Document généré le 14 juil. 2018 08:09 Protée Les notions d'intertextualité et

Document généré le 14 juil. 2018 08:09 Protée Les notions d'intertextualité et d'intratextualité dans les théories de la réception Kareen Martel L’allégorie visuelle Volume 33, numéro 1, printemps 2005 URI : id.erudit.org/iderudit/012270ar DOI : 10.7202/012270ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des arts et lettres - Université du Québec à Chicoutimi ISSN 0300-3523 (imprimé) 1708-2307 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Martel, K. (2005). Les notions d'intertextualité et d'intratextualité dans les théories de la réception. Protée, 33(1), 93–102. doi:10.7202/012270ar Résumé de l'article Cet article étudie le concept d'intertextualité tel qu'abordé par trois poéticiens de la réception : Michael Riffaterre, Wolfgang Iser et Umberto Eco. Les idées avancées par ces théoriciens sont synthétisées, analysées et comparées afin d'établir une définition commune de l'intertextualité dans le cadre d'une poétique de la réception. Nous appliquons ensuite ce modèle à une forme particulière d'intertextualité négligée tant par les théories de la réception que par l'ensemble des approches théoriques, c'est-à-dire l'intratextualité, qui consiste, pour un lecteur, à établir une lecture paradigmatique entre au moins deux textes signés par un même auteur. Les émotions suscitées par une telle lecture ainsi que les signes textuels sur lesquels elle prend appui sont relevés et mis en relation avec ceux associés à une lecture intertextuelle entre des textes qui portent une signature différente. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Protée, 2005 PROTÉE • volume 33 numéro 1 91 Hors dossier PROTÉE • volume 33 numéro 1 93 LES NOTIONS D’INTERTEXTUALITÉ ET D’INTRATEXTUALITÉ DANS LES THÉORIES DE LA RÉCEPTION KAREEN MARTEL Il ne faut pas juger les livres un par un. Je veux dire: il ne faut pas les voir comme des choses indépendantes. Un livre n’est jamais complet en lui-même; si on veut le comprendre, il faut le mettre en rapport avec d’autres livres, non seulement avec les livres du même auteur, mais aussi avec des livres écrits par d’autres personnes. (Poulin, 1988: 186) Bien que ces propos tenus par Jacques Poulin me rejoignent, je les nuancerais quelque peu. Le verbe falloir, qui revient à trois reprises, me paraît trop prescriptif et, d’une certaine façon, en contradiction avec les droits du lecteur tels qu’énoncés avec humour par Daniel Pennac (1992). Je dirais plutôt que la mise en rapport des textes entre eux par le lecteur est, plus qu’un devoir, un fait inhérent au processus de lecture; le lecteur aborde toujours un texte avec l’expérience lectoriale qu’il a cumulée. Le texte lui-même se construit également en rapport avec d’autres textes, ainsi que l’a souligné Julia Kristeva qui a créé, dans les années 1960, le terme intertextualité: «[...] Kristeva a davantage défini l’intertextualité comme fondement de toute textualité et comme façon par laquelle un texte s’insère dans l’histoire en tant que pratique discursive spécifique » (Lamon- tagne, 1992: 5). La théoricienne s’est fortement inspirée des travaux de Mikhaïl Bakhtine, qui avait développé le concept de dialogisme. Plus vaste que le concept d’intertextualité, le dia- logisme de Bakhtine inclut le concept de Kristeva : «Pour Bakh- tine, le langage est un médium social et tous les mots portent les traces, intentions et accentuations des énonciateurs qui les ont employés auparavant» (Aron et Viala, 2002: «Dialogisme»). M. Riffaterre, L. Jenny et G. Genette ont ensuite développé chacun une poétique de l’intertextualité. Jenny s’intéresse aux transformations que fait subir le texte centreur aux intertextes ; Genette développe une taxinomie des formes possibles que peuvent prendre les rapports entre les textes, parmi lesquelles se trouve l’intertextualité, qui se voit attribuer une définition plus restrictive, soit «la présence effective d’un texte dans un autre» (1982: 8). Très étudiée sur le plan de la production, l’inter- textualité s’avère étrangement souvent oubliée du côté de la réception. Je me propose donc, dans cet article, de comparer les définitions, les implications et les applications de la notion d’intertextualité telles que proposées par trois poéticiens de la lecture, soit Michael Riffaterre, Wolgang Iser et Umberto Eco. Le choix de ces théoriciens se justifie aisément. Riffaterre a été le premier à théoriser l’idée selon laquelle « pour exister l’inter- textualité a besoin d’être reconnue comme telle par un lecteur [...]» (Rabau, 2002: 161). Iser est considéré comme l’un des principaux théoriciens de l’esthétique de l’effet (Gorp, 2001 : «Réception»). Les apports d’Eco se situent dans la lignée d’Iser (Jouve, 1993: 6) et ont à la fois contribué à l’avancement de la recherche dans ce