes avis, c'est votre affaire ! 16 LES GAULOIS L ' A M A N T Mais nous pouvons peut-être justement l'éviter, cette guerre... L E M A R I Et nous avons le devoir de tout faire pour l'éviter. Les Arvernes sont des Gaulois, comme nous... L E GUERRIER Non, ce sont des Arvernes... comme nous sommes des Éduens. L E M A R I Oh!... L E GUERRIER Tu peux faire « oh! »... T u peux crier, tu n'y changeras rien ! L E M A R I En tout cas, voudrais-tu ne pas t'en mêler ? L E GUERRIER Mais je ne m'en mêle pas. L E M A R I Bon. Eh bien, alors, ne va pas te promener de leur côté avec tes soldats, comme tu le fais depuis huit jours. Laisse- nous nous en occuper. L ' A M A N T Il y a peut-être un malentendu qu'on peut très vite dissiper. L E M A R I Mais sûrement. 17 SACHA GUITRY L E GUERRIER Perdre une occasion de se battre... quel malheur! Au mari. Quoi^tu n'es donc pas fier des vertus de ta race ?... T u n'es donc pas fier de penser que ton bras est toujours au service du faible... L E M A R I Ah! Mais, entendons-nous, la défense de l'opprimé n'est pas une vertu guerrière, et, quand tu mets ton bras au service du faible, c'est ton cœur de Gaulois qui te mène à la guerre... et nous suivons tes pas!... Mais tu ne te bats pas que pour de nobles causes et bien souvent tu nous entraînes dans de déplorables aventures... Il faut que tu te rendes compte que nous avons changé depuis cinquante ans. La vie n'est plus la même qu'autrefois. Nous arrivons à un degré de civilisation qu'on ne dépassera plus, j'en ai l'im- pression très nette, et il faut absolument que tu te fasses aux idées nouvelles... f L & GUERRIER Que me reproches-tu ? L E M A R I De n'être pas assez rusé. Et comme ta bravoure est sans égale au monde, on t'attire au combat quand on veut, où l'on veut et pour n'importe quel motif. L ' A M A N T E T L ' A R T I S T E Il a raison ! L E GUERRIER Il a raison! Il a toujours raison pour vous celui qui parle bien. Bavards!... Terribles bavards que vous êtes tous! 18 LES GAULOIS L E M A R I Je défends les intérêts de mes concitoyens. Mandaté par eux, je prends la parole en leur nom. L E GUERRIER Vous ne pensez qu'à prendre la parole... D'un peuplé de guerriers, vous voudriez faire un peuple de bavards ! L E M A R I Il faut bien discuter les lois qu'on établit. L E GUERRIER Vos lois... personne ne les respecte. Pour moi, il n'y a qu'une loi : nous sommes des guerriers et nous faisons la guerre ! L ' A R T I S T E Tout le temps ? L E GUERRIER Qu'est-ce que tu veux faire d'autre ? L ' A R T I S T E Montrant son œuvre. Ça. L E GUERRIER Quoi « ça » ? L ' A R T I S T E Ce vase que je viens de modeler... L E GUERRIER Pff! 19 SACHA GUITRY L ' A R T I S T E Et sur lequel je suis en train de faire ton portrait. L E GUERRIER Mon portrait ? L ' A R T I S T E Oui. L E GUERRIER Fais voir. L ' A R T I S T E Vois. L E GUERRIER Tiens, ce uploads/Litterature/ guitry-histoires-de-france-ocr.pdf
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- Publié le Jui 03, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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