CHOIX DE TEXTES ! Jean Paulhan vivait par lʼécriture et pour lʼécriture. Il pou
CHOIX DE TEXTES ! Jean Paulhan vivait par lʼécriture et pour lʼécriture. Il pouvait traiter les questions les plus complexes (rhétorique, peinture ou guerre), comme les plus futiles (pinces, encriers et bulles de savons). Il avait un style travaillé, clair et concis ; il est souvent considéré comme un auteur ayant peu écrit. En réalité, lʼœuvre, dʼimportance et de qualité, est beaucoup plus fournie quʼon ne le croit généralement. # Le choix qui va suivre essaie de montrer quelques-unes des facettes de lʼécrivain. Comme tout choix, celui-ci a été difficile, frustrant, parfois douloureux. Laisser de côté des pans entiers de lʼœuvre (récits, contes, polémique, lieux communs, préfaces) ne sʼest pas fait sans hésitations, doutes et remords. Dʼautant que Paulhan lui même disait quʼil nʼétait pas un de ses écrits qui nʼait trait au langage. Cʼétait là sa préoccupation majeure. Une consolation cependant : une nouvelle édition des Œuvres Complètes est en cours chez Gallimard, sous la direction de Bernard Baillaud, dont les deux premiers tomes sont déjà parus. Le lecteur de ces pages pourra ainsi améliorer progressivement sa connaissance de Paulhan. # Un critère dʼordre pratique a fait choisir des textes ou extraits tenant en une page, à deux exceptions près. # Les références indiquées renvoient aux volumes des Œuvres Complètes déjà parus chez Gallimard ; à défaut, à lʼédition précédente, publiée par lʼéditeur Claude Tchou de 1966 à 1970. On trouvera dans lʼordre : • Trois Hain-Teny malgaches dans une traduction sensible, provenant du premier livre publié par Jean Paulhan (Geuthner, 1913 puis 2007), suivis de deux Causes Célèbres que le poète italien Ungaretti considérait comme des poèmes. • Suivent quatre fragments concernant la critique et lʼécriture littéraires, dont un extrait du début des Fleurs de Tarbes, ouvrage capital (1941). • Les deux textes suivants sont trait de La Peinture moderne et de Braque le Patron, lʼintérêt de Jean Paulhan pour la peinture sʼétant développé au sortir de la guerre. • Lʼécrivain fut résistant dès le début de lʼOccupation. Il sut analyser les variations inéluctables de la politique et faire preuve à nouveau de courage pendant lʼÉpuration. • Les deux derniers textes montrent un Jean Paulhan qui accorde beaucoup dʼintérêt aux bulles de savon et, dans une lettre à Jouhandeau, une grande attention aux oiseaux et autres petits animaux. ! Un grand nombre de lettres de Jean Paulhan ont déjà été publiées dans Choix de lettres (3 tomes), mais aussi en une vingtaine de volumes de correspondances bilatérales. TROIS HAIN-TENY Traduction de trois poèmes malgaches. LES HAIN-TENY MERINAS - Poésies populaires malgaches Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1913 puis 2007, p. 207, 247 et 291. THÈME DE L'HÉSITATION ET DES RIVALES — Par ici, au Nord Sont deux petits citrons pareils. L'un est mûr, l'autre encore vert. Si je prends le mûr, j'ai honte devant le vert Si je prends le vert, j'ai honte devant le mûr. — Ne me touche pas, toi, je suis encore verte. Laisse-moi mûrir dans la main de celui que j'aime Un homme parle. Une femme répond. Deux citrons : deux jeunes femmes.! ______________ THÈME DE LA SÉPARATION ET DE L'ABANDON Dis aux nuages d'attendre Car le vent diminue. Dis au lac d'oublier Car les oiseaux n'y viendront pas dormir. Il est mauvais d'oublier tout d'un coup Il est bon d'oublier peu à peu. Une femme parle. Le vent et les oiseaux sont la femme, les nuages et le lac l'homme qu'elle s'apprête à abandonner. __________________ THÈME DES REGRETS ET DES REPROCHES — Quel est cet homme, devant vous ? — Je ne sais, je ne l'ai pas rejoint. — Quel est cet homme, derrière vous ? — Je ne sais, il ne m'a pas rejointe. — Pourquoi donc restez-vous debout ?! — Je ne reste pas debout, je me suis levée par hasard. — Pourquoi donc soupirez-vous ? — Je ne soupire pas, je baille. — Pourquoi votre esprit paraît-il égaré ? — Mon esprit n'est pas égaré, mais je réfléchis. — Pourquoi avez-vous les joues creuses ? — Ce n'est pas exprès que j'ai les joues creuses, mais mon enfant est mort. (Elle se met alors à pleurer, et fait de la peine aux gens.) Un homme parle. Une femme répond. LA BONNE SOIRÉE LES CAUSES CÉLÈBRES Œuvres complètes, I, Gallimard, 2006, p. 277 ! Depuis que le malheur s'est passé, je ne retourne pas à l'usine, et ma femme ni mes enfants, c'est encore heureux, n'ont l'air surpris qu'il m'arrive de rester près d'eux à ne rien faire. Au coucher