domaine et suscité de nombreuses polé- miques. Par le biais d’une étude comparative de ces approches, j’espère dégager un modèle théorique commun et en tracer les limites et les possibilités. J’aborderai ensuite une forme particu- lière de l’intertextualité, négligée par les poétiques de la récep- tion de même que par l’ensemble des approches méthodolo- giques, soit l’intratextualité, qui se produit lorsqu’un écrivain «réutilise un motif, un fragment du texte qu’il rédige ou quand son projet rédactionnel est mis en rapport avec une ou plusieurs œuvres antérieures (auto-références, auto-citations) » (Limat- volume 33 numéro 1 • PROTÉE 94 Letellier, 1998:27). Je tenterai de souligner les effets de lecture de l’intratextualité sur le plan intellectuel, mais d’abord sur le plan émotif, un aspect aussi négligé par les théories de la récep- tion. L’un des grands mérites de Michael Riffaterre, outre le fait d’avoir souligné que l’intertextualité nécessite la reconnaissance d’un lecteur, est d’avoir établi une distinction fort pertinente entre l’intertextualité et l’intertexte. Ainsi «l’intertextualité est la per- ception, par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d’autres, qui l’ont précédée ou suivie. Ces autres œuvres constituent l’inter- texte de la première» (Riffaterre, 1980: 4). Ces définitions laissent une grande part de liberté au lecteur: Ainsi compris, l’intertexte varie selon le lecteur: les passages que celui-ci réunit dans sa mémoire, les rapprochements qu’il fait, lui sont dictés par l’accident d’une culture plus ou moins profonde plutôt que par la lettre du texte. (Ibid.: 5) Bien que Riffaterre se réclame de la poétique de la réception, cette affirmation laisse poindre clairement que la «lettre du texte» a conservé sa préséance sur le lecteur. Par ailleurs, si un lecteur effectue des rapprochements entre divers textes, ne serait-ce que des réminiscences, c’est sans doute que, par association d’idées, un élément textuel l’y a amené. Bien sûr, cette intertextualité ne résulte peut-être pas d’une volonté de l’auteur et s’avère peut- être inutile à une «bonne» lecture du texte. Pour pallier à la trop grande part de subjectivité que sous-tend une telle définition du phénomène intertextuel, Riffaterre propose de distinguer l’intertextualité aléatoire de l’intertextualité obligatoire. La première, déterminée par la mémoire et la culture du lecteur, est donc changeante et son «occultation accidentelle n’affecte pas le sens, ou en tout cas ne suspend pas la compréhension » (ibid.). La seconde est stable et incontournable « parce que l’intertexte laisse dans le texte une trace indélébile, une constante formelle qui joue le rôle d’un impératif de lecture, et gouverne le déchiffrement du message» (ibid.). Quelle est donc cette trace que le lecteur ne peut ignorer? Il s’agit d’une difficulté, d’une anomalie, d’une obscurité que rencontre le lecteur et que Riffaterre nomme agrammaticalité (1981: 5). L’idée selon la- quelle l’intertexte laisse une trace à l’intérieur du texte me semble assez juste. Toutefois, de nombreux facteurs peuvent entraîner l’incompréhension, et «nous le savons tous, la lecture, et pas seulement celle des textes réputés difficiles, loin de là, connaît ses ratés» (Saint-Gelais, 1994: 246). La difficulté peut également se confondre avec une maladresse du texte (Hotte, 2001 : 82). Le problème se complexifie lorsque le texte est de facture surréaliste ou absurde. De même, l’inattention du lecteur, ou tout autre facteur, ne pourrait-il pas faire en sorte que l’agrammaticalité ne soit pas perçue ? Selon Riffaterre, une agrammaticalité non résolue mène inévitablement à une lecture handicapée: «[...] ce sera une pratique de l’incohérence, un exercice de décodage proche de la fatrasie, la perception d’une séquence linéaire, de phrases successives plutôt que d’un texte » (1979b: 128). Les exemples fournis par Riffaterre demandent des connaissances très précises et peu accessibles au grand nombre (voir l’analyse de «Guitare»: 1979a). L’intertextualité et la bonne compréhension du texte semblent donc l’apanage des érudits, et même ceux-ci ne sont pas exempts de mauvaises interprétations (voir l’analyse de « Delfica»: 1979a). Ces con- sidérations peuvent devenir source d’angoisse pour le lecteur plus ou moins averti, d’où le sous-titre d’un chapitre dédié à Riffaterre dans un ouvrage de Nathalie Piégay-Gros, « Le terro- risme de la référence», dans lequel elle affirme: [l]’intertexte représente alors un outil qui fait le partage entre les lecteurs savants, qui seront aptes à reconnaître l’intertexte, et les lecteurs «ordinaires» qui ne percevront peut-être même plus uploads/Litterature/ les-notions-d-x27-intertextualite-et-d-x27-intratextualite-dans-les-the-ories-de-la-re-ception.pdf

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