du soleil je viens m'asseoir sur ce banc. ! Le reste du jour n'a guère changé, mais cette heure-ci est comme une vingt-cinquième heure, dont on m'aurait fait cadeau. J'y vois couler tant de rayons et de feux, qu'il me semble tenir enfin le ciel par son endroit sensible. ! Je le parcours d'un bord à l'autre. J'avance à grands coups d'yeux, dont chacun allume une lueur, qui traîne ensuite derrière moi, et refroidit à mesure. Il m'arrive de ramener quelques herbes du fond des eaux. ! Me croirez-vous, si je dis que je distingue sur mes rives des bateaux où l'on vend dans l'ombre des parfums, des savons, et ces flacons laiteux que nous apercevions, enfants, dans le cabinet de toilette des femmes. Plus tard, je ne les ai pas retrouvés. ! De grands arcs lumineux, qui tantôt se tendent et tantôt flottent au vent, montent au-dessus des bateaux. J'ai beau fermer les yeux, je vois encore leurs bandes pourpres au travers d'un tissu trop léger. Il me vient envie, pour mieux l'approcher, de diviser le ciel en zones. La première est le fleuve avec ses feux. La seconde est la cabriole des poissons hors de l'eau, quand ils me sentent approcher. La troisième est l'instant où les nuages semblent près de s'abattre. La quatrième... mais c'est assez. Il me vient de cet espace enflammé une ivresse, plus lourde que l'ivresse du vin. Plutôt une ivresse de viande et de sauces. Alors la nuit suspendue commence à retomber sur moi. Je rentre, en prenant garde de quitter le milieu du chemin. Oui, c'est ainsi que se passent mes soirées depuis que je suis devenu aveugle, et les enfants qui m'ont vu venir de loin, crient que la soupe est chaude. LES CŒURS CHANGENT LES CAUSES CÉLÈBRES Œuvres complètes, I, 2006, p. 291-292. ! « Puisque nous sommes d'accord, dit Rose, si nous allions vite nous coucher? Ah, je ne suis peut-être pas convenable, mon chéri. Je vous ai fait rougir. » Car ils n'avaient fait connaissance que trois heures plus tôt. De quelle grâce, elle lançait à la volée jupe, corsage et chemise. L'un de ses seins tremblait un peu, au battement de son coeur. « Qu'est-ce que vous avez à sauter, petites glandes ? » demanda Rose. Car elle demeurait savante bien que nue. ! Rose faisait la Médecine, Albert les Sciences. Il n'était pas alors de mode, entre étudiants, d'attacher grande importance au don de soi, qui est un don si l'on veut. L'hiver les laissa réunis : le corps de Rose, qui changeait avec les saisons, devint aussi tiède qu'il était frais en septembre. Vers le printemps, Albert perdit son père; il lui fallut quitter Paris. Les amants se séparèrent sans promesses. ! Le vieux laissait une affaire pas mal endettée. Albert mit plusieurs mois à débrouiller la situation. Entre-temps, le goût de son amour lui était revenu : il écrivit à Rose, qui répondit. Puis il arriva que les modes changèrent. En suite d'une défaite militaire, où l'on vit l'effet de l'ancienne licence, le pays pencha vers la morale et le repentir. De sorte que leurs lettres, après avoir été celles de deux amants, devinrent des lettres d'amoureux. ! Cependant le remords public allait s'accentuant, et l'on eût bientôt dit, à les lire, deux fiancés. Non que leur ardeur eût disparu, mais elle s'était faite, mettons, attentive et tout occupée à se maîtriser. ! Vers le mois d'août, Albert revint à Paris, et les parents de Rose donnèrent une soirée musicale, où il lui fut permis de la revoir. Peut-être même la regarda-t-il avec tendresse. Comme il essayait, sous le programme qu'elle lui tendit, d'entrelacer leurs doigts, Albert vit rougir son bras : « Ah, dit Rose alarmée, mon ami, mon ami, que voulez-vous donc de moi ? ». LA MISÈRE ET LA FAIM Extrait des FLEURS DE TARBES Œuvres complètes, III, 1967, p.20-2. ! Il est probable que les Lettres ont de tout temps couru leurs dangers. Hölderlin devient fou, Nerval se pend, Homère a toujours été aveugle. Il semble qu'à l'instant d'une découverte qui va changer la figure du monde, chaque poète se voie, comme Colomb, pendu à son mât et menacé de mort. Je ne sache pas de danger plus insidieux ni de malédiction plus mesquine que ceux d'un temps où maîtrise et perfection désignent à peu près l'artifice et la convention vaine, où beauté, virtuosité et jusqu'à littérature signifient avant tout ce qu'il ne faut pas faire. ! On voit, à l'entrée du uploads/Litterature/ jean-paulhan-choix-de-textes.pdf
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- Publié le Mar 19, